Pour tenter de mettre un terme à ces situations inacceptables, la proposition de loi de notre collègue député Philippe Folliot légalise, dans la procédure de licenciement, le recours au questionnaire préalable. Ce dispositif, que la Cour de cassation a censuré en 2009, évitera le renouvellement de tels scandales puisque l'employeur ne sera plus tenu de faire parvenir aux salariés que les offres correspondant à leurs aspirations.
Si l'idée est particulièrement pertinente, les auditions que j'ai menées et auxquelles le rapporteur à l'Assemblée nationale n'avait pas eu le temps de procéder, notamment celles de la Cour de cassation et de professeurs du droit du travail, ont révélé quatre difficultés.
Le point le plus embarrassant est qu'il n'est pas évident que le texte mette un terme aux scandales : aucun plancher de salaire n'étant prévu, il suffit que le salarié donne son accord de principe à une baisse de rémunération pour que l'employeur reste tenu de lui proposer toutes les offres disponibles, y compris celles à 69 euros que le salarié continuera de juger humiliantes. Si l'employeur essaie d'éviter ce problème en demandant au salarié quel niveau de salaire il est prêt à accepter pour être reclassé, le scandale risque de se reporter sur le questionnaire et l'on reprocherait à l'employeur d'exercer une forme de chantage : plus la baisse acceptée dans le questionnaire est importante, plus le salarié aura de chances d'être reclassé. Si le Gouvernement élabore un questionnaire-type par circulaire, il sera accusé d'accompagner le dumping social.
La deuxième difficulté tient au caractère flou de la rédaction actuelle. Le qualificatif « éventuelles », appliqué aux restrictions portant sur les caractéristiques de l'emploi, laisse le champ libre aux interprétations, facilement contestables. Le salarié pourra, par exemple, souhaiter être reclassé « dans une grande ville » ou sur un métier « moins pénible ». Ce serait créer un « nid à contentieux ».
Troisièmement, le texte ne saurait, de l'avis formel du président du conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, s'appliquer aux entreprises en liquidation judiciaire : le mandataire liquidateur ne disposant que de quinze jours pour remplir sa mission, si l'on défalque les six jours de réponse au questionnaire, il ne pourra effectuer toutes les démarches et la procédure suivie pourra être contestée par les salariés, et avec succès.
Quatrièmement, les syndicats de salariés ont fait valoir qu'un tel questionnaire permettrait à un employeur, si les questions sont orientées à cette fin, de se dédouaner de ses obligations de reclassement, en posant par exemple la question : « accepteriez-vous une offre qui ne reprend pas vos avantages actuels ? ».
Ces difficultés ne sont pas mineures. Si l'on veut mettre un terme au scandale des offres indécentes, il est inévitable d'introduire un plancher salarial légal pour les offres de reclassement. L'employeur ne doit plus avoir ni l'obligation ni le droit d'adresser au salarié des offres de reclassement à l'étranger dont la rémunération est inférieure au smic. Il ne faut pas pour autant empêcher les salariés expatriés en France qui y sont prêts, à travailler dans leur pays d'origine, même avec une rémunération moindre. Dans ce cas, ils pourront, s'ils le demandent par écrit, recevoir des offres à l'étranger à un salaire inférieur au smic. Nous protègerions ainsi l'immense majorité des salariés et des employeurs contre l'obligation de recevoir ou d'envoyer des offres choquantes, tout en conservant la souplesse nécessaire.
Pour purger les sources de contentieux, je propose donc de retirer du texte les termes « notamment » et « éventuelles ». Le champ du questionnaire ne serait plus illimité mais porterait uniquement sur le souhait d'aller travailler à l'étranger.
Enfin, il est difficile de ne pas tenir compte des remarques sur l'inapplicabilité du texte aux cas de liquidation judiciaire. Le président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires est très favorable à ce que la procédure du questionnaire ne s'applique pas dans ces situations.
Ceci étant, je vous indique que le Gouvernement préfèrerait que nous ne touchions pas au texte actuel. Il s'agit d'un arbitrage entre l'urgence et le règlement au fond du problème. Vaut-il mieux adopter un texte rapidement, quitte à ce qu'il ne s'applique pas bien, ou construire un dispositif opérationnel et sécurisé, quitte à retarder sa mise en oeuvre de quelques mois ? J'ai tendance à penser que pour répondre à cette question très médiatique, il est de l'intérêt de tous de la traiter au fond.