A la veille du débat sur le SNIT en séance publique du 15 février dernier, que nous devons à l'initiative du groupe RDSE, je vous avais présenté les conclusions provisoires de notre groupe de suivi, qui tenaient compte des préoccupations que chacun de vous avait pu exprimer par écrit. Nos conclusions provisoires demeurant parfaitement d'actualité, je ne vous les présenterai pas dans le détail mais me focaliserai plutôt sur les dix propositions que notre groupe a formulées dans ce rapport.
Une remarque préalable : l'avant-projet consolidé du SNIT du 27 janvier dernier constitue un progrès indéniable par rapport au « fil de l'eau ». C'est le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) qui l'écrit dans son rapport : le SNIT représente un progrès en matière d'émissions de CO2, de pollution locale de l'air, de report modal, d'emploi, de sécurité, d'accessibilité... Le tout, il est vrai, pour la coquette somme de 260 milliards d'euros, sans compter le coût du Grand Paris Express, qui avoisinerait 30 milliards d'euros. L'avant-projet consolidé marque des progrès, ensuite, sur la version initiale de juillet 2010, quoique nous ayons identifié encore des améliorations possibles.
Je me contenterai donc de vous redire quelles sont nos dix propositions, en tenant compte de l'actualité de ces derniers mois.
Première proposition : nous demandons au Gouvernement de présenter un schéma des besoins de rénovation des réseaux routiers et fluviaux, avec un diagnostic précis et un échéancier des coûts, et nous demandons que le même exercice soit actualisé pour le ferroviaire, après la version présentée en 2005, et ce également par un organisme étranger et indépendant. Nous savions alors parfaitement combien notre réseau ferré demandait à être rénové, mais le recours à l'Ecole polytechnique de Lausanne, pour l'audit, a accéléré la prise de conscience du mauvais état de notre réseau ferroviaire. Pour le réseau fluvial, nous attendons toujours l'audit demandé dans la loi Grenelle I. Mais pour les routes, la situation est préoccupante et nous manquons de données d'ensemble. Nous devons tout faire pour que notre réseau routier ne connaisse pas le même destin que le réseau ferroviaire : nous savons combien les routes comptent pour l'attractivité de notre territoire, donc pour le développement économique et pour l'emploi ! Or, les crédits affectés à l'entretien et l'exploitation du réseau routier national ont baissé drastiquement cette année : avec 302,2 millions d'euros prévus dans le projet de loi de finances, les autorisations d'engagement perdent 100 millions par rapport à 2010, une baisse de 27 % ! Sans compter que les gels budgétaires risquent de s'amplifier pour faire face à la crise de la sécheresse...
Deuxième proposition : dès lors que les collectivités territoriales devront financer plus du tiers des 260 milliards prévus par le SNIT, nous demandons que le Gouvernement conduise une concertation approfondie et pérenne avec les principaux décideurs locaux concernés par le SNIT. Le 15 février dernier, le président Emorine a demandé au Gouvernement de consulter officiellement les élus locaux sur le SNIT et je me félicite du courrier que Mme Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, et M. Thierry Mariani, secrétaire d'État aux Transports, ont adressé dans ce sens aux préfets, le 3 mars dernier. La consultation doit se poursuivre et s'approfondir. Nous sommes très favorables, encore, à l'idée d'une révision régulière du SNIT, à raison d'au moins une fois par législature, donc tous les cinq ans : le contexte et les techniques changent, il faut pouvoir en tenir compte et actualiser nos priorités.
Troisième proposition : dès lors que les ressources publiques sont rares et qu'elles vont le rester pour des années au moins, il faut que le Gouvernement nous informe très précisément sur les crédits qu'il compte mobiliser pour les transports. Mieux, nous demandons qu'il consacre des ressources pérennes à l'Agence pour le financement des infrastructures de transport de France (AFITF), pour sanctuariser les crédits prévus, donc garantir les opérations. Depuis 1945, les grands travaux ont presque toujours nécessité la mise en place de fonds spécifiques, qui ont sanctuarisé les crédits mais qui ont disparu les uns après les autres : de grâce, ne faisons pas disparaître l'AFITF, utilisons-là plutôt davantage et à bon escient ! Or la procédure d'appel d'offres pour la taxe poids lourds connaît un nouveau retard du fait d'un recours devant le juge administratif. Il est possible que l'on perde deux ans dans la procédure, ce qui représenterait un manque à gagner de 2 milliards pour l'État...
Quatrième proposition : le SNIT doit hiérarchiser les projets en fonction de leur bilan économique, social et environnemental pour le pays. Le ministre nous a dit que mobiliser les deux-tiers des 260 milliards prévus, ce serait déjà un bon résultat : je salue ce réalisme. On pourrait adopter la démarche inverse, enregistrer toutes les demandes - à cette aune, je suis facilement parvenu à 350 milliards - mais ce serait illusoire : je préfère que le SNIT, assorti d'une planification financière précise, conserve sa crédibilité, c'est même à cette condition que la stratégie qu'il énonce pour les vingt ou trente prochaines années, aura une chance de se traduire dans les faits. Cependant, la question va se poser dans la hiérarchie des projets, entre la rénovation des réseaux existants et la construction de nouvelles infrastructures. Si nous avions plus de moyens, nous pourrions tout faire ; mais nous savons bien que la réalité est autre, et que nous devrons arbitrer entre plusieurs priorités. Et l'AFITF pourrait à cet égard jouer un rôle de conseil auprès du Gouvernement. Elle pourrait, par exemple, lui proposer une liste de priorités, la décision restant, bien entendu, entre les mains du politique. Nous l'avons proposé en auditionnant M. Dominique Perben, candidat à la présidence de l'AFITF : ce rôle de conseil fera que l'Agence ne sera pas qu'une « boîte aux lettres », comme la Cour des comptes en a fait le reproche, pour en suggérer la suppression.
Cinquième proposition : nous demandons que le Gouvernement présente une deuxième liste de projets hiérarchisés, qui réponde à une logique d'aménagement du territoire, avec une lecture raisonnable des critères du Grenelle pour augmenter les capacités routières quand il n'y a pas d'alternative de transport pertinente. L'article 10 de la loi Grenelle I dispose que l'augmentation des capacités routières doit être limitée au traitement des points de congestion, des problèmes de sécurité ou des besoins d'intérêt local et d'aménagement du territoire. Mais entre le « tout routier » des Trente Glorieuses, et « la fin des routes » que nous promettent certains, il existe une troisième voie : celle de l'aménagement équilibré du territoire, qui est une politique régalienne de l'État. Le désenclavement des territoires passe aussi, qu'on le veuille ou non, par l'aménagement de routes existantes.
Quant au dossier de la A 51 que défend notre collègue Pierre Bernard-Reymond, je continue de penser que le chainon manquant doit être achevé, comme l'autorise d'ailleurs la loi Grenelle I, d'autant qu'un débat public a déjà eu lieu sur ce projet. Ce n'est pas une remise en cause du Grenelle de l'environnement que nous souhaitons, car la réalisation de quelques projets routiers répondant à une logique d'aménagement du territoire ne modifiera pas l'impact écologique global du schéma, ni son équilibre financier. La majorité des contributions écrites que j'ai reçues appellent à un assouplissement des critères routiers : nous devons passer ce message empreint de sagesse au Gouvernement.
Sixième proposition : le groupe de suivi demande au Gouvernement d'engager, dès la prochaine loi de finances, des crédits d'études pour établir les cahiers des charges des 11 projets de désenclavement routier visés par la nouvelle fiche ROU 6 de l'avant-projet consolidé. Parmi ces projets, on trouve la RN 21, chère à notre collègue Raymond Vall. Nous devons maintenir nos efforts pour que cette proposition aboutisse.
Septième proposition : le groupe de suivi demande une évaluation des externalités négatives générées par le transport routier de marchandises tant au niveau français qu'européen. La récente proposition de résolution européenne adoptée sur la refonte du premier paquet ferroviaire reprend cette idée et je m'en félicite. Je remercie d'ailleurs Francis Grignon, rapporteur de cette proposition de résolution, d'avoir cité notre groupe de suivi comme source d'inspiration de cette proposition. Je préférerais toutefois que cette évaluation soit réalisée dans les meilleurs délais par un organisme indépendant extérieur plutôt que par la Commission européenne.
Huitième proposition : maintenir, voire renforcer les crédits dédiés à la régénération du réseau ferroviaire et introduire une annexe récapitulant les efforts conséquents de l'État et de Réseau ferré de France (RFF) en matière de régénération ferroviaire. Le Gouvernement a engagé un effort sans précédent pour régénérer le réseau ferré depuis l'électrochoc de l'audit de 2005. En effet, le niveau de régénération atteint 1000 kilomètres par an pour l'ensemble du réseau, contre 500 il y a peu. D'ici 2015, voire 2012, le vieillissement du réseau pourra être stoppé.
Neuvième proposition : inscrire clairement le SNIT dans une démarche européenne au travers du Réseau transeuropéen de transport (RTE-T) et relancer l'activité des ports français et du fret ferroviaire. Je ne souhaite pas anticiper sur les conclusions du groupe de travail « réforme portuaire » que nous présentera notre collègue Charles Revet début juillet. Mais force est de constater que les investissements portuaires manquent d'ambition dans le SNIT : 2,8 milliards d'euros en 30 ans, c'est 2 % seulement de l'enveloppe du SNIT consacrée aux projets de développement, et c'est moins que le projet en cours Maasvlakte II de Rotterdam, qui représente à lui seul 3 milliards d'euros pour agrandir le port hollandais.
De plus, la dimension européenne n'est pas suffisamment mise en avant dans le schéma. Pas un mot ou presque sur le RTE-T, alors que 8 des 30 projets actuels prévus par ce réseau concernent directement la France. Une révision du réseau est en cours, et il semble acquis que le réseau central sera défini à partir des ports et reposera principalement sur le ferroviaire et le fluvial. Il est regrettable que l'élaboration du SNIT n'ait pas donné l'occasion au Gouvernement de négocier certains projets transfrontaliers concernant les ports français.
Dixième et dernière proposition : le ministère doit améliorer l'évaluation environnementale du SNIT, notamment en termes de méthodologie, en suivant l'avis de l'Autorité environnementale, et en mettant l'accent sur une approche territoire par territoire. Disons le clairement : le SNIT, à lui seul, ne permettra pas de remettre en cause l'hégémonie de la route. S'agissant du trafic de marchandises, la route représente une part modale de 82 % en 2002. Sans intervention des pouvoirs publics, cette part se maintiendrait au même niveau en 2030. Le SNIT devrait l'abaisser à 80 %, contre 81 % si on avait réalisé les projets prévus par le CIADT de 2003. C'est peu me dira-t-on. C'est vrai. Doit-on pour autant abandonner le SNIT ? Surtout pas, car le ministère pêche par excès de modestie en sous-estimant l'impact du schéma, pour des raisons liées à ses spécificités mais aussi aux limites du modèle économétrique choisi, MODEV.
Quelles sont les spécificités du SNIT ? Tout d'abord, la liste des projets qu'il établit n'est pas exhaustive : elle ne comprend pas le projet du Grand Paris Express ni la LGV Paris-Normandie. Ensuite, certaines données élémentaires sont absentes pour les projets peu avancés. Surtout, le calendrier de réalisation des projets demeure inconnu, ce qui empêche de prendre en compte les effets de réseau. Enfin, les effets de rupture dans le comportement des usagers ne font l'objet d'aucune estimation, alors qu'ils ont été déterminants dans la mise en oeuvre du bonus-malus automobile.
Quant aux limites du modèle économétrique MODEV, qui a été utilisé par le Gouvernement, elles sont nombreuses. Le modèle ne retient que 1 % des trajets de voyageurs, ceux qui correspondent à des distances de plus de 50 kilomètres ! Et il ne prend pas en compte les interactions entre les nouvelles infrastructures et les demandes des usagers.
Nous tirons de ce constat deux conclusions. La première, c'est que le ministère doit poursuivre l'amélioration de ses outils de modélisation, en suivant l'avis de l'Autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). La seconde, c'est que l'effort sur les infrastructures ne peut à lui seul provoquer un report modal d'envergure. Il faut des politiques publiques volontaristes, en prenant exemple sur l'Allemagne ou la Suisse qui ont connu de véritables transferts modaux. Les leviers d'action sont connus : création de puissantes plates formes intermodales, mesures fiscales (TIPP, taxe carbone ou encore péages urbains), subventions aux modes alternatifs à la route, comme les transports en commun en site propre, et surtout aides pour les voitures propres. Un chiffre suffit à montrer l'enjeu des voitures propres : le progrès technologique sur les véhicules devrait permettre d'abaisser les émissions de CO2 de 23 millions de tonnes entre aujourd'hui et 2030. La route continuera d'être prépondérante, mais le progrès technologique permettra de lutter contre les gaz à effet de serre.
Un mot enfin sur le calendrier du SNIT. Il faut bien avouer que l'adoption du schéma a sans cesse été repoussée, ce qui s'explique par la complexité de l'entreprise, par les consultations nombreuses qui ont été engagées et par les remaniements ministériels. Prévu fin 2009, puis fin 2010, le débat sans vote au Parlement était annoncé avant la fin de l'été. Je souhaite, monsieur le Président, que ce débat ait lieu de préférence d'ici au mois de juillet.