L'excessive instabilité des marchés agricoles, et d'une manière générale, des marchés des matières premières, constitue aujourd'hui un immense défi auquel nous devons apporter des solutions. Les prix de ces produits se caractérisent en effet par une très grande volatilité, exacerbée depuis 2007 et qui déstabilise l'ensemble des agricultures du monde.
Je voudrais tout d'abord très brièvement rappeler quelques repères, simples, qui permettent de se rendre compte de l'ampleur des conséquences d'une telle situation.
La production agricole représente aujourd'hui 1,3 milliards d'emplois à travers le monde. C'est la première activité mondiale. J'ajouterai que plus de 40 % de la population active mondiale dépend directement des marchés agricoles. Quant aux produits de l'agriculture, ils représentent 10 % du commerce mondial.
Vu l'importance de ce phénomène de volatilité des prix, la commission des affaires européennes et la commission de l'économie ont su, une nouvelle fois, travailler ensemble en bonne intelligence sur cette question. Le groupe de travail sur la PAC que nous avons mis en place en mai 2010 avec le président Jean Bizet et co-présidé également avec Mmes Odette Herviaux et Bernadette Bourzai, s'inscrit dans cette logique. Je suis pour ma part très attaché à cette méthode de travail en commun : c'est un bon modèle de fonctionnement qui permet au Sénat de se prononcer en connaissance de cause et avec force.
Cette fois-ci, nous avons choisi, avec M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, de co-signer la proposition de résolution qui vous est présentée aujourd'hui et qui constitue le point d'aboutissement de travaux menés conjointement sur la question de la volatilité des prix agricoles.
Nos deux commissions ont en effet organisé, le 27 avril dernier, une table ronde sur ce thème, qui réunissait l'ensemble des acteurs concernés (la FAO, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, le ministère de l'Agriculture, la FNSEA, l'ANIA ainsi que M. Serge Guillon, contrôleur général et co-auteur avec M. Jean-Pierre Jouyet, d'un rapport relatif à la gestion de l'instabilité des marchés agricoles).
Cette table ronde fut très instructive. Elle nous a permis de mieux cerner les difficultés posées par ce phénomène volatilité des prix, qui, s'il n'est pas ancien, semble aujourd'hui durablement amplifié par la spéculation existant sur les marchés dérivés et qui a des répercussions sur les marchés physiques.
Elle nous a permis aussi de dégager un certain nombre de pistes qui pourraient utilement être prises en compte afin d'atténuer les effets de cette volatilité excessive, qui peuvent être désastreux, vous le savez.
C'est pourquoi mes chers collègues, dans le prolongement de ces travaux, nous avons souhaité déposer une proposition de résolution européenne qui puisse émettre des recommandations en ce sens, en vue notamment du prochain G 20 des 22 et 23 juin 2011.
Je voudrais, mes chers collègues, souligner l'importance de l'imbrication, sur un sujet comme celui-là, de trois niveaux d'action :
- le niveau national : c'est ce que la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP) s'est attachée à faire via la contractualisation, l'encouragement aux assurances contre les aléas climatiques et sanitaires ou encore l'organisation et la structuration de filières ;
- le niveau européen : avec le défi de la PAC pour 2013 ;
- et enfin le niveau international par le biais de la mise à l'agenda des négociations de la question de la volatilité des prix agricoles.
Les défis qui devront être abordés lors de ce sommet sont au nombre de quatre.
Le premier défi concerne la solidité de la croissance économique. Les fluctuations excessives des prix génèrent de l'incertitude et le manque de transparence des marchés des matières premières en général et des produits agricoles en particulier accentuent ce phénomène.
Le second défi concerne la sécurité alimentaire. Environ quarante pays ont connu des émeutes de la faim en 2007-2008 suite à la flambée des prix de plusieurs produits de base comme le blé ou le riz. Or les niveaux atteints aujourd'hui s'en rapprochent dangereusement.
Le troisième défi est celui de la libéralisation des marchés, qui a marqué la période récente et changé le contexte institutionnel. Le retrait de l'intervention publique s'est traduit principalement par la diminution des stocks, qui connaissent donc aujourd'hui des niveaux historiquement bas. Cette diminution a rendu les marchés très sensibles aux chocs externes.
Ce constat est apparu très clairement lors de notre table ronde : les réformes de la PAC ont accru le phénomène de volatilité des prix agricole. L'idée directrice a été le recul de toute forme de régulation. Les prix réglementés ont disparu et les stocks ont fondu, avec l'idée que les phases de baisse des prix permettraient de faire émerger des champions compétitifs tandis que les phases de hausse des prix permettraient d'engranger des bénéfices. Cette alternance constitue en réalité le fondement même du fonctionnement des marchés financiers.
Le dernier défi, d'ailleurs, porte sur la financiarisation des marchés des matières premières agricoles.
Plusieurs éléments y ont contribué. Les fondamentaux poussent à une hausse du prix des produits agricoles, ce qui ne peut qu'inciter les placements dans ces valeurs. De même, le prix des produits agricoles et le prix des autres matières premières ont été de plus en plus liés. Cela a conduit les opérateurs financiers à proposer des placements constitués de panels de matières premières regroupant à la fois métaux, énergie et produits agricoles.
La spéculation fut d'ailleurs une question centrale de la table ronde. Si la volatilité des prix est structurelle, tous les économistes s'accordent à dire que la spéculation contribue à amplifier ce déséquilibre. Mais la spéculation vient moins de la hausse elle-même que du risque de l'anticipation. Alors que jusque dans les années 2000, les agriculteurs pouvaient espérer vendre une récolte sur pied à un horizon d'un an, aujourd'hui, on prend des options sur les récoltes de 2013, soit deux ans à l'avance !
A ces quatre défis, on peut ajouter les initiatives individuelles qui accentuent parfois l'instabilité, comme les restrictions aux exportations par exemple. C'est ce qu'on a vu au cours de l'été 2010 en Russie : à la suite d'une flambée des prix provoquée par des prévisions de mauvaises récoltes, le gouvernement a instauré un embargo sur ses exportations de blé, ce qui a amplifié la hausse des prix.
Par ailleurs, la situation actuelle ne semble pas devoir s'améliorer dans les années qui viennent.
En effet, d'après les prévisions d'un rapport commun, l'OCDE et la FAO considèrent que les prix réels et nominaux des produits agricoles baisseront par rapport aux niveaux record atteints au début de 2008 mais qu'ils resteront plus élevés pendant les dix prochaines années que pendant la décennie précédente.
D'autres éléments vont dans le même sens : ainsi la demande de biocarburants et le prix élevé du pétrole devraient entraîner un maintien des prix à un niveau tout de même élevé.
De la même manière, la conjugaison de la demande croissante provenant d'Asie et des pays émergents et de la croissance démographique importante laissent entrevoir une accentuation de la variabilité des prix sur les marchés agricoles.
A cela s'ajoute enfin l'intensification des aléas climatiques qui laisse penser que du côté de l'offre aussi l'instabilité devrait s'accroître toujours davantage.
Autant d'éléments qui prouvent que la définition d'une réponse coordonnée au niveau international est aujourd'hui indispensable.
J'ajouterai pour finir que si l'on parle souvent de l'importance des marchés de matières premières, il me paraît néanmoins important d'étudier spécifiquement les marchés de produits agricoles.
Mais je laisse la parole à M. Jean Bizet pour présenter notre proposition de résolution.