Intervention de Thierry Maudet

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 17 février 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Thierry Maudet directeur général de l'institut national du sport de l'expertise et de la performance insep

Thierry Maudet, directeur général de l'INSEP :

Je suis très heureux d'être des vôtres et de vous retrouver, Madame la Présidente, ainsi que Mme Laborde, que j'ai également eu la chance de côtoyer en Midi-Pyrénées alors que j'exerçais la responsabilité de Directeur régional de la jeunesse et des sports. Les femmes que j'ai rencontrées au cours de ma vie professionnelle m'ont fait progresser - je n'ai plus mes gros sabots... Je suis animé de beaucoup de conviction, mais de peu de certitudes : j'ai toujours plaisir à échanger pour avancer.

L'INSEP est un lieu d'accueil pour les sportifs et sportives de haut niveau, qui peut compter sur des installations de 28 hectares dans le bois de Vincennes. « L'ancêtre » de l'établissement remonte à 1852. Ses évolutions traduisent le rapport qu'au travers du temps le sport entretient avec la société. L'INSEP, à l'origine, entraînait physiquement, par la gymnastique et, à partir de 1872, l'escrime, de jeunes soldats qui, après la pacification des relations avec l'Angleterre se préparaient à affronter la Prusse puis l'Allemagne. La santé, Ministère auquel il a d'ailleurs été rattaché très récemment (Ministère de la Santé et des Sports) par l'un de ces hasards de l'organisation des ministères, est devenue une préoccupation essentielle après la période douloureuse de la première guerre mondiale. Le troisième temps fut celui de la relation du sport avec l'éducation. A partir des années 1960-1970, avec la médiatisation croissante d'événements sportifs majeurs (les Jeux olympiques notamment), le sport de haut niveau est devenu pour lui-même une finalité : accéder aux plus hautes marches des podiums a été l'aspiration principale. Mais l'inflexion, spécifiquement française, est demeurée, celle du « double projet » : devenir un sportif ou une sportive de haut niveau enregistrant des résultats remarquables, mais poursuivre aussi des études pour entrer dans une vie active de femme ou d'homme, et la réussir. C'est d'ailleurs devenu une gageure - un « challenge » pour rester dans la sphère sportive - de combiner l'entraînement, dont les volumes n'ont fait que croître, avec un parcours suivi d'études. La gymnastique rythmique réclame 36 heures d'entrainement par semaine, six jours sur sept. Trouver encore la place nécessaire pour les études demande souvent des trésors d'ingéniosité. D'autant que les déplacements à l'étranger se multiplient au même rythme que se charge le calendrier des manifestations internationales - Madame Marie-Georges Buffet avait tenté d'enrayer cette tendance en s'attaquant à la question des calendriers internationaux. Chaque discipline clonant l'autre, les compétitions de judo ont adopté le mécanisme du grand chelem sur le modèle des quatre tournois majeurs du tennis ; les pongistes sont absents jusqu'à 140 jours par an... L'économie du sport est à l'image de l'économie du monde : les circuits asiatiques se sont considérablement développés. De très nombreux tournois sont organisés à Pékin, à Shanghai, à Hong-Kong, à Singapour, à Séoul ainsi que dans les pays du Moyen-Orient.

Nos dispositifs de formation d'enseignement ont donc dû très sérieusement s'adapter. L'INSEP développe des outils très performants de formation ouverte et à distance (FOAD, e-learning). Reste qu'il devient difficile d'expliquer à de jeunes gens âgés de 15 ou 16 ans, qui viennent souvent de milieux déstructurés et commencent déjà à gagner confortablement leur vie qu'il faut qu'ils passent aussi leur bac... Le « double projet » est donc toujours d'une grande actualité, aujourd'hui comme demain, mais est plus complexe à mettre en oeuvre : il faut et faudra bien des adaptations.

L'INSEP accueille 630 sportifs de haut niveau, dont 400 internes (250 majeurs et 150 mineurs) et 230 au sein de 27 pôles France. L'objectif est d'atteindre le plus haut niveau pour participer aux Championnats du Monde et aux Jeux Olympiques et Paralympiques. C'est la quadrature du cercle que de combiner pratiques sportives et études, tant doivent être diverses les offres de formation et adaptées les façons de les dispenser. Entre cours et entraînements, les charges de travail de nos pensionnaires sont comparables voire supérieures à celle des petits rats de l'Opéra ou des élèves de classe préparatoire.

Nous offrons un ensemble de services : 305 agents permanents, formateurs, enseignants, chercheurs, médecins, kinés, ... sont là pour préparer les athlètes toute l'année. C'est là un dispositif assez unique au monde, que l'on ne retrouve pas aussi développé dans les établissements dits homologues à l'étranger - Australie, Suisse, États-Unis, Japon, ... - qui restent prioritairement des lieux de regroupements ponctuels.

L'autre volet de notre action concerne la formation des cadres supérieurs du sport, entraîneurs, managers, ... déterminants dans la performance de nos sportifs et sportives. Avec 63 millions d'habitants, la France se classe selon les années au cinquième, sixième ou septième rang mondial. Elle s'en sort très bien, certes loin derrière la Chine ou les États-Unis, avec lesquels il est difficile de lutter, mais devant l'Espagne ou l'Italie. Nous le devons beaucoup à la qualité de notre encadrement.

Le sport reste-t-il une affaire d'hommes ? Les instances dirigeantes de l'INSEP ont été très récemment renouvelées, en avril 2010, conformément aux dispositions du décret du 25 novembre 2009 qui a transformé l'institut, d'établissement public administratif (EPA), en établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Le Conseil d'Administration, de 27 membres, compte 22 hommes pour 5 femmes ; le conseil scientifique, médical et de formation, 24 hommes pour 3 femmes ; le conseil de la vie du sportif et du stagiaire instance interne, 11 hommes pour 7 femmes. Malgré les renouvellements intervenus en 2010, les pourcentages de femmes restent donc modestes : respectivement 19 %, 12 % et 39 %.

Dans l'organigramme, en revanche, proche de la parité, l'égalité semble mieux assurée. Il y a autant de femmes que d'hommes. L'égalité paraît « parfaite ». Mais si l'on y regarde de plus près, ainsi que je l'ai fait pour préparer le premier bilan social de l'établissement qui sera présenté lors de la prochaine réunion du comité technique paritaire, on s'aperçoit que les femmes sont sous-représentées dans les emplois de catégorie A - 72 femmes pour 112 hommes - et beaucoup plus nombreuses au sein des catégories B et C (85 femmes pour 48 hommes) - ... Si l'on observe les chiffres par secteur, notre « coeur de métier », la performance, mobilise à peu près deux tiers des effectifs, les fonctions support à peu près un autre tiers. Une petite dizaine de personnes travaillent pour la communication, les relations internationales et le développement. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses dans les fonctions support, la directrice générale adjointe est une femme ; aux ressources humaines (9 personnes, 9 femmes), au service économique et financier (13 personnes, 10 femmes). Les hommes restent plus nombreux dans les services techniques, ce que ne saurait expliquer, à elle seule, la pénibilité... Dans le secteur constituant notre coeur de « métier », performance, entraînement et formation, si les effectifs sont assez sensiblement équilibrés (114 hommes, 94 femmes), il n'en reste pas moins que le directeur général adjoint est un homme ; c'est le cas de son collaborateur direct et des trois chefs de mission ainsi que les deux coordonnateurs du réseau national du sport de haut niveau. Pour trouver des femmes « aux manettes », il faut descendre à la strate des services (3 sur 6 ce qui en soi n'est pas mal). C'est dire que restent encore des marges de progression...

Parmi les 630 sportifs et sportives que nous accueillons en permanence, le rapport est de 60 % d'hommes pour 40 % de femmes. Mais l'encadrement de la performance ne reflète pas ce ratio : sur les 470 cadres, dont 150 permanents, qui travaillent auprès des athlètes, 385 sont des hommes. Nos sportifs et sportives de haut niveau ne sont donc encadrés que par 18 % de femmes ; seuls 4 de nos 27 pôles France sont dirigés par des femmes. Le « bilan » reste donc modeste.

Menons-nous des actions spécifiques en faveur de la parité ? La réponse est non : nous n'avons pas d'approche spécifique, structurée, permanente, inscrite dans le long terme pour faire évoluer les ratios. Autant les choses tendront à s'équilibrer d'elles-mêmes dans certains secteurs, tels la formation, autant d'autres, comme l'entraînement, n'évolueront pas, à mon analyse, sans des mesures plus « radicales ».

Et du côté des athlètes ? Nos contraintes d'adaptation sont, je l'ai dit, très spécifiques. Notre groupe de jeunes filles en gymnastique rythmique (GR) se prépare pour les qualifications aux Jeux Olympiques à l'occasion des championnats du monde : les volumes d'entraînement sont importants. La scolarité est réduite à deux heures par jour, avec cependant un « lissage » sur l'année, y compris donc pendant les petites et les grandes vacances. Ces jeunes filles rentrent peu chez elles. Il faut qu'elles soient très solides pour supporter un tel rythme. Or le sport féminin est rarement professionnel, hormis quelques « niches » comme le tennis, la natation, le tennis de table, le ski... Il est et reste très peu médiatisé. Il est donc rare que les jeunes filles puissent « vivre de leur art » : elles doivent penser plus encore que les hommes aux études et à leur insertion professionnelle. Et personne n'est à l'abri d'un accident. Je pense ici à Emilie Le Pennec, championne olympique en 2004 aux Jeux Olympiques de Pékin de gymnastique artistique féminine (GAF) qui, blessée lors des années précédant les jeux de Pékin (2008), s'est rendu compte qu'elle ne pourrait poursuivre. Grâce à l'accord passé entre l'établissement et l'école de kiné de Saint-Maurice, elle a pu se reconvertir. Elle est aujourd'hui kinésithérapeute. Il faut aussi savoir accepter de descendre du podium. Ce n'est pas toujours chose facile. Les jeunes filles y sont plus exposées. En judo, nous pouvons compter sur deux athlètes exceptionnels, Teddy Riner et Lucie Décosse. Dans les médias, on entend davantage parler de lui que d'elle... Qui connaît Amélie Cazé, trois fois championne du monde et deux fois championne d'Europe de pentathlon ? Et Maureen Nisima, sacrée championne du monde d'escrime il y a quelques mois, au Grand Palais ? Pour une Laure Manaudou, une Isabelle Autissier, une Marie-Jo Pérec ou une Amélie Mauresmo, combien d'athlètes aussi brillantes que les hommes, et assujetties aux mêmes charges d'entraînement et de déplacements, n'atteignent pourtant qu'une bien moindre notoriété ? Hormis le tennis et la natation, le sport féminin est moins médiatisé, et les sportives ont plus de mal à « faire fructifier » leur image. Voyez les sports collectifs : nos équipes féminines de football, de rugby, de handball, pour ne citer qu'elles, ont du mal à émerger dans le grand public malgré leur talent. Il faut bien entendu mettre en valeur les réussites. C'est ce que nous faisons à l'INSEP, mais sans jamais négliger le « double projet », si crucial pour les jeunes filles. C'est pourquoi nous mettons en place des parcours comme cette promotion d'une vingtaine d'élèves pour les métiers du journalisme qui les intéressent beaucoup.

Pour autant, bien des pays ont compris qu'il est très important d'investir sur les filles en matière de résultats qui se comptent en nombre de médailles. Le succès aux Jeux Olympiques de pays comme la Chine, la Corée du Sud ou les États-Unis leur sont très largement imputables. Aux derniers JO, les Chinoises ont remporté plus de médailles que les Chinois. Si nos derniers résultats ont été décevants (7 médailles pour les filles sur un total de 41), il ne faut pas trop « théoriser » en les imputant à des causes structurelles, car certains échecs individuels ont compté pour beaucoup. Reste que nous avons encore, au regard des pays que j'ai cités, des marges de progression.

Le vrai sujet, pour moi, est bien celui de la formation, afin que davantage de femmes accèdent aux responsabilités d'encadrement de la pratique de haut niveau. Mais pour y parvenir, il faut que davantage de femmes soient volontaires pour se former et que davantage de responsabilités leur soient confiées : on rejoint là le fameux « plafond de verre » qui marque les relations dans le monde du travail. Dans les pays nordiques, on voit des femmes sur le banc des entraîneurs ; chez nous, les équipes féminines sont très souvent entraînées par des hommes. Et même les fédérations sportives à majorité de licenciées féminines sont présidées par des hommes... Y a-t-il là une fatalité ? ....

Nous travaillons beaucoup sur le sujet des conseillers techniques sportifs (CTS), fonctions au sein desquelles les femmes sont trop peu représentées. Bien peu accèdent aux responsabilités de directrice technique nationale (DTN). De manière générale, au sein de l'INSEP, les jeunes filles et les femmes sont davantage présentes dans les formations générales, scolaires et universitaires, alors que les hommes restent très majoritaires dans les formations professionnelles. Améliorer l'accès des femmes à ces formations professionnelles semble un « bon angle d'attaque » pour faire progresser leur cause. Au total, il y a de l'ouvrage sur le métier : il faut que l'action de Monique Amiaud, ici présente, soit beaucoup plus que du simple « poil à gratter »...

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