Il n'en demeure pas mois que Bourbaki a joué un rôle extrêmement important. Si beaucoup se définissent en réaction à son égard, il fait partie du patrimoine français. Il a eu le mérite d'installer un haut niveau de rigueur et d'introduire la notion d'unité au sein d'une partie des mathématiques, les mathématiques pures, essentielles à l'époque et qui n'empêchaient pas les passerelles. L'on peut dès lors parler de « la mathématique », singulier que certains jugent pédant mais qui permet d'insister sur l'unité, alors que le pluriel met l'accent sur la diversité.
Bourbaki participe également d'un esprit français. Les goûts varient d'un pays à l'autre et les Français sont réputés extrêmement abstraits - à mon avis, ils sont les plus abstraits du monde, à l'exception des Japonais -, ce qui n'empêche pas un rapport très fort à l'application. Le goût français conduit peut-être à la bonne combinaison entre abstraction et applications, ce qui s'avère particulièrement efficace, Yves Meyer en est un exemple extraordinaire.
Les liens entre mathématiques et industrie sont très variables. M. Birraux a souligné que l'utilité, en mathématiques, n'est pas évidente immédiatement. Cependant, au-delà de la forme, du goût, de l'esthétique, la formation de l'esprit est utile dans toutes les branches. Beaucoup d'entreprises gagneraient à embaucher des mathématiciens, quitte à les employer sur des sujets très étrangers à leurs spécialités. Je me souviens avoir rencontré, à l'occasion d'un colloque, en Islande, une équipe de jeunes gens aux dents longues, qui travaillaient dans une banque à la croissance extraordinairement rapide, et une bonne partie d'entre eux étaient des docteurs en physique théorique. S'ils étaient employés à des tâches très éloignées de leur formation, leur cerveau avait été modelé par des années de thèse, de travail et d'inventivité. Vous m'objecterez peut-être que leur activité n'a pas tellement profité à l'Islande et que cet exemple est déplacé par les temps qui courent, mais c'est un autre problème...