Selon moi, la sélection par les mathématiques est une spécificité à maintenir, parce qu'elle tire tous les scientifiques, même si l'on ne s'en rend pas compte. Une bonne partie des scientifiques français, y compris parmi les biologistes, sont passés par le moule des classes préparatoires aux grandes écoles. Dans mon domaine, les sciences de la terre, plus précisément la climatologie, les aspects expérimentaux revêtent une grande importance mais les aspects théoriques, comme la modélisation, le sont tout autant. Si les ingénieurs français réussissent aussi, c'est sans doute parce qu'ils n'ont pas peur de la théorie, des formules un peu élaborées, même si les mathématiques que nous utilisons sont évidemment rudimentaires par rapport à celles que vous pratiquez. C'est une caractéristique du système scientifique français.
L'excès de formalisme nous a fait perdre beaucoup de bons scientifiques potentiels. Peut-être est-il déplacé de le dire mais « La Main à la pâte », en quelque sorte, a été créée en réaction à cette réalité. C'est la quadrature du cercle : il faut attirer les jeunes vers les sciences par l'expérimentation puis leur montrer tout ce que les mathématiques apportent. L'excellence des mathématiques françaises est une chance extraordinaire : elle irrigue toute la communauté universitaire et maintient un équilibre entre aspects théoriques et expérimentaux. Dans un système qui pousse plutôt à l'uniformisation internationale, la difficulté consiste à ne pas sacrifier la dimension fondamentale. De même, quoique cette architecture soit un peu complexe, nous devons tenter de concilier les avantages respectifs des universités et des grandes écoles. Cette remarque intéresse au premier chef les mathématiciens professionnels mais l'ensemble de la science est concernée.