Intervention de Michel Boutant

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 juillet 2009 : 1ère réunion
Loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 — Examen des amendements au texte de la commission

Photo de Michel BoutantMichel Boutant :

A la suite de cette présentation, M. Michel Boutant a rendu compte du séjour de deux jours des deux sénateurs à bord de la frégate « Aconit » de la marine nationale participant à l'opération de l'Union européenne « Atalanta » de lutte contre la piraterie dans le Golfe d'Aden.

En 2008, plusieurs navires de commerce, des pétroliers, mais aussi des voiliers de plaisance français, comme le « Ponant », le « Carré d'as » ou le « Tanit » et même un cargo ukrainien, le « Faina », transportant 33 chars d'assaut et des armes lourdes, ont fait l'objet d'attaques de pirates dans le Golfe d'Aden.

Il a indiqué que, dans les années 1990, la piraterie touchait essentiellement l'Asie du Sud-Est, et en particulier le détroit de Malacca en mer de Chine, mais que depuis quelques années, les zones à risques s'étaient déplacées vers la Corne de l'Afrique, et singulièrement les côtes somaliennes et le Golfe d'Aden, ainsi que le Golfe de Guinée.

Il a souligné que le Golfe d'Aden constitue la principale route maritime entre l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie, par laquelle transitent chaque jour en moyenne quarante-cinq navires, leur permettant un gain de temps de quatorze jours par rapport au Cap de Bonne Espérance.

a précisé que la piraterie dans le Golfe d'Aden avait littéralement « explosé » en 2008, puisque, selon le bureau maritime international, l'an dernier, 111 navires avaient subi des attaques, 42 avaient été capturés et 815 personnes avaient été prises en otage.

a estimé que ce phénomène s'expliquait essentiellement par la situation interne de la Somalie où, depuis 1992, une guerre civile oppose différentes factions.

Il a indiqué que ce pays était actuellement divisé entre le Somaliland, une province du Nord qui a déclaré son indépendance, le Puntland, une autre province qui revendique son autonomie, et le Sud du pays, qui est aux mains des milices islamistes, le gouvernement fédéral transitoire, mis en place sous l'égide de l'ONU en 2004 ne contrôlant en réalité qu'une partie de la capitale, Mogadiscio.

Etant donné que la Somalie est dépourvue d'Etat, le pays ne dispose plus d'aucune autorité armée, police ou de garde-côtes pour faire régner l'ordre public.

a rappelé que la Somalie était un des pays les plus pauvres du monde, le revenu moyen ne dépassant pas un dollar par jour, et que, avec les prises d'otage, les pirates somaliens pouvaient espérer toucher une part de la rançon atteignant jusqu'à 100 000 dollars.

Il a précisé que le montant des rançons versées par les armateurs en 2008 était estimé de 30 à 50 millions de dollars, alors que, en comparaison, le budget de la province du Puntland ne s'élève qu'à 15 millions de dollars.

a indiqué que, si les premières attaques étaient relativement rudimentaires, ces pirates s'étaient progressivement organisés, avec une séparation entre les commanditaires, les attaquants et les négociateurs de la rançon.

Concernant leur manière de procéder, en règle générale, les pirates disposent d'un « boutre » ou « bateau mère », permettant de mener des attaques loin des côtes et qui remorque deux ou trois « skiffs », équipés d'un moteur de hors-bord rapide.

Il a précisé que le choix des bateaux visés dépendait essentiellement de deux caractéristiques, la hauteur et la vitesse, car plus un bateau est bas et lent, plus il est facile à attaquer.

Il a indiqué que les voiliers de plaisance constituaient une cible de choix, en raison de la « valeur » des passagers retenus en otage, mais que les pirates s'attaquaient aussi aux porte-containers, aux pétroliers et qu'ils s'en étaient même pris à une frégate avant de s'apercevoir de leur erreur.

En outre, il a indiqué que les attaques semblaient désormais s'étendre à la Mer Rouge, au Golfe persique et à l'océan Indien, au large des Seychelles, où plusieurs attaques avaient eu lieu contre des thoniers français et espagnols.

a indiqué que, face à ce phénomène, l'Union européenne avait mis en place sa première opération navale de lutte contre la piraterie maritime dénommée « Atalanta » ou « EU NAVFOR » dans le Golfe d'Aden.

Il a rappelé que, approuvée par le Conseil le 10 novembre 2008, l'opération « Atalanta » de l'Union européenne avait été officiellement lancée en décembre 2008, sous présidence française de l'Union européenne.

Il a rappelé que l'opération « Atalanta » reposait sur deux résolutions des Nations unies, et que ses trois missions étaient d'assurer en premier lieu la protection des navires du programme alimentaire mondial transportant des vivres à destination de la Somalie, en deuxième lieu, la sécurité des navires marchands « les plus vulnérables » contre les actes de piraterie, et, enfin, la dissuasion et l'arrestation des pirates. En revanche, en cas de prise d'otage, l'Union européenne n'est plus compétente, puisque c'est alors à l'Etat de pavillon ou à l'Etat dont les otages sont les ressortissants de s'efforcer d'obtenir leur libération.

Il a précisé que l'opération était dirigée par un état-major multinational basé au Royaume-Uni, à Northwood, et commandé par un contre-amiral britannique, avec une base arrière située sur l'aéroport militaire de Djibouti et bénéficiant du soutien logistique de la base militaire française.

Ses moyens sont montés en puissance progressivement, puisque, disposant seulement de trois navires de guerre en décembre 2008, elle en comptait aujourd'hui une douzaine (français, espagnols, allemands, suédois, italien et grec), ainsi qu'une dizaine d'hélicoptères embarqués et trois avions de surveillance.

L'Union européenne n'est pas la seule force présente dans cette zone, puisque on y trouve aussi la « Task Force 150 », dans le cadre de l'opération « Enduring Freedom » de lutte contre le terrorisme, coordonnée par les Etats-Unis, à laquelle participent plusieurs pays, comme le Canada, le Royaume-Uni mais aussi la France, une autre coalition, « la Task force 151 », dédiée à la lutte contre la piraterie, et qui comprend essentiellement des navires américains et turcs, mais aussi l'OTAN et même d'autres bâtiments de guerre qui escortent les navires de leur pavillon, comme la Russie, la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud ou l'Iran.

Toutefois l'Union européenne dispose d'un réel avantage par rapport aux autres forces, puisqu'elle est la seule à avoir signé des accords avec certains pays, comme le Kenya, permettant de traduire en justice les pirates capturés.

L'Union européenne a également mis en place un centre de sécurité maritime pour la Corne de l'Afrique, qui permet, grâce à un site Internet sécurisé, d'informer les navires marchands transitant dans la région des attaques récentes et de la position des navires et de leur donner des conseils en cas d'attaques de pirates. De même, deux corridors sécurisés, l'un descendant, l'autre montant, ont été mis en place dans le Golfe d'Aden, avec un système de surveillance, ce qui a permis de limiter considérablement le nombre d'attaques.

a estimé que l'opération « Atalanta » constituait un réel succès pour l'Union européenne et pour la politique européenne de sécurité et de défense.

Il a souligné que, fin mai 2009, l'opération avait permis de procéder à plus d'une centaine d'arrestation de pirates, la plupart ayant été remis au Kenya. Devant ce succès de l'opération, les ministres de l'Union européenne ont décidé, en mai dernier, de la prolonger d'une année, et d'étendre son mandat vers l'océan Indien, au large des Seychelles, en raison de l'augmentation des attaques dans cette zone, où sont présents de nombreux plaisanciers, des thoniers français et espagnols et des paquebots de croisière.

Il a toutefois regretté l'absence de drones qui permettraient une surveillance plus étendue et a souhaité une meilleure coordination entre l'Union européenne et les autres forces multinationales présentes dans cette zone.

Enfin, il a mentionné, dans le cas de la France, une lacune juridique.

Il a rappelé que notre pays disposait jusqu'à une date récente d'une loi de 1825 sur la piraterie mais que cette loi avait été abrogée en 2007. La répression de la piraterie en haute mer, à la différence du trafic de stupéfiants par exemple, est bien autorisée par la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay, mais rien n'est prévu dans notre droit concernant les conditions d'arrestation des pirates et de rétention sur les bâtiments de guerre. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme de 2008 (« Medvediev ») a mis en évidence les fragilités du droit français, en particulier concernant l'encadrement de la rétention à bord des navires de guerre des pirates capturés et l'intervention de l'autorité judiciaire.

Il a précisé qu'un projet de loi était en préparation pour combler cette lacune.

Il a également mentionné la proposition prévoyant la présence à bord des bâtiments de la marine nationale de gendarmes maritimes, qui, à la différence des autres militaires, disposent de la qualité d'officier de police judiciaire.

Enfin, il s'est interrogé sur l'efficacité à moyen terme de la lutte contre la piraterie.

Il a estimé que, sauf à maintenir en permanence une flotte de guerre imposante, le risque était grand en effet de voir ce phénomène s'étendre et changer de nature, avec des techniques et des armes de plus en plus sophistiquées.

Il a estimé que, face à la piraterie, l'action en mer n'était pas suffisante et qu'il fallait attaquer le mal à sa racine, c'est-à-dire agir pour favoriser la stabilisation politique de la Somalie et la reconstruction de cet Etat en assurant des conditions de vie décentes à sa population.

Enfin, M. Michel Boutant a tenu à rendre hommage au commandement et aux marins de la frégate « Aconit », qui réalisent un travail remarquable au service de la France et des Français.

A la suite de ces présentations, un débat s'est engagé au sein de la commission.

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