Merci de votre invitation, c'est toujours un plaisir d'y répondre parce qu'au Sénat, vous savez prendre le temps nécessaire aux réformes, ce qui est particulièrement important pour des sujets qui, comme la retraite, touchent à la société tout entière.
A Force ouvrière, malgré notre image d'opposants systématiques à la réforme des retraites, nous sommes conscients de la nécessité d'une réforme permanente de notre système de retraite, en particulier pour l'adapter à l'allongement de la durée de la vie. Nous déplorons en fait le caractère anxiogène des réformes avancées par le Gouvernement, où les options sont présentées comme devant inéluctablement entraîner des changements de fond.
Sur la forme même de la concertation - je parle de la phase antérieure à l'examen parlementaire -, nous regrettons qu'après avoir démontré une certaine habileté, Eric Woerth ait suspendu les échanges depuis la mi-juillet. Nous avions du grain à moudre sur la pénibilité, les carrières longues et sur les polypensionnés, mais le Gouvernement a préféré agir par voie d'amendements, visiblement arbitrés à l'Elysée et que nous avons dû découvrir sur internet. Quitte à se concerter avec les partenaires sociaux, il fallait aller jusqu'au bout, ou bien le Gouvernement jette le doute sur l'ensemble du dialogue social dans notre pays.
Sur le fond, vous connaissez notre position. Le recul de l'âge légal à soixante-deux ans et de l'âge du taux plein à soixante-sept ans sont injustes pour les salariés, sachant les difficultés rencontrées pour entrer dans la vie active et pour s'y maintenir passé un certain âge. Il faut savoir que six salariés sur dix liquident leur retraite alors qu'ils ne sont plus en activité, voilà la réalité.
Le financement, ensuite, n'est pas assuré. On nous caricature quand on dit que Force ouvrière propose seulement de faire payer les riches : nous proposons de mieux répartir les richesses et nous appelons à un effort de tous pour sauver notre système de répartition, y compris des salariés, ce qui peut passer par une augmentation des cotisations salariales et par une augmentation de la CSG, dont l'assiette aurait été élargie. Nous pensions ainsi qu'il était possible de financer davantage l'assurance maladie par la fiscalité tout en transférant des cotisations maladie vers l'assurance vieillesse. Le Gouvernement nous a répondu qu'il ne fallait pas pénaliser la compétitivité des entreprises et que le Président de la République s'était engagé à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, mais nous disons que les solutions retenues ne suffiront pas : il faut mobiliser les moyens de sauver notre retraite par répartition.
Autre point de mécontentement, la baisse continue du niveau des pensions, depuis la réforme Balladur de 1993. Aujourd'hui, un salarié du privé qui a cotisé vingt-cinq ans au plafond de la sécurité sociale, ne peut espérer davantage qu'un taux de remplacement de 43 %, ce sera à peine 40 % en 2020.
Nous disons aussi que la borne d'âge à soixante-sept ans pénalisera davantage les femmes. Elles prennent déjà leur retraite à soixante et un ans et demi en moyenne, au lieu de soixante ans et demi pour les hommes. Seules 44 % des femmes liquident une carrière complète, contre 86 % des hommes. Elles cumulent en moyenne trente-quatre années et demie de cotisation, contre trente-neuf années et un quart pour les hommes, et 30 % d'entre elles attendent soixante-cinq ans pour le faire : elles devront attendre soixante-sept ans demain. Les femmes représentent 57 % des allocataires du minimum vieillesse, 70 % des bénéficiaires du minimum contributif. On estime que leur niveau de pension sera encore de 30 % inférieur à celui des hommes en 2030 ou 2040, continuant le déséquilibre actuel où, en droits directs, les femmes touchent en moyenne 825 euros de retraite, et les hommes 1 426 euros. Les discriminations dans l'emploi entre les hommes et les femmes se reflètent dans les retraites, c'est pourquoi nous demandons de pénaliser, à l'occasion de cette réforme, les entreprises qui ne font pas suffisamment d'effort vers l'égalité salariale.
Autre point de mécontentement : en instituant le comité de pilotage des régimes de retraite, la réforme « flingue » littéralement le conseil d'orientation des retraites (Cor). Mieux vaudrait renforcer le Cor, en y faisant entrer les grands absents que sont les régimes : la Cnav, la CNRACL, les régimes de retraite complémentaire... Avec le nouveau comité de pilotage, on voit poindre l'unification des régimes. L'article 1er bis nous inquiète en disposant que : « Avant le 31 décembre 2014, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport sur les redéploiements de ressources ou de charges entre régimes de protection sociale concourant à l'objectif d'équilibre des différents régimes de retraite. Le comité de pilotage des régimes de retraite est consulté sur ce rapport. »
De fait, quand, à l'horizon 2018, on aura accumulé un déficit de 60 milliards et que les politiques regarderont du côté du « pactole » des régimes complémentaires - ou tout au moins ce qu'il en restera puisque ces réserves diminuent chaque année, preuve que les déficits sont liés à la crise économique autant qu'à la démographie -, quelle sera encore la marge d'autonomie des régimes complémentaires qui se verront « siphonnés » pour venir en aide au régime général ? Les politiques ne seront-ils pas tentés par une fusion des régimes ? Dès lors, quel intérêt pour les partenaires sociaux de faire des réserves et de consentir à des efforts importants, patronat et salariés compris, si c'est pour voir ensuite ces réserves être fondues dans un ensemble plus vaste ? Comme gestionnaire d'un régime complémentaire, je suis particulièrement attentif à l'autonomie de gestion des partenaires sociaux.
Par ailleurs, nous ne sommes pas contre la mensualisation du versement des pensions, c'est une demande des retraités. Mais, par un amendement de Xavier Bertrand, l'Assemblée nationale a prévu un paiement au 1er du mois : nous n'y sommes pas défavorables, à condition que le recouvrement des cotisations employeurs intervienne à la même date, sauf à provoquer des décalages chaque mois, portant sur des sommes considérables.
Ensuite, pouvons-nous nous rassurer de voir le fonds de réserve des retraites (FRR) transféré à la Cades ? Nous comprenons les nécessités européennes de la comptabilité publique, mais comment garantir que les ressources et les actifs du FRR iront bien aux retraites, une fois mêlés à une caisse dont l'objet est de régler l'ensemble de la dette sociale ? Et comment s'assurer que le FRR ne prenne pas trop de risques sur le marché si volatil des produits financiers ?
Nous n'étions pas complètement opposés à la participation du FRR, à condition que le retour à l'équilibre soit prévu pour 2011, au lieu de quoi le Gouvernement choisit de laisser filer les déficits, sous couvert ici ou là de manipulations comptables comme celle consistant à présenter en recettes 15 milliards qui vont annuellement aux retraites de la fonction publique et qui sont d'abord une dette. D'une manière générale, nous n'oublions pas le caractère optimiste des études du Cor sur lesquelles cette réforme se fonde et nous ne serions pas étonnés de voir les politiques remettre l'ouvrage sur le métier, en 2018, avec de nouvelles mesures sur les retraites.