Intervention de Eric Aubin

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 septembre 2010 : 1ère réunion
Réforme des retraites — Audition de M. Eric Aubin membre de la direction confédérale en charge des retraites Mme Mijo Isabey conseillère confédérale Mm. Gilles Oberrieder en charge du dossier retraite à l'union générale des fédérations de fonctionnaires et gérard rodriguez conseiller confédéral de la confédération générale du travail cgt

Eric Aubin, membre de la direction confédérale de la CGT, en charge des retraites :

A lire la presse aujourd'hui, on s'interroge sur le rôle du Sénat, car un ministre semble déjà savoir quelle sera l'issue de l'examen du texte dans cette assemblée...

Nous critiquons la méthode du Gouvernement : cette réforme aurait mérité de longs mois de concertation. Quant au fond, nous considérons que ce projet de loi est brutal, injuste et enfermé dans une perspective de court terme. Brutal, parce qu'il s'attaque aux plus fragiles : les travailleurs précaires, les jeunes et les femmes. Ceux qui ont commencé à travailler tôt pâtiront du relèvement de l'âge légal du départ à la retraite. Les femmes et les travailleurs précaires, aux carrières discontinues, subiront les effets du relèvement de l'âge du taux plein : 30 % des femmes doivent déjà travailler jusqu'à soixante-cinq ans. Injuste, parce qu'alors que le déficit des régimes de retraites est dû pour les deux tiers à la crise économique et financière, le coût de la réforme repose pour 85 % sur les salariés, qui ont déjà assumé une charge représentant 3,2 % du Pib lors des réformes de 1993 et 2003. Ce sont 22,6 milliards de plus qu'on leur demandera. Ce projet de loi est enfermé dans une perspective de court terme, puisqu'il faudra remettre l'ouvrage sur le métier dès 2018 ; certains députés de la majorité auraient voulu prendre des mesures plus contraignantes dès à présent...

Le Gouvernement prétend que l'équilibre des régimes de retraites est un problème démographique. Selon nous, l'allongement de la durée de la vie n'est pas un mal en soi : seulement il nécessite un nouveau mode de financement des retraites et une autre politique de l'emploi. Si la France connaissait le plein emploi, le besoin de financement des caisses de retraite serait réduit de moitié. Les problèmes d'emploi ne sont pas sans incidence sur les conditions de travail : aujourd'hui les trente-cinquante ans constituent la grande majorité des travailleurs, et on leur demande toujours plus d'efforts, ce qui explique qu'ils arrivent usés à l'âge de la retraite. Alors que dans les pays du Nord les seniors sont heureux au travail, les salariés français, dès l'âge de cinquante ans, comptent le nombre d'années qu'il leur reste à travailler. Le problème des retraites ne peut donc être dissocié de celui de l'emploi et des conditions de travail.

Sur la pénibilité, les propositions du Gouvernement ne nous satisfont pas. Les négociations avec le Medef, qui n'ont pas abouti, ont toutefois permis de définir trois critères de pénibilité : l'effort physique, l'environnement agressif et le rythme de travail. Les négociations ont achoppé sur la question du financement et parce que le Medef tenait à une approche médicalisée. Le Gouvernement, non content de satisfaire le Medef sur ce dernier point, a fixé un taux d'invalidité au-delà duquel seulement les salariés auront le droit de prendre une retraite anticipée. Mais ceux qui ont travaillé dans des conditions pénibles doivent pouvoir jouir de leur retraite en bonne santé. L'abaissement de 20 % à 10 % du seuil d'invalidité ne change rien à l'affaire.

Pour financer les retraites, nous avons fait des propositions. Outre le fait que le plein emploi résorberait la moitié du déficit, il serait judicieux d'élargir l'assiette des cotisations, comme le recommande la Cour des comptes dans son rapport de 2009 - elle évalue à 3 milliards d'euros le manque à gagner qui résulte pour l'Etat de l'exonération des revenus tirés de l'intéressement et de la participation -, ainsi que l'inspection générale des finances dans un rapport paru le mois dernier. Alors que les salaires ont augmenté de 40 % au cours des dix dernières années, les revenus de l'intéressement et de la participation ont plus que doublé : ils tendent donc à se substituer aux rémunérations normales et doivent être soumis à cotisations. Les revenus financiers des entreprises pourraient également être taxés, au même taux que les revenus salariaux, ce qui rapporterait 20 milliards d'euros. Je rappelle qu'entre 1984 et 2007, les salaires n'ont fait que doubler alors que les dividendes étaient multipliés par treize : il est temps de s'interroger sur la répartition des richesses dans notre pays.

Quant aux exonérations de cotisations dont bénéficient les entreprises, elles ont montré leur inefficacité en termes d'emploi. Il faut donc y mettre un terme, tout en aidant les entreprises en difficulté. Plutôt que d'asseoir les cotisations sur la masse salariale, ce qui décourage l'embauche et toute politique salariale ambitieuse, il faudrait prendre en compte le rapport entre la masse salariale et la valeur ajoutée : comme l'indiquait le rapport Cotis, les salaires représentent 81 % de la valeur ajoutée dans le bâtiment, mais seulement 31 % dans l'immobilier. Les exonérations profitent trop souvent aux grands groupes, qui n'ont pas de problèmes financiers. Il serait également envisageable d'augmenter les cotisations sociales des employeurs, qui n'ont pas évolué depuis des années.

Les secrétaires généraux des sept grandes organisations syndicales ont écrit au Président de la République, aux membres du Gouvernement et aux parlementaires pour leur faire part de leur appréciation sur la réforme. Après l'adoption du projet de loi par les députés, cette lettre reste d'actualité. Près de 25 000 personnes manifestaient leur désaccord ce matin devant l'Assemblée nationale et les sondages montrent que 75 % des salariés réprouvent la réforme, 55 % d'entre eux estimant même que le Gouvernement doit reculer sur le report de l'âge légal du départ à la retraite.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion