On invoque souvent l'exemple de nos voisins européens, mais comparaison n'est pas raison. La réforme française est la plus dure, puisqu'elle joue à la fois sur les bornes d'âge et sur la durée de cotisation, qui sera bientôt la plus longue d'Europe : 41,5 ans contre 30 ans au Royaume-Uni, 35 ans en Allemagne et en Espagne, 40 ans en Suède, 37 ans en Autriche. L'allongement de la durée de cotisation a évidemment une incidence sur le niveau des pensions, puisque les travailleurs qui n'ont pas assez cotisé se voient appliquer une décote.
La France est avec la Belgique et l'Espagne l'un des seuls pays européens à avoir indexé les pensions sur les prix. Cette mesure a réduit de 16 % à 17 % le niveau des pensions depuis 1993, et si l'on y ajoute la modification du mode de calcul, qui prend désormais en compte les vingt-cinq et non plus les dix meilleures années, elles ont baissé de plus de 20 %. En France, la pension moyenne est égale à 54 % du revenu moyen d'activité, contre 72 % dans l'ensemble de l'OCDE.
Pour financer les mesures de prévention et de compensation de la pénibilité, nous proposons trois types de ressources. Tout d'abord, une cotisation mutualisée des employeurs, faute de quoi certains secteurs d'activité, comme le textile, n'auront pas les moyens de financer de telles mesures. Des accords d'entreprises existent déjà dans certains grands groupes, mais les salariés des PME et TPE sont démunis. Ensuite, une cotisation variant selon la politique de prévention des entreprises. Enfin, des fonds publics : les dispositifs de cessation anticipée d'activité, qui ont disparu, coûtaient entre 8 et 10 milliards d'euros à la collectivité et concernaient 850 000 personnes chaque année ; il faudrait redéployer une partie de ces moyens en faveur des nouveaux retraités. Il faut en effet distinguer entre les salariés qui ont d'ores et déjà subi de mauvaises conditions de travail et arrivent usés à l'âge de la retraite - seuls 40 % des salariés demeurent actifs à l'âge de soixante ans - et les générations suivantes, pour lesquelles nous ne sommes pas opposés au principe de la traçabilité, non par le biais d'un carnet comme il est proposé, mais par exemple sous le contrôle de la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat), sous réserve que la confidentialité des données soit préservée.
Nous ne sommes guère favorables à l'amendement de Pierre Méhaignerie et Denis Jacquat : à des accords de branches, nous préférerions un accord interprofessionnel qui apporte des garanties à tous les salariés. L'amendement supprime en outre le droit au départ anticipé d'ores et déjà négocié dans certaines branches et entreprises, et ne prévoit que des aménagements de fin de carrière.