Pour la CFDT, une réforme est indispensable pour pérenniser notre système de retraites par répartition, élément constitutif de notre pacte social. Nous avons soutenu la réforme de 2003 parce qu'elle contribuait à réduire les inégalités. L'harmonisation de la durée de cotisation à quarante ans était une mesure juste et nécessaire ainsi que l'augmentation du minimum contributif à 85 %, tandis que la possibilité de départ à la retraite avant soixante ans pour les carrières longues marquait une avancée incontestable. Nous avons d'ailleurs regretté le durcissement de l'accès au dispositif carrières longues en 2008, revirement injuste et brutal au vu des engagements de la réforme de MM. Raffarin et Fillon.
Animés par ce même souci de justice et d'efforts partagés, nous sommes contre cette réforme, malgré les amendements gouvernementaux proposés le 8 septembre. Car 2010 est l'exact contraire de 2003. Alors que la crise est la raison première du déficit, l'effort demandé aux plus aisés et aux détenteurs de revenus du capital semble dérisoire : 85 % des efforts sont demandés aux seuls salariés. Cette réforme n'assure pas la pérennité des retraites ; l'extinction du fonds de réserve des retraites constitue une erreur économique, sociale et politique ; le Président de la République et le Gouvernement ont préféré au Grenelle des retraites, dont nous demandions l'organisation, la controverse et le conflit alors que la concertation et la recherche du consensus ont été le préalable de réformes le plus souvent progressives dans tous les pays voisins. Outre les erreurs de méthode, le manque d'ambition et de visibilité, le déséquilibre des efforts demandés, cette réforme est injuste parce qu'elle creusera les inégalités au sein du monde du travail. Relever l'âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans pénalisera ceux qui ont commencé à travailler jeunes et ont connu des carrières pénibles, de même que ceux, et surtout celles, dont la carrière est incomplète pâtiront du relèvement de l'âge de départ pour bénéficier d'une retraite à taux plein de soixante-cinq à soixante-sept ans.
Dans ces conditions, parler d'une réforme juste, courageuse ou ambitieuse n'est pas crédible. Si nous ne parvenons pas, si vous ne parvenez pas, à l'amender, la réalité de sa mise en oeuvre poursuivra longtemps ceux qui n'auront rien fait pour défendre les plus modestes. L'opinion publique est convaincue de la nécessité de la réforme. Elle a compris cet été, et plus encore depuis la rentrée, que celle-ci était injuste et inefficace. Si le texte reste en l'état, le coût politique sera élevé. La CFDT a proposé publiquement quatre pistes d'amélioration : carrières longues, pénibilité, polypensionnés, salariés aux carrières incomplètes et modestes. Sur les trois premières pistes, les réponses sont insuffisantes. Sur la quatrième, le refus de toute mesure constitue une erreur stratégique. Avant d'en venir au coeur de mon propos, permettez-moi d'insister sur l'importance de prévoir dans la loi un débat sur l'indispensable réforme systémique, de plus en plus demandé et au sein de tous les courants politiques, et de dénoncer l'absence de concertation sur l'épargne retraite.
Notre démarche est constructive. Nos propositions sont dans le champ du possible. Nous vous demandons de saisir cette opportunité. Concernant les carrières longues, nos orientations n'ont pas changé : la durée de cotisation doit être le paramètre de référence afin que les salariés ayant effectué une carrière complète puissent partir à la retraite sans condition d'âge. C'était d'ailleurs l'esprit de la loi de 2003 et de son dispositif de départ anticipé. Le recul des bornes d'âge du dispositif des carrières longues imposera aux salariés ayant commencé à travailler à dix-sept ans de réunir quarante-trois annuités pour partir en retraite à soixante ans, tandis qu'un début d'activité à dix-huit ans sera sanctionné par quarante-quatre annuités pour un départ à soixante-deux ans. L'effet de seuil est très fort entre les débuts d'activité à dix-sept et dix-huit ans. Il faudrait, au minimum, inclure les salariés ayant commencé à dix-huit ans dans le dispositif.
Le projet de loi ne règle pas la question des polypensionnés. Les titulaires sans droits, qui réunissent moins de quinze ans de services dans la fonction publique, verront leur situation s'améliorer par l'abaissement de quinze ans à deux ans de la durée nécessaire pour avoir droit à une pension. Il faut cependant s'interroger sur les effets de la fermeture d'ici 2015 des validations de toutes les périodes de services auxiliaires. De plus, le texte ne prévoit rien pour les polypensionnés du privé - la prise en compte des vingt-cinq meilleures années sur toute la carrière est renvoyée à un rapport -, tandis que les carrières mixtes privé-public restent désavantagées. Le médiateur de la République proposait d'ailleurs récemment, pour ces dernières, de procéder à un calcul de la pension du régime aligné en « proratisant » la règle des vingt-cinq meilleures années en fonction de la durée d'affiliation à ce régime. Nous défendons la même position en demandant la tenue d'un débat citoyen sur la convergence des régimes.
J'en viens à la pénibilité. Le projet de loi reconnaît seulement l'incapacité : une incapacité physique supérieure ou égale à 20 % ou une incapacité de 10 % dont il faudra prouver qu'elle est liée à l'exposition à un ou plusieurs facteurs de risques. Dans tous les cas, les effets différés de la pénibilité sont passés sous silence et la réduction de l'espérance de vie qui en découle est niée alors qu'elle est au centre des inégalités de retraite liées aux conditions de travail. En outre, le dispositif de prise en compte de l'incapacité prévu par le texte est très contestable : les salariés concernés seront d'autant moins nombreux que les maladies professionnelles font l'objet de sous-déclarations bien connues, la plupart des salariés concernés bénéficient déjà d'un dispositif de départ à soixante ans au titre de l'invalidité à 50 % ou de l'inaptitude médicale. Enfin, avec le carnet de santé individuel retraçant les expositions, le Gouvernement pense économiser des moyens administratifs en reportant la charge de la traçabilité sur les services de santé au travail, voire sur le salarié lui-même tenu de conserver la preuve de son exposition avec des copies. Ce sont les caisses de retraite et de santé au travail (Carsat) qui devraient être chargées de l'exposition aux facteurs de risques. Posséder un carnet de santé n'ouvre aucun droit au salarié en l'état actuel du texte, sans compter que ce système n'améliorera pas la prévention : rien ne permet d'identifier les entreprises qui génèrent les pénibilités.
Les amendements déposés à l'Assemblée nationale à propos de la médecine du travail auront une incidence négative : ils subordonnent les services interentreprises aux orientations des organisations professionnelles d'employeurs. Et déclarer caducs tous les accords collectifs comportant des obligations en matière d'examens médicaux différentes de celles prévues par le code du travail suscite des interrogations fortes.
Une vraie prise en compte de la pénibilité passe par la réduction de la durée de carrière pour des salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de risque professionnel. La compensation de la pénibilité doit être individuelle - nous ne sommes pas dans une logique de régimes spéciaux - et fondée sur un système de capital temps acquis par année d'exposition à la pénibilité, par exemple un an pour dix ans d'exposition. Le droit au départ anticipé devrait être reconnu sur dossier dans les cas simples et bien documentés, ou sur décision d'une commission pluridisciplinaire d'experts lorsque la reconstitution de la carrière est nécessaire. Enfin, nous demandons une traçabilité de la pénibilité assurée par les Carsat, les données étant transmises par l'employeur avec l'appui du service de santé au travail. La prise en charge doit reposer sur la solidarité nationale pour les salariés en fin de carrière déjà exposés et sur un financement mutualisé des employeurs sous la forme d'une cotisation à la branche AT-MP pour les salariés en cours d'exposition. Cela encouragerait la prévention, avec un système de bonus-malus en fonction de la mise en oeuvre d'actions de précaution. Une telle approche de la pénibilité pourrait être mise en oeuvre de manière graduelle, en sélectionnant tout d'abord un ou plusieurs facteurs de risque donnant droit, à certaines conditions d'exposition, à un départ anticipé.
Enfin, nous estimons que le recul de l'âge du départ à la retraite sans décote de soixante-cinq à soixante-sept ans serait très pénalisant pour les femmes et les basses pensions. De fait, 30 % des femmes liquident leur retraite à soixante-cinq ans, 63 % de ceux qui partent en retraite à soixante-cinq ans sont titulaires du minimum contributif, compte-tenu de la faiblesse de leurs droits liée à la faiblesse de leurs salaires. À l'heure où les générations ayant connu le chômage arrivent plus nombreuses à l'âge de la retraite, il faut protéger ces catégories de la population fragilisées. Le recul de l'âge du taux plein, au contraire, les fragilise. Le maintien à soixante-cinq ans de l'âge du taux plein aurait une signification sociale particulièrement forte. Des redéploiements sont possibles pour financer cette indispensable solidarité : les majorations familiales de pensions proportionnelles au salaire ne favorisent ni les familles modestes ni les femmes, mais majoritairement les hommes à revenus élevés. Depuis des années, la CFDT dénonce cet état de fait. Elle demande leur forfaitisation et le redéploiement de ces sommes vers la solidarité.
Dans son ambition d'offrir aux salariés la possibilité d'arbitrer entre temps de vie, temps de travail et niveau du revenu de remplacement, la CFDT défend d'abord la sécurisation des régimes par répartition. Dans un second temps, elle n'est pas hostile à réfléchir à des compléments en capitalisation pour peu que les conditions suivantes soient réunies : une information effective, précise et exhaustive aux salariés sur leurs droits dans les régimes obligatoires ou facultatifs ; une mise en place négociée des dispositifs ; des dispositifs accessibles aux salariés modestes et ouverts à tous, c'est-à-dire qui ne soient pas catégoriels ou réservés aux seuls salariés des grandes entreprises.
Or, des amendements parlementaires, fruit du lobbying de certaines branches professionnelles, ont été déposés aux fins d'ériger un « troisième pilier » de la retraite en France sans que les organisations représentatives des salariés aient leur mot à dire sur le choix entre capitalisation collective ou individuelle, mécanisme interprofessionnel de branche ou d'entreprise ou encore sur la portabilité des droits acquis dans ces dispositifs. Certains d'entre eux créent purement et simplement de nouvelles niches fiscales. Pour la CFDT, il est inimaginable que de telles questions soient tranchées au détour de cavaliers qui privent les représentants du personnel d'une part essentielle de leurs prérogatives. La CFDT a su montrer qu'elle savait négocier des régimes complémentaires ou des dispositifs d'épargne salariale orientés vers l'épargne retraite. Avant d'étendre l'un ou l'autre d'entre eux, d'accorder à tel ou tel un avantage fiscal, il convient de les évaluer. Ensuite, viendra l'heure de la négociation, puis du débat parlementaire. Nous vous demandons de surseoir sur ce sujet à toute décision ; la CFDT, de son côté, souhaite s'engager très rapidement dans la concertation.
Pour conclure, la CFDT est engagée dans une démarche de réforme. La manière dont celle-ci a été menée nous a privés de la possibilité de défendre la position que nous avions définie lors de notre congrès : agir sur la durée de cotisation, et non sur l'âge, pour régler la question démographique, distinguer clairement le contributif de la solidarité, harmoniser pour en arriver à un régime unique pour tous les salariés. Cette réforme aurait dû être l'occasion de s'engager sur ce chemin. Tout n'est pas perdu à condition de corriger cette réforme qui aura un impact budgétaire limité. Nous devrons bientôt remettre l'ouvrage sur le métier, ce qui est regrettable. Car, de réforme en réforme, on traumatise la population et on jette le discrédit sur notre système de retraite par répartition. Il est temps que cessent les manoeuvres politiciennes pour que nous imaginions un système de retraite adapté au monde du travail qui est aujourd'hui le nôtre.