Intervention de Morgane Le Douarin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 février 2006 : 1ère réunion
Familles monoparentales et familles recomposées — Audition de Mme Anne-Marie Lemarinier vice-présidente responsable du service des affaires familiales et de Mme Morgane Le douarin juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de paris

Morgane Le Douarin :

a présenté un certain nombre d'observations sur les familles monoparentales.

Elle a, tout d'abord, indiqué qu'au plan statistique, 25 % des enfants, c'est à dire environ 3 millions vivaient avec un seul de leurs parents, 85 % d'entre eux vivant avec leur mère. Elle a ajouté que 34 % de ces enfants ne voyaient jamais leur père, tout en faisant observer que les pères ne devaient pas nécessairement être considérés comme « démissionnaires ».

Elle a ensuite évoqué les travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits des enfants et mentionné en particulier certaines des recommandations formulées dans son rapport, destinées à favoriser l'exercice de la coparentalité par l'amélioration de la mise en oeuvre de la résidence alternée, le développement de la médiation familiale et le renforcement des outils destinés à mieux assurer le respect par les parents de leurs obligations.

a estimé que la notion de famille monoparentale ne devait pas conduire à nier ou à fragiliser la place des pères, avant de rappeler les principaux axes de la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, fondée sur le principe de coparentalité, selon lequel il est dans l'intérêt de l'enfant d'être élevé par ses deux parents.

Abordant la question de la résidence alternée, elle a regretté que ce mode de garde, qui comporte dans son mécanisme un principe d'équilibre et de coparentalité durable, soit utilisé comme une mesure d'égalité arithmétique entre parents séparés et ne fasse dans ces conditions l'objet que d'une utilisation limitée. S'agissant des enfants en bas âge, elle a signalé que les spécialistes ne recommandaient pas ce mode de garde, avant de considérer qu'une interdiction de portée absolue serait sans doute trop rigide, rappelant que le juge aux affaires familiales statuait en tenant compte du degré de maturité de l'enfant.

Puis elle a noté une certaine corrélation entre le choix du mode de garde alternée et le divorce par consentement mutuel, avant d'indiquer qu'en pratique, la résidence alternée n'avait connu qu'un développement limité en raison également des coûts assez élevés induits par ce mode de vie.

a alors abordé la question des droits du parent non gardien à entretenir des relations personnelles avec son enfant. Rappelant que les parents sont désormais placés sur un pied d'égalité en matière d'exercice de l'autorité parentale, elle s'est interrogée sur la création d'un délit spécifique d'entrave à l'exercice de l'autorité parentale, au-delà du délit de non-représentation d'enfant aujourd'hui inscrit dans le code pénal. Elle a estimé que le droit en vigueur fournissait d'ores et déjà au juge un certain nombre d'outils pour sanctionner le comportement du parent gardien qui fait obstacle aux relations de l'enfant avec l'autre parent. Elle a évoqué à ce titre la possibilité pour le juge de transférer la résidence de l'enfant chez l'autre parent, d'instaurer la résidence alternée, d'élargir les droits de visite ou d'hébergement du parent non gardien, d'ordonner une médiation, ou encore de saisir le juge des enfants qui peut imposer un suivi psychologique s'il détecte un syndrome d'aliénation parentale. Elle a également estimé que la définition de nouvelles incriminations pénales serait de nature à attiser les conflits et à susciter de nouvelles procédures.

Puis elle s'est interrogée sur la nécessité de sanctionner le parent non gardien qui refuse d'accueillir l'enfant et en laisse la charge exclusive au parent gardien. Elle a fait observer que le dispositif en vigueur permettait au juge de modifier les conditions d'exercice de l'autorité parentale ou de décider une augmentation de la pension alimentaire, compte tenu des charges supplémentaires pour le parent gardien. Elle a, en outre, estimé envisageable, au titre de sanction, un retrait partiel ou total des attributs de l'autorité parentale en cas de non-exercice répété et volontaire du droit d'hébergement. Elle s'est cependant déclarée défavorable à la définition d'une sanction pénale, en faisant observer que les raisons qui conduisent un parent non gardien à ne pas exercer son droit d'hébergement sont souvent complexes et douloureuses.

S'agissant de la pension alimentaire, Mme Morgane Le Douarin a rappelé que celle-ci était fixée lors de la séparation par une convention homologuée ou par une décision du magistrat. Elle a ensuite fait observer, à propos de l'insuffisance du montant des pensions qui est généralement relevé, qu'il convenait de tenir compte de l'augmentation des coûts d'hébergement supportés par le parent non gardien pour accueillir son enfant.

Elle a noté que l'appauvrissement résultant de la séparation n'était pas suffisamment pris en compte par les conjoints au moment de la rupture, ce qui tend à accroître, par la suite, leur sentiment d'insatisfaction et la conflictualité qui s'exprime à propos des enfants. Elle a estimé souhaitable l'élaboration d'un barème mis à la disposition des juges pour les aider à fixer le montant des pensions alimentaires, ce qui permettrait d'améliorer, pour les couples, la prévisibilité des modalités de la séparation et de favoriser la conclusion d'accords. Elle a précisé que ces barèmes devraient, à son sens, demeurer indicatifs, le juge devant pouvoir s'en écarter pour pouvoir régler au cas par cas les situations spécifiques.

En ce qui concerne le recouvrement des pensions alimentaires, elle a rappelé l'existence d'un système de solidarité familiale qui bénéficie aux plus démunis en leur permettant de se voir verser une allocation de soutien familial par la Caisse d'allocations familiales, celle-ci pouvant par la suite recouvrer les sommes versées auprès du débiteur défaillant. Elle a craint qu'une éventuelle création d'un fonds de solidarité se chargeant du recouvrement des pensions alimentaires non payées en versant une avance au créancier, comme en Belgique, n'ait pour effet de déresponsabiliser les débiteurs.

A propos de la médiation familiale, Mme Morgane Le Douarin a rappelé que la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale avait posé le principe de la primauté de l'accord pour l'organisation de la vie de l'enfant. Elle a noté que le recours à la médiation n'avait pas eu les effets escomptés en raison de son coût, ainsi que de son caractère facultatif et de la réticence des parties à son égard. Elle a fait observer que certains pays comme le Canada ou la Norvège avaient rendu obligatoire la médiation préalable à la saisine du juge et souligné qu'en Norvège, cette médiation avait permis de diminuer de 40 % le contentieux familial. Pour ce qui concerne la France, elle a noté que l'idée d'instaurer une séance d'information préalable à la saisine du juge se heurterait à l'insuffisance des structures existantes pour absorber quelque 300 000 entretiens par an. Elle a en outre posé le problème de la gratuité éventuelle de cet entretien, qui nécessiterait une prise en charge par le contribuable. Elle a estimé que le traumatisme initial de la séparation faisait parfois obstacle au recours à la médiation familiale et justifiait une intervention judiciaire pour fixer des règles permettant par la suite d'engager le dialogue.

Elle a indiqué que, dans la plupart des cas, la question de l'exercice de l'autorité parentale, à la différence de la fixation de la pension alimentaire, ne faisait pas l'objet d'une nouvelle saisine du juge, ce qui laisse à penser que l'équilibre initialement trouvé était satisfaisant.

Elle a conclu en indiquant que le dispositif actuel lui apparaissait globalement satisfaisant, même si certaines mesures comme la médiation et la résidence alternée n'étaient pas suffisamment utilisées. Elle a ajouté que la tendance générale était orientée dans le sens d'une culture de l'accord, amplifiée par la récente réforme du divorce, dont l'effet d'apaisement et de gestion prévisionnelle de la séparation est d'ores et déjà perceptible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion