J'ai d'autant plus de plaisir à venir vous voir que les délégations parlementaires aux droits des femmes ont été créées lorsque j'étais déléguée interministérielle aux droits des femmes. L'idée fut lancée par Mme Danièle Pourtaud, qui siégeait au Conseil de l'Europe et avait ainsi connaissance de ce qui se passait ailleurs. Les délégations furent conçues pour étudier sous l'angle des droits des femmes les textes législatifs en navette. Elles ont pris depuis lors beaucoup d'autonomie !
En dehors d'une parenthèse politique de sept années comme déléguée interministérielle puis députée européenne, j'ai mené une activité de chercheuse et mes centres d'intérêt ont concerné l'égalité des sexes.
Au Parlement européen, j'ai présenté un rapport d'initiative sur le spectacle vivant, puis un autre sur les femmes et le sport. La commission de la culture alors animée par M. Michel Rocard ne percevait pas ce que pourrait apporter une telle étude. Quant à l'autre commission dans laquelle je siégeais, celle des femmes, elle était « en plus », comme les commissions de la pêche ou des pétitions... Le gender mainstreaming, ce n'est jamais gagné. Mais enfin, j'étais connue dans ces deux instances, et coordonnatrice de mon groupe : on m'a laissée faire.
J'avais été interpelée par Mmes Catherine Louveau et Annick Davisse, respectivement professeur et inspectrice, qui avaient écrit un livre au début des années quatre-vingt dix - j'ai préfacé la deuxième version, qui sera bientôt rééditée. Elles furent des pionnières sur cette question ! Quant à moi je travaille non pas sur la domination, ni sur les mécanismes d'inégalité, mais sur les arguments de l'égalité et le discours de l'émancipation.
Je me penche sur les discours d'inclusion des femmes dans la démocratie et la République au cours des deux siècles passés : non seulement le droit de vote, mais aussi les droits civils, le droit au savoir ... Je m'intéresse donc à la pensée féministe.
Or le sport, intervenant en oblique, vient tout compliquer : on abordait la question sous l'angle de la pensée intellectuelle, des différences de cerveau - question qui revient comme une ritournelle -, et voilà qu'il faut se pencher sur les différences des corps, donc sur la maîtrise de la reproduction, la contraception, ensuite l'avortement. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la contraception a fait l'objet d'une approche de type habeas corpus : « our bodies, ourselves », « notre corps nous appartient ». La question des corps passe aussi par l'analyse des violences. Enfin, j'ai entrepris dans les années quatre-vingt dix de suivre le fil rouge de l'activité physique des filles et des garçons. Que devient la mixité ? L'école est un formidable lieu de possible égalité et de mixité. La différence des corps n'est pas figée : nous ne sommes pas loin de la question des identités sexuées, de la sexualité dans le sport. L'évidence empirique s'impose, d'une différence entre les deux sexes. Les bureaux de la délégation interministérielle étaient situés rue Saint-Dominique, et je discutais souvent avec les fonctionnaires du ministère des armées. Ils me disaient les problèmes posés lors des concours de recrutement : épreuves communes ou concours séparés ? Les pompiers ont les mêmes interrogations.
Faut-il ajuster, ou au contraire gommer les différences ? Personne n'a la solution et nous continuons à nous interroger ! Dans les débats des quarante dernières années, on a systématiquement opposé égalité et différence. Mais ce n'est pas ainsi que cela fonctionne, et il n'y a pas lieu de rapprocher un concept politique, l'égalité, et un concept ontologique, la différence. Le contraire de la différence est l'identité ; l'égalité se conjugue avec la liberté. Affirmer qu'on travaille sur l'émancipation avec les quatre concepts est très polémique par rapport au débat dans lequel on nous avait enfermés. La frontière entre le sport séparé et la mixité peut ensuite être institutionnelle ou personnelle.
Pour ma part, je cherche à évaluer comment ces quatre termes s'organisent et se combinent, par exemple dans le sport - de loisir, de compétition, ou pratiqué à l'école. Mon rapport couvrait les trois domaines. Mais il faut bien sûr commencer par l'école. Les cours d'éducation physique et sportive (EPS) constituent un laboratoire de l'égalité ! Les professeurs d'EPS sont désormais très sensibilisés à la question et lors des EPSiliades de novembre dernier, j'ai rencontré 300 professeurs, hommes et femmes, captivés par le sujet, car ils rencontrent des problèmes très concrets et réfléchissent beaucoup !
On propose régulièrement de séparer filles et garçons pour améliorer les résultats scolaires. En EPS, on a fait des expériences de suspension temporaires de la mixité : en sixième, marathon commun pour les filles et les garçons, en cinquième marathons séparés... Lorsque garçons et filles courent séparément, le moins bon des garçons sera plus humilié, car il passera effectivement la ligne le dernier ; en sens inverse, une fille arrivera première, ce qu'elle n'aurait pas cru possible. Il n'y a pas de solution parfaite pour tendre vers l'égalité !
Mon travail ne porte pas sur les stéréotypes, mais sur le fonctionnement de la mixité dans le laboratoire de l'EPS. Mme Cathy Patinet, dans sa thèse sur le sujet, invite les professeurs à passer de l'attention à la vigilance, à la conscience qu'ils ne posséderont jamais la solution. La question de la puberté vient se greffer sur celle de la mixité ; les filles peuvent vivre mal cette période de transformation, lorsque par exemple elles sont montrées du doigt parce qu'elles se font dispenser de piscine...
Mme Marie-George Buffet, comme ministre des sports, a fait beaucoup sur le sujet qui nous occupe ce matin. On se souvient de l'appel lancé avant les Jeux olympiques de 2004 pour que la délégation afghane intègre des athlètes femmes. Et ce, en plein débat sur le port du foulard à l'école !
Le sport est un lieu d'émancipation des femmes, en ce qu'il produit une nouvelle donne scolaire - ce qui est valable aussi pour les garçons. Les filles qui réalisent de bonnes performances en sport franchissent des étapes dans les autres disciplines scolaires ! Les municipalités hélas ont de leur côté des politiques parfois désastreuses, privilégiant les infrastructures utilisées majoritairement par les garçons. Pour le formuler à gros trait, l'école est le lieu de l'égalité des chances, mais celle-ci est cassée par l'action des municipalités.
J'ai souligné, dans les discussions qui avaient eu lieu lors du vote de la loi, que le port du foulard interdisait les pratiques sportives, les cours de piscine par exemple, autrement dit qu'il supprimait une opportunité d'émancipation. Je ne me suis pas placée sur le terrain religieux mais matérialiste, car l'émancipation ne se fait pas seulement par les mathématiques. Comme en réponse à mon argument, on a créé en 2009 de l'autre côté de la Méditerranée le « birkini » qui couvre tout le corps...