Intervention de René Beaumont

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 juin 2011 : 1ère réunion
Accord de stabilisation et d'association entre la communauté européenne et la serbie — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de René BeaumontRené Beaumont, rapporteur :

Nous sommes appelés à nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Serbie, d'autre part.

Cet accord marque une étape importante dans le processus de rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne.

Avant d'évoquer le contenu de cet accord, je voudrais revenir brièvement sur la situation des différents pays des Balkans occidentaux.

Comme vous le savez, la « vocation européenne » des pays des Balkans occidentaux, c'est-à-dire le principe de leur adhésion à l'Union européenne, a été reconnue au Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française de l'Union européenne, et a été régulièrement réaffirmée depuis.

La perspective d'adhésion à l'Union européenne est vue comme un instrument majeur au service de la stabilité de la région.

L'Union européenne a lancé, en juin 1999, un processus de stabilisation et d'association destiné aux pays de la région, processus qui repose en particulier sur la conclusion d'accords de stabilisation et d'association (ASA) avec chacun des pays concernés.

Les objectifs de ces accords sont le renforcement du dialogue politique, le rapprochement de la législation de ces pays avec le droit communautaire, l'établissement progressif d'une zone de libre-change et le développement de la coopération régionale.

A ce jour, l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, à l'exception du Kosovo, ont signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne.

Tous ces accords ont été ratifiés et sont désormais entrés en vigueur, à l'exception de l'accord avec la Serbie que nous examinons aujourd'hui.

En effet, le processus de ratification de l'ASA avec la Serbie a été initialement bloqué à la demande du Parlement néerlandais, en raison d'une coopération de la Serbie avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) jugée insuffisante, en particulier s'agissant de l'arrestation et de la remise des deux derniers fugitifs recherchés par le tribunal, Ratko Mladic et Goran Hadzic.

A la suite d'une amélioration de cette coopération, constatée par le Procureur du tribunal, M. Serge Brammertz, les Pays-Bas ont accepté de lever leur veto et les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont décidé, le 14 juin 2010, de lancer le processus de ratification de l'accord.

Ratko Mladic a d'ailleurs été arrêté en Serbie le 26 mai dernier et remis depuis au TPIY où il attend son procès. Après la remise de Slobodan Milosevic et Radovan Karadzic, il ne restera donc qu'un dernier fugitif.

La conclusion d'un accord de stabilisation et d'association constitue une étape importante dans le processus de rapprochement avec l'Union européenne. Il ne s'agit cependant que d'une première étape car la route est longue.

Je rappelle, en effet, qu'avant d'adhérer à l'Union européenne, un pays doit d'abord se voir reconnaître la qualité de « pays candidat ». Ensuite, l'Union européenne doit approuver l'ouverture des négociations. Ces négociations, chapitre par chapitre, durent en règle générale plusieurs années.

Après la clôture des négociations, un pays ne peut adhérer à l'Union qu'après la signature et la ratification du traité d'adhésion.

Chacune de ces étapes est soumise à une décision prise à l'unanimité par tous les Etats membres.

Le processus prend donc plusieurs années, en fonction de l'état de préparation du pays.

L'adhésion est soumise au respect des critères dits de Copenhague :

- critères politiques : être une démocratie respectueuse de l'Etat de droit, des droits de l'homme, des minorités ;

- critères économiques : disposer d'une économie de marché viable capable de faire face à la pression concurrentielle du marché ;

- critère tenant à la reprise de l'acquis communautaire.

S'y ajoute la « capacité d'absorption » de l'Union européenne, c'est-à-dire la capacité de l'Union européenne à intégrer de nouveaux membres tout en maintenant la dynamique de l'intégration.

A la différence de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, l'adhésion des pays des Balkans occidentaux à l'Union européenne devrait se faire de manière différenciée, en fonction de l'état de préparation de chaque pays.

Comment se présente la situation des pays des Balkans occidentaux aujourd'hui ?

La Croatie est le pays le plus avancé dans son rapprochement avec l'Union européenne, puisqu'elle espère achever les négociations d'adhésion dans les prochaines semaines. Le rapport de nos collègues MM. Jacques Blanc et Didier Boulaud y reviendra plus longuement.

L'Ancienne république yougoslave de Macédoine et, plus récemment, le Monténégro, se sont vu reconnaître la qualité de « pays candidat » sans toutefois ouvrir les négociations d'adhésion.

L'Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie restent, quant à eux, des « candidats potentiels », c'est-à-dire qu'ils ne remplissent pas encore suffisamment les conditions requises pour être reconnus comme candidats.

Enfin, reste le cas du Kosovo, qui a proclamé son indépendance en février 2008, et qui est reconnu à ce jour par 75 Etats, dont 22 des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne (tous à l'exception de l'Espagne, de Chypre, de la Grèce, de la Roumanie et de la Slovaquie) mais pas par la Serbie.

Où en est la Serbie ?

La Serbie a officiellement présenté sa demande de candidature à l'Union européenne le 22 décembre 2009.

La transmission de cette candidature à la Commission européenne afin qu'elle rende son avis a été bloquée par certains Etats membres, comme les Pays-Bas, qui y voyaient un acte politique et un levier pour contraindre Belgrade à une position plus souple sur le Kosovo.

Ces réserves ayant été levées, le Conseil a pu transmettre, le 25 octobre 2010, la demande serbe à la Commission européenne, tout en soulignant l'obligation que constituait la pleine coopération avec le tribunal pénal international et la coopération régionale, et en invitant Belgrade à s'engager sans délai dans un dialogue direct avec Pristina.

La Commission européenne devrait rendre ses recommandations sur l'octroi ou non du statut de « pays candidat » à la Serbie à l'automne prochain.

Quelles sont les principales difficultés ?

Nous nous étions rendus en Serbie, avec notre collègue Bernard Piras, en décembre dernier, dans le cadre d'une mission de la commission, et nous vous avions présenté une communication le 2 février.

Le principal enseignement que nous avions retiré de notre déplacement était que, si la Serbie a réalisé des avancées, il reste à ce pays des progrès importants à accomplir avant d'être en mesure d'adhérer à l'Union européenne.

En matière politique, depuis la chute du régime de Milosevic, en octobre 2000, la Serbie a fait du rapprochement avec l'Union européenne la première priorité de sa politique étrangère.

Le Président de la Serbie M. Boris Tadic et le gouvernement sont très favorables au rapprochement avec l'Union européenne, qui recueille un large consensus au sein de la classe politique et de l'opinion publique.

Toutefois, de nombreux progrès restent à accomplir, notamment concernant l'équilibre des pouvoirs entre le Parlement et l'exécutif, la liberté de la presse, le retour des réfugiés ou encore la question de la propriété.

Ainsi, lors de nos entretiens à l'Assemblée nationale de Serbie, nous étions alors mi-décembre, nous avons eu la surprise d'apprendre que le projet de budget pour 2011 n'avait toujours pas été présenté par le Gouvernement et que le Parlement ne disposerait que de quelques jours pour l'adopter.

Nous avons également été très surpris par le mode d'élection des députés. En effet, le système électoral actuel est basé sur un scrutin proportionnel de liste. Les électeurs votent pour un parti qui désigne ensuite les députés élus sur la liste des candidats, sans tenir compte ni de leur rang, ni de leur base territoriale.

En outre, la possibilité prévue par la Constitution pour les partis politiques de demander aux députés une démission en blanc est une pratique très répandue. Une réforme du mode d'élection est actuellement à l'étude.

De manière générale, le Parlement serbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens, ce qui peut poser des difficultés en matière de reprise de l'acquis communautaire.

Le Parlement serbe serait d'ailleurs très désireux de nouer une coopération administrative avec le Parlement français, notamment en matière européenne. La Commission européenne a lancé un appel d'offres et l'ambassadeur de France à Belgrade a émis le souhait que le Parlement français se porte candidat. Il me semble que, compte tenu des liens traditionnels d'amitié et de coopération entre la France et la Serbie, mais aussi des enjeux en termes de francophonie et d'influence française, il serait opportun que le Sénat français se porte candidat pour répondre à cet appel d'offres européen afin d'accompagner et de conseiller le Parlement serbe en matière législative et de transposition du droit communautaire. Un tel jumelage européen représenterait un coût financier réduit pour notre assemblée, mais aurait un effet très positif en termes d'influence et de rayonnement de notre langue et de notre système juridique en Serbie.

En matière économique, la Serbie est loin d'être considérée comme une économie de marché viable capable de faire face aux pressions concurrentielles. Le PNB par habitant est d'environ 7 500 dollars, soit moitié moindre que celui de la Croatie et représente un tiers de la moyenne européenne.

La ratification de l'Accord de stabilisation et d'association devrait permettre à la Serbie d'attirer davantage d'investisseurs étrangers et de bénéficier d'un meilleur accès au marché européen, grâce à une libéralisation asymétrique des échanges et des droits de douanes.

Cette libéralisation des échanges devrait également bénéficier à l'Union européenne, qui connaît un excédent commercial avec la Serbie.

Pour le vin et les produits agricoles, la libéralisation se fera de manière progressive avec une période transitoire de six ans.

Enfin, comme le relève la Commission européenne, malgré d'importantes réformes, dont celle de la justice, les capacités administratives et judiciaires restent encore très insuffisantes et la corruption demeure un problème sérieux.

En dépit de ces obstacles, la Serbie reste un pays clé de la région, du fait de sa position géographique, de son poids démographique, de son potentiel économique et administratif et de son influence sur les pays voisins.

La Serbie a d'ailleurs largement normalisé ses relations avec ses voisins, à l'exception du Kosovo.

La Serbie a ainsi amélioré ses relations avec la Croatie et avec la Bosnie-Herzégovine. Le Parlement serbe a adopté en 2010 une déclaration condamnant le massacre commis à Srebrenica. Le Président serbe s'est lui-même rendu à Srebrenica et à Vukovar où il a présenté les excuses au nom de la Serbie pour les exactions à l'encontre des civils.

La Serbie a également normalisé ses relations avec l'Albanie.

Reste le cas du Kosovo, dont la Serbie n'a pas reconnu l'indépendance.

Une clause de l'ASA stipule d'ailleurs que cet accord ne s'applique pas au Kosovo.

Saisie par la Serbie, la Cour internationale de justice a rendu, le 22 juillet 2010, un avis consultatif d'après lequel la déclaration d'indépendance du Kosovo n'était pas contraire au droit international.

Le 9 septembre 2010, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté, par consensus, une résolution proposée conjointement par la Serbie et l'Union européenne, prenant acte de cet avis et ouvrant la voie à de nouvelles discussions entre Serbes et Kosovars sous l'égide de l'Union européenne.

Ce « dialogue » entre Belgrade et Pristina devrait permettre de résoudre les difficultés pratiques rencontrées par les citoyens (comme la reconnaissance des documents par exemple) et faciliter le travail de la mission EULEX de l'Union européenne déployée au Kosovo. Les premières réunions ont déjà permis de réaliser des avancées.

Si la Serbie n'est pas disposée à reconnaître l'indépendance du Kosovo, Belgrade semble faire preuve d'une réelle volonté et d'une grande ouverture concernant ce dialogue avec Pristina, avec l'objectif de parvenir in fine à une « normalisation » des relations.

Même la publication du rapport du député suisse Dick Marty, dans le cadre du Conseil de l'Europe, qui accuse la guérilla albanaise de l'UCK et le Premier ministre kosovar Hashim Thaçi, de s'être livrés à un trafic d'organes sur des prisonniers serbes au cours du conflit, a suscité une réaction plutôt mesurée de la part des autorités serbes.

Si la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo n'est pas, en tant que telle, une condition de l'adhésion, puisque cette indépendance n'a pas été reconnue par cinq Etats membres (l'Espagne, Chypre, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie), la normalisation des relations constitue néanmoins une nécessité pratique et politique.

Il s'agit pour l'Europe d'éviter d'importer des conflits en son sein, à la lumière du précédent chypriote.

Or, une certaine ambigüité demeure en Serbie puisque l'idée d'une partition du Nord du Kosovo est souvent évoquée à Belgrade, ce qui serait susceptible d'entraîner des tensions dans la région, notamment en Macédoine ou en Bosnie-Herzégovine.

Enfin, après avoir remis Slobodan Milosevic et Radovan Karadzic, la police serbe a arrêté, le 26 mai dernier, Ratko Mladic, qui a été transféré à La Haye. Il reste donc un dernier fugitif recherché par le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

Dans ce contexte, quelle doit être la politique de la France à l'égard de la Serbie ?

Le sentiment que nous avions retiré de notre déplacement est que la France doit soutenir la Serbie dans sa volonté de rapprochement avec l'Union européenne et encourager ses efforts de modernisation.

Comme nous avons pu le mesurer au cours de notre visite, la France jouit d'un capital important de sympathie en Serbie. Le souvenir de la fraternité des armes lors de la Première et lors de la Deuxième Guerre mondiale demeure, en dépit du souvenir douloureux des bombardements de l'OTAN sur Belgrade, comme en témoigne notamment le monument à la gloire de la France, situé dans le parc Kalemegdan, en plein centre de la ville.

Cette relance de nos relations a d'ailleurs été consacrée à l'occasion de la visite officielle en France du Président de la Serbie, M. Boris Tadic, le 8 avril dernier, avec la signature d'un accord de « partenariat stratégique » entre la France et la Serbie, à l'image des accords signés avec d'autres pays d'Europe centrale et orientale.

A cette occasion, le Président de la République et le Président serbe ont adopté une déclaration commune qui souligne le soutien de la France à l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne et qui prévoit un renforcement de notre coopération bilatérale dans plusieurs les secteurs, en particulier en matière économique et de défense.

Si nos deux pays sont liés par une longue tradition d'amitié, en matière économique, notre pays occupe une place encore très modeste en Serbie.

La part de marché de la France est faible, avec seulement 3,4 % en 2009. La France est le 5e fournisseur, après la Russie, l'Allemagne, l'Italie et la Chine et le 12e client de la Serbie.

La présence économique française est limitée, avec deux grandes usines Michelin et Lafarge. Elle est surtout concentrée dans le système bancaire, l'agroalimentaire et les services.

Le montant des investissements français s'élève à environ 500 millions d'euros, sur un total de 16 milliards d'euros d'investissements étrangers. La France enregistre la 8e position, loin derrière l'Autriche et l'Allemagne.

Une nouvelle chambre de commerce franco-serbe a été créée en octobre 2009 qui devrait permettre d'attirer davantage d'entreprises françaises. Un grand projet intéresse notamment les entreprises françaises : la construction du métro léger de Belgrade.

La ratification de l'accord de stabilisation et d'association, qui a déjà été ratifié par la Serbie et par quinze autres Etats membres, constituerait un encouragement aux autorités serbes pour poursuivre les réformes.

Il existe une forte attente de la Serbie à l'égard de la France et je crois qu'il va de notre devoir mais aussi de notre intérêt d'y répondre.

C'est la raison pour laquelle je vous recommande l'adoption du présent projet de loi.

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