Intervention de Didier Boulaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 juin 2011 : 1ère réunion
Adhésion de la croatie à l'union européenne — Examen du rapport d'information

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud, co-rapporteur :

Dix fois plus petite que la France, peuplée de 4,5 millions d'habitants, d'origine slave, de religion catholique à 87 % et utilisant un alphabet de caractères latins, au carrefour des influences de la Méditerranée, de l'Europe centrale et des Balkans, la Croatie, ancienne république de la Fédération Yougoslave, a une histoire douloureuse, n'acquérant son indépendance qu'aux termes d'un conflit meurtrier au début des années 90.

Le système politique croate issu de la Constitution de 1991 était à l'origine présidentiel et marqué par les pratiques semi autoritaires du président Tudjman. Il a été rééquilibré en 2000, en faveur d'un régime parlementaire. Le HDZ de Tudjman s'est mué en un parti de droite classique, affilié au PPE. Les élections ont amené l'alternance et le pays vit aujourd'hui en système de cohabitation entre un Président social-démocrate Josipovic, aux prérogatives limitées mais à la grande autorité morale, et un premier ministre de droite conservatrice Mme Kosor. Le Gouvernement a trois priorités : adhérer à l'Europe, redresser l'économie et lutter contre la corruption, avec l'arrestation de plusieurs hauts responsables, dont l'ancien premier ministre Sanader. La cohabitation est constructive ; les deux têtes de l'exécutif oeuvrent de concert pour ancrer la Croatie à l'Europe.

Sur le plan économique, la Croatie est, après la Slovénie, la plus avancée de la région, avec un revenu moyen par habitant égal à 65 % de la moyenne européenne, deux fois supérieur à celui de la Roumanie. La monnaie, la Kuna, est stable et arrimée à l'euro dans une bande de change étroite, ce qui force le pays à réaliser des réformes structurelles et à améliorer sa compétitivité. Le tissu industriel croate est toutefois limité et le secteur public encore hypertrophié : 67 entreprises publiques représentent le quart du PIB, et seule une vingtaine sont bénéficiaires. L'économie est marquée depuis 2008 par la crise et les restructurations du secteur public. Le Gouvernement a lancé 30 grands projets pour relancer l'investissement. La présence française reste insuffisante, avec moins de 3 % de parts de marché, loin derrière les Allemands et les Italiens, et au 6ème rang en termes d'investissements, concentrés dans le secteur bancaire et agroalimentaire.

Membre de l'OTAN depuis 2009, la Croatie a un contingent de 350 hommes en Afghanistan et soutient les opérations en Libye. Elle est membre depuis l'origine de l'Union pour la Méditerranée.

La géographie et l'histoire placent la Croatie, bien qu'elle s'en défende et revendique sa pleine identité européenne, au coeur des Balkans, région dont notre collègue Robert Badinter a coutume de rappeler qu'elle « produit plus d'histoire qu'elle n'en peut consommer ». Même si la Croatie s'est résolument engagée dans la réconciliation et la coopération régionales, les relations bilatérales avec les voisins restent empreintes de l'héritage douloureux des conflits des années 1990. N'oublions pas que la guerre date de 15 ans seulement, et qu'elle a fait des centaines de milliers de morts, déplacés et réfugiés : entre 1991 et 2001, la population de la Croatie a baissé de 6 %....

Le Président Josipovic s'est courageusement engagé dans une démarche de réconciliation, en posant des gestes forts en particulier envers la Serbie, puisqu'il s'est rendu à Belgrade dès juillet 2010 et a ouvert la voie à une normalisation des relations. Comme nous l'a dit notre collègue Beaumont, le Président serbe Tadic a ensuite présenté, dans la ville martyre de Vukovar, des « excuses » pour les crimes commis par le régime de Milosevic pendant la guerre, en particulier lors du siège et de la chute de la ville. La coopération entre les deux anciens ennemis est en bonne voie pour le traitement du retour des réfugiés : plus de 250 000 Serbes de nationalité croate avaient quitté la Croatie au moment du conflit, il en reste plus de 65 000 et la question du relogement, qui est traitée de façon très volontariste par les Croates, est toujours cruciale...

Pourtant, des plaintes respectives pour génocide déposées par la Croatie et la Serbie sont toujours pendantes devant la Cour internationale de Justice, ce qui montre combien ce rapprochement reste difficile. L'opinion publique croate est sous le choc du verdict du procès Gotovina : le 15 avril dernier, le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie a condamné à 24 et 18 ans de prison deux généraux croates de l'opération « Tempête » de reconquête de l'enclave serbe de la Krajina, perçue par les Croates comme une « guerre patriotique ». A contrario, le transfert de Ratko Mladic à la Haye pourrait atténuer un peu l'amertume ressentie, même si certains estiment, à Zagreb, que son acte d'inculpation devrait être élargi aux crimes commis en Croatie.

S'agissant de la Slovénie, c'est l'arrivée au pouvoir de Mme Kosor en juillet 2009 qui a permis de dénouer une situation figée depuis 2008 autour d'un différend frontalier relatif au golfe de Piran ; cette question qui a empoisonné les relations bilatérales et bloqué pendant plus d'un an les négociations d'adhésion croates sera réglée par un recours à l'arbitrage après l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Son principal sujet de préoccupation dans la région reste la Bosnie-Herzégovine. Soucieuse de ne pas faire d'ingérence et de défendre l'intégrité du pays, la Croatie observe toutefois avec inquiétude la marginalisation des Croates de Bosnie et défend l'égalité entre ses trois peuples constitutifs.

La Croatie, qui a reconnu le Kosovo, soutient tous ses voisins dans leur intégration aux institutions euro-atlantiques. Elle leur a d'ailleurs offert à titre gracieux les centaines de milliers de pages de traduction de l'acquis communautaire. Il faut reconnaître que la Croatie parait à bien des égards très en avance sur ses voisins et qu'elle est en quelque sorte à la fois le modèle et le moteur de l'ensemble des Balkans occidentaux.

Malgré son avance et ses efforts pour la réconciliation, le contexte régional a ralenti le processus d'adhésion croate. Ce n'est qu'après l'arrestation, à Madrid en 2005, du Général Gotovina que les négociations d'adhésion ont été ouvertes. Longtemps, la collaboration avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye, le TPIY, a été un blocage à l'ouverture du fameux chapitre 23 « Justice et droits fondamentaux », qui n'a pu être réalisée qu'en juin 2010, après la levée d'un veto principalement britannique et néerlandais, motivé par l'incapacité de la Croatie à fournir à son procureur les « carnets d'artillerie » de l'opération Tempête. Une équipe dédiée, ou « task force » a depuis été mise en place par les autorités croates et le Procureur Brammertz dans son intervention devant le conseil de sécurité de l'ONU, le 6 juin dernier, a dressé un bilan nuancé mais plutôt positif de la collaboration des autorités croates.

L'élan européen, qui recueillait il y a quelques années 80 % d'avis favorables au sein de la population croate, s'est un peu essoufflé, même s'il est toujours porté par un fort consensus de la classe politique dans son ensemble. Les derniers sondages donnent une courte victoire du « oui », qui devrait recueillir entre 50 et 60 % au référendum qui sera organisé en Croatie pour ratifier le traité d'adhésion, dans les 30 jours suivant sa signature.

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