Intervention de Yves Saint-Geours

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 juin 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Yves Saint-geours ambassadeur de france au brésil

Yves Saint-Geours, ambassadeur de France au Brésil :

Monsieur le Président, c'est avec un grand plaisir que j'ai accueilli votre délégation au Brésil au mois d'avril dernier. Je vous remercie de m'avoir adressé le rapport que vous avez présenté à votre commission et qui montre que vous avez bien mesuré les enjeux pour ce pays placé dans une situation nouvelle de puissance émergente. Le Brésil a terminé l'année 2010 au 7ème rang mondial en termes de PIB. C'est aussi le 5ème pays du monde par sa population, le 5ème également par sa superficie. Bien qu'émergente, cette puissance est donc réelle, tout en s'accompagnant de certains handicaps. Le Brésil n'est qu'au 75ème rang mondial pour l'égalité des revenus (indice Gini), au 73ème rang pour l'indice de développement humain et au 71ème rang pour le niveau de revenu par tête ; ce n'est donc pas encore un pays prospère.

Chaque président brésilien a coutume d'associer une devise à son mandat. Le Président Lula avait mis l'accent sur l'intégration de tous les Brésiliens, en parlant d'un pays de tous et pour tous. Pour Dilma Rousseff, « un pays riche est un pays sans pauvreté ». Cette préoccupation essentielle montre qu'il reste du chemin à parcourir pour ce grand pays.

Je voudrais maintenant évoquer les trois éléments qui rythment la relation de la France avec le Brésil. L'un est structurel et les deux autres plus circonstanciels.

Le premier élément est bien entendu le partenariat stratégique qui avait été préparé par le Président Chirac en 2006 et concrétisé à la fin de l'année 2008 lors de la visite du Président Sarkozy au Brésil. Le partenariat stratégique n'est pas un accord, ni un traité. C'est une méthode, un dialogue sur tous les sujets et de nombreux projets, en vue de rehausser la relation bilatérale et de travailler ensemble à des propositions communes dans les enceintes multilatérales.

Au partenariat stratégique s'ajoute un premier facteur conjoncturel. Jusqu'à la fin de l'année 2011, le Brésil siège au Conseil de sécurité des Nations unies comme membre non permanent. C'est aussi le cas de l'Inde et de l'Afrique du Sud, si bien que tous les pays du BRICS se trouvent dans une position inédite pour faire avancer leurs idées aux Nations unies. L'Allemagne siégeant également comme membre non permanent, comme l'Inde et le Brésil, le Conseil compte aussi trois des quatre membres du G4, le quatrième membre de ce groupe de candidats à un siège permanent étant le Japon.

Le Brésil exerce donc cette responsabilité internationale, dans une composition bien particulière du Conseil de sécurité, au moment où se produisent des événements internationaux majeurs, comme le printemps arabe. Vous avez fait allusion, Monsieur le Président, à certaines divergences entre les vues françaises et brésiliennes. Il est vrai que le Brésil n'a pas voté la résolution 1973 sur le Libye et se montre très rétif vis-à-vis d'une résolution sur la Syrie. Mais le Brésil a voté la résolution 1975 sur la Côte d'Ivoire. Au Conseil des droits de l'homme, il s'est distingué en se joignant aux préoccupations exprimées à l'encontre de l'Iran ou de la Syrie.

Vous le voyez, le Brésil se trouve dans une situation complexe d'émergence, non seulement au plan économique, mais également en termes de puissance globale. Il y répond à sa façon, en fonction d'une histoire singulière qu'il faut veiller à toujours bien garder à l'esprit. Le Brésil n'a pas tiré un seul coup de fusil contre l'un de ses voisins depuis 150 ans. Le Brésil a toujours privilégié l'arbitrage sur l'emploi de la force. L'un de ses grands hommes d'Etat, Rio Branco, réussit à étendre de plus de un million de kilomètres carrés la superficie du Brésil en négociant les litiges frontaliers avec les Etats voisins, y compris la France.

Le Brésil continue de se considérer comme un pays du tiers-monde, non satisfait de l'ordre international. Il a des velléités de grande puissance mais reste sur son quant à soi lorsque les solutions multilatérales ne lui conviennent pas. Il faudra donc que le Brésil sorte d'un certain nombre d'ambiguïtés, qui sont celles d'un pays très puissant, faisant progressivement partie du premier monde, mais se présentant en avocat des pays pauvres.

Le second élément conjoncturel qui influe sur notre partenariat stratégique est la présidence française du G8 et du G20. Tous les sujets mis à l'ordre du jour par la France intéressent le Brésil : la volatilité du cours des matières premières, le Brésil étant notamment un grand exportateur de produits agricoles ; le socle social, qui est une priorité du Brésil, très engagé au plan national dans la lutte contre la pauvreté ; la réforme du système monétaire international, le real brésilien souffrant d'une surévaluation de 30 à 40 % selon les estimations ; la réforme de la gouvernance mondiale. Sauf mauvaise surprise, nous trouverons dans le Brésil un très bon partenaire, certes exigeant, parfois ombrageux, veillant très naturellement à ses intérêts nationaux, mais ouvert à des propositions de consensus. Ce dialogue sur les enjeux globaux se poursuivra après le G20, avec notamment le sommet « Rio + 20 » qui abordera en 2012 les questions d'environnement, de climat et de biodiversité.

Je le répète, le partenariat bilatéral a vocation à rehausser nos relations bilatérales pour élaborer, ensemble, en multilatéral, des solutions pour la gouvernance mondiale.

Où en est aujourd'hui notre partenariat bilatéral ?

D'abord, le contexte. Les Présidents Lula et Sarkozy avaient de fortes affinités personnelles. Mme Dilma Rousseff est moins portée sur l'international. Jusqu'à présent, elle n'a effectué que deux courtes visites en Argentine et en Uruguay, puis s'est rendue en Chine pour le sommet des BRICS. Sa vision est, semble-t-il, plus technique, mais elle ne se trouve pas dans une situation analogue à celle de Lula.

Certes, les fondamentaux économiques du Brésil demeurent excellents : un rythme de croissance de l'ordre de 5 % par an, un quasi plein emploi, d'immenses ressources naturelles, un système financier solide et une grande continuité dans la conduite de la politique économique. Au niveau micro-économique, la situation est toutefois plus délicate. La monnaie est surévaluée, l'inflation est soutenue, de l'ordre de 6 à 6,5 %, et les taux d'intérêt continuent d'augmenter, à 12,25 % aujourd'hui, participant à l'afflux de capitaux qui entretient la surévaluation du real. Il faut aussi mentionner, dans le « coût Brésil » qui pénalise la compétitivité du pays, les lacunes en matière d'infrastructures et les lourdeurs bureaucratiques.

Tout ceci explique que Mme Dilma Rousseff se concentre sur la solution de ces questions économiques. Elle doit aussi asseoir sa position dans un espace politique brésilien complexe, avec les particularités de son système électoral, de son organisation fédérale et de son régime présidentiel, alors que son parti, le Parti des travailleurs, est loin d'être majoritaire. Disposant d'à peine plus de 15 % des sièges de députés et de sénateurs, il doit nouer des alliances avec quelques uns des 22 partis représentés à la Chambre des députés et des 14 partis représentés au Sénat.

Si la nouvelle présidente paraît moins intéressée que Lula par la politique internationale, les fondamentaux de la politique étrangère brésilienne n'ont pas changé pour autant.

Les relations demeurent compliquées avec les Etats-Unis, qui, même après le voyage d'Obama au Brésil, semblent manquer d'une politique latino-américaine bien définie.

La Chine, membre des BRICS, est un partenaire fondamental que le Brésil regarde néanmoins avec inquiétude. La concurrence chinoise a évincé les produits brésiliens de leurs marchés traditionnels, en Afrique et même en Amérique latine. La Chine souhaite acquérir des terres et des mines. Le groupe des BRICS possède donc une certaine réalité qui s'efface toutefois lorsque les intérêts fondamentaux de ses différents membres sont en jeu.

L'intégration latino-américaine reste une priorité majeure du Brésil. Elle participe de la sécurité collective, car si l'Amérique latine n'est pas un continent sans violence, c'est un continent sans guerre. L'intégration régionale, à travers ses différentes structures, organise donc la coexistence pacifique des pays latino-américains, mais elle n'a pas de réel impact sur la vie du continent, et en particulier sur celle du Brésil qui représente 40 % de son territoire et 45 % de son produit. L'intégration régionale est donc surtout pour le Brésil un élément de rayonnement et de sécurité dans son environnement.

Les bases du partenariat stratégique entre la France et le Brésil n'ont pas changé.

Ensuite, les réalités. Nos échanges économiques sont extrêmement actifs. En 2010, ils ont augmenté de plus d'un tiers, nos exportations ayant augmenté de plus de 40 %. Notre stock d'investissements directs s'élevait à 27 milliards de dollars début 2011, ce qui fait de la France le 4ème investisseur au Brésil. Le volume des investissements français au Brésil est deux fois plus élevé que celui des investissements français en Chine, trois fois plus élevé que celui des investissements français en Russie et sept fois plus élevé que celui des investissements français en Inde.

Notre relation est également très forte aux plans universitaire et scientifique. La France est la deuxième destination pour les étudiants brésiliens à l'étranger, et la première pour les étudiants boursiers. Les coopérations scientifiques couvrent un champ de disciplines extrêmement large, le Brésil étant le seul pays au monde dans cette situation. C'est une relation très ancienne, mais également très moderne, financée à 90 % par le Brésil, qui prend notamment en charge les bourses de 850 étudiants. L'enjeu est très important au moment où le Brésil accentue son investissement en recherche-développement, qui est passé en quelques années de 0,6 % à 1,2 % du PIB.

Le partenariat franco-brésilien progresse aussi très vite au niveau des sociétés civiles. Je pense en particulier à la coopération décentralisée, avec les relations nouées par exemple entre la région Rhône-Alpes et l'Etat du Parana, entre le Pas-de-Calais et le Minas Gerais ou entre la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et São Paulo.

Autre illustration, le nombre d'apprenants du français est en forte augmentation, comme celui des entrées de cinéma pour des films en français.

Nous sommes donc dans une dynamique qui reste forte.

Le volet militaire du partenariat stratégique est évidemment structurant. Nous touchons là à un aspect véritablement systémique pour le Brésil, avec des éléments politiques et industriels, en lien avec la recherche et la technologie.

Le Brésil s'est doté, il y a trois ans à peine, d'une « stratégie nationale de défense ». Cette stratégie est fondée sur une volonté de souveraineté et d'autonomie de décision, elle-même adossée à une industrie de défense indépendante, élément moteur pour la croissance économique nationale.

Le Brésil possède des champions industriels, comme Petrobras dans l'énergie ou Vale dans les activités minières et la sidérurgie, mais aussi Embraer, troisième avionneur mondial. C'est à travers ces champions industriels et cette stratégie nationale de défense qu'il faut lire notre relation partenariale. Si le Brésil a choisi la France, c'est que la France avait cette même autonomie de décision, cette même volonté de souveraineté, et une capacité à transférer des technologies pour aider à construire au Brésil une industrie de défense.

Notre relation s'est matérialisée par un très important contrat de réalisation de quatre sous-marins Scorpène et d'un sous-marin à propulsion nucléaire, le Brésil gardant la responsabilité de la mise au point de la chaudière nucléaire. Eurocopter a également conclu un contrat pour la vente de 50 hélicoptères dont la plupart seront réalisés au Brésil, dans une usine ayant vocation à fournir ensuite le marché sud-américain. La proposition du Rafale pour le marché des avions de combat se situe dans la même logique, le Brésil souhaitant acquérir une technologie et consolider son champion industriel Embraer.

Comme vous l'aviez souligné dans votre rapport, Monsieur le Président, nous nous trouvons à un moment crucial. Nous devons aujourd'hui mettre en oeuvre les transferts de technologies auxquels nous nous sommes engagés, dans le cadre de l'exécution du contrat des sous-marins. Ce sera la « preuve par neuf » de notre capacité à opérer ces transferts et de la solidité de notre partenariat.

Au cours de ces derniers mois, les visites bilatérales - parlementaires, ministres, autorités militaires - ont été particulièrement nombreuses, témoignant de la densité de la relation bilatérale. Le Brésil a conclu des partenariats stratégiques avec près d'une dizaine de pays différents, mais aucun d'entre eux ne parait aussi structuré que le partenariat franco-brésilien. Il faut veiller à ne pas banaliser ce partenariat stratégique.

Telles sont les principales remarques dont je souhaitais vous faire part sur ce pays très spécifique qu'est le Brésil.

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