Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 mai 2010 : 1ère réunion
Service européen pour l'action extérieure — Communication

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

Avec la mise en place du Président stable du Conseil européen et du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la création du service européen pour l'action extérieure constitue une innovation majeure du traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009.

La création de ce service, souvent dénommé « service diplomatique commun », est prévue à l'article 27, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne.

D'après cet article, « Dans l'accomplissement de son mandat, le Haut représentant s'appuie sur un service européen pour l'action extérieure. Ce service travaille en collaboration avec les services diplomatiques des États membres et est composé de fonctionnaires des services compétents du secrétariat général du Conseil et de la Commission ainsi que de personnel détaché des services diplomatiques nationaux. L'organisation et le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure sont fixés par une décision du Conseil. Le Conseil statue sur proposition du haut représentant, après consultation du Parlement européen et approbation de la Commission ».

Je précise que ce service européen pour l'action extérieure n'a pas vocation à se substituer aux diplomaties nationales. Chaque Etat membre conservera son propre ministère, son réseau diplomatique et consulaire, et continuera de mener sa politique étrangère. Les orientations en matière de politique étrangère commune continueront de relever des chefs d'Etat et de Gouvernement réunis au sein du Conseil européen et les décisions des ministres des affaires étrangères réunis au sein du Conseil statuant en règle générale à l'unanimité.

L'objectif de la mise en place de ce service est de renforcer la cohérence entre, d'une part, les différents aspects et les différents moyens et instruments de la politique extérieure de l'Union européenne, qui sont actuellement dispersés entre le Conseil et la Commission européenne, et, d'autre part, entre la politique étrangère de l'Union européenne et celle conduite par les Etats membres.

Il s'agit également de favoriser l'émergence progressive d'une culture diplomatique européenne commune, en rapprochant les points de vue et en confrontant les différentes traditions diplomatiques nationales.

Cela explique la composition originale de ce service, qui devrait rassembler des fonctionnaires issus des services concernés de la Commission européenne, du secrétariat général du Conseil et des agents détachés des services diplomatiques nationaux.

La présidence suédoise avait élaboré un rapport préparatoire sur la mise en place de ce service, qui a été approuvé par les chefs d'Etat et de Gouvernement lors du Conseil européen d'octobre 2009.

Le Conseil européen avait souhaité une adoption de la décision relative à l'organisation et au fonctionnement de ce service avant la fin du mois d'avril.

Toutefois, la création de ce service a pris un certain retard, en raison de la mise en place de la nouvelle Commission européenne.

Dès sa nomination en qualité de Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Lady Catherine Ashton, par ailleurs vice-présidente de la Commission européenne, a indiqué que la création de ce service constituerait sa première priorité.

Elle a présenté, le 25 mars dernier, un projet de décision du Conseil fixant l'organisation et le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure. Ce document E 5220 a été transmis, le 7 avril dernier, au Parlement, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, et notre commission a décidé de s'en saisir directement dès sa transmission.

Après plusieurs réunions et la prise en compte de modifications, les ministres des affaires étrangères sont parvenus, le 26 avril dernier, à un accord politique sur les principaux aspects du projet.

Toutefois, l'adoption définitive de ce texte dépendra de l'attitude qu'adoptera le Parlement européen.

Si, en vertu du traité de Lisbonne, la création de ce service nécessite une décision du Conseil prise à l'unanimité, sur proposition du Haut représentant, après approbation de la Commission européenne et après simple consultation du Parlement européen, il convient toutefois d'observer que les autres actes juridiques liés à la mise en place de ce service relèvent de la procédure législative ordinaire, c'est-à-dire de la procédure de codécision, qui place le Parlement européen sur un pied d'égalité avec le Conseil. Il s'agit, notamment, des actes relatifs à la modification du statut des fonctionnaires européens, à la modification du règlement financier et à la mise en place d'un budget propre à ce service. Le Parlement européen, qui est simplement consulté sur la décision relative à la création de ce service, réclame que ces différentes propositions fassent l'objet d'un « paquet global », ce qui aboutirait à lui conférer un droit de veto sur tous les aspects relatifs à la création de ce service.

Quels sont les principaux enjeux des négociations ? Ces enjeux portent sur la nature, le périmètre et la composition de ce service.

Le premier enjeu porte sur la nature de ce service.

Tous les États membres considèrent que le service européen pour l'action extérieure devrait être un service sui generis, équidistant de la Commission européenne et du Conseil.

Ce service serait placé sous l'autorité du Haut représentant mais il devrait également pouvoir assister le président du Conseil européen, ainsi que le président et les membres de la Commission européenne, dans l'exercice de leurs fonctions respectives, mais aussi et surtout, coopérer étroitement avec les Etats membres.

Pour sa part, le Parlement européen défend l'idée selon laquelle le futur service européen pour l'action extérieure devrait être intégré au sein de la Commission européenne, ce qui affaiblirait inévitablement le lien avec les Etats membres dans un domaine de nature éminemment intergouvernementale, tout en permettant au Parlement européen d'exercer un contrôle étroit sur ce service.

Cette option est toutefois rejetée unanimement par les Etats membres.

Une autre question essentielle pour les Etats membres tient à l'autonomie de ce service en termes de budget et de gestion du personnel.

En effet, dans le cas contraire, le Parlement européen serait tenté d'utiliser l'arme du budget pour peser sur les orientations de la politique étrangère de l'Union européenne, alors même que les traités ne lui reconnaissent pas une telle compétence.

Le deuxième enjeu porte sur le périmètre de ce service.

La France considère que le périmètre du futur service européen pour l'action extérieure devrait être le plus large possible afin de permettre au Haut représentant d'exercer pleinement son mandat. En vertu du traité, le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, en sa qualité de vice-président de la Commission, a en effet la responsabilité de la coordination des aspects touchant aux relations extérieures au sein de la Commission européenne. Cela s'applique en particulier à l'aide au développement et à la politique de voisinage, dans une certaine mesure à la politique commerciale, mais aussi à la réponse de l'Union européenne aux crises. La crise haïtienne, par exemple, a montré que si l'Union européenne a été, de loin, le premier contributeur en termes d'aide matérielle et financière, son action a souffert d'un manque de visibilité et de coordination. Or, ces portefeuilles ont été confiés à différents commissaires européens par le président de la Commission, José Manuel Barroso, y compris la réponse de l'Union européenne aux crises.

Une conception large du service supposerait qu'il comprenne des directions géographiques, couvrant toutes les régions et tous les pays, y compris des pays bénéficiaires de l'aide au développement ou faisant l'objet de négociations d'adhésion, mais aussi des directions thématiques, comme par exemple une direction chargée de la réponse aux crises ou une direction chargée des relations avec les Nations unies.

La France souhaite également que le service européen pour l'action extérieure soit chargé de superviser la programmation stratégique des différents instruments financiers, comme l'instrument européen de voisinage et de partenariat, l'instrument de coopération et de développement ou le fonds européen de développement. Cela permettrait à ce service de jouer le rôle d'un chef de file dans l'élaboration des grandes orientations de ces fonds, même si leur gestion devrait continuer de relever de la Commission européenne. Cette dernière est toutefois réticente à l'idée de confier la programmation de ces instruments au service européen pour l'action extérieure.

Rappelons que l'aide publique au développement de l'Union européenne représente 2,2 milliards d'euros, alors que le budget de la politique étrangère et de sécurité commune est de l'ordre de seulement 280 millions d'euros.

En définitive, le compromis trouvé lors du Conseil du 26 avril prévoit que le service européen pour l'action extérieure participera à la programmation de ces instruments financiers, mais en liaison avec la Commission européenne et sous l'autorité des commissaires européens compétents.

Concernant les structures de la politique de sécurité et de défense commune et de gestion de crises, comme l'état-major de l'Union européenne, la direction « gestion des crises et planification », la « capacité civile de planification et de conduite » ou encore le « centre de situation », la France a milité et obtenu qu'elles fassent partie du service européen pour l'action extérieure, tout en relevant directement de l'autorité du Haut représentant, en sa seule qualité de Haut représentant, afin de préserver l'autonomie de leurs chaînes de commandement.

Enfin, ce service devrait aussi comprendre un nombre limité de fonctions de soutien, en particulier en matière d'informatique ou de gestion des ressources humaines, tout en s'appuyant sur d'autres services, comme ceux de la Commission européenne ou du secrétariat général du Conseil, pour les services de traduction, par exemple, par souci d'efficacité et pour limiter les doubles emplois et donc les coûts.

Enfin, le troisième enjeu porte sur l'organigramme et la répartition des postes entre la Commission, le Conseil et les Etats membres.

S'agissant de ses effectifs, le service européen pour l'action extérieure devrait comprendre plusieurs milliers d'agents, de 4 à 8 000, au sein de l'administration centrale à Bruxelles et dans les 135 délégations de l'Union européenne auprès des pays tiers et des organisations internationales. Ces agents proviendraient à la fois des services compétents du secrétariat général du Conseil, de la Commission européenne ainsi que des Etats membres. Si, dans un premier temps, les fonctionnaires issus de la Commission européenne et du secrétariat général du Conseil devaient être les plus nombreux, le personnel provenant des Etats membres devrait, lorsque le service aura atteint sa pleine capacité, représenter au moins un tiers des effectifs.

Toutefois, le poids de chaque institution au sein de ce service fait l'objet de fortes discussions.

La Commission souhaite obtenir un certain nombre de postes clefs. Elle est appuyée par le Parlement européen qui estime que, vu le nombre de politiques communautaires que les personnels auront à gérer, il est normal que la Commission en fournisse la plus grande partie. Comme un tiers viendrait des Etats membres, le Conseil serait alors réduit à la portion congrue.

Les nouveaux Etats membres et les « petits » pays insistent, pour leur part, sur l'équilibre géographique dans le choix des nominations.

Une autre question sensible porte sur le mode de désignation des chefs de délégation de l'Union européenne.

Le Parlement européen a réclamé récemment de pouvoir être associé à la nomination des chefs de délégation de l'Union européenne ou des représentants spéciaux, en procédant à leur audition, préalablement à leur désignation, sur le modèle du Sénat américain.

Cette demande a été rejetée par les Etats membres.

Il souhaite également que les diplomates nationaux détachés aient la possibilité de rester définitivement au sein du SEAE pour éviter que ces diplomates ne restent sous l'influence de leurs administrations d'origine, ce qui reviendrait indirectement à les maintenir sous son contrôle.

Enfin, la France souhaiterait que le Haut représentant soit assisté par un secrétaire général, à l'instar du secrétaire général du Conseil ou de la Commission.

Ce secrétaire général aurait pour mission de faire fonctionner le service européen pour l'action extérieure au quotidien, notamment pendant les nombreux déplacements du Haut représentant à l'étranger.

Cette idée, agrée au sein du Conseil, est toutefois contestée au sein du Parlement européen, qui souhaiterait que la représentation du Haut représentant devant le Parlement européen soit assurée à un niveau politique.

Compte tenu de l'importance des enjeux soulevés par la mise en place du service européen pour l'action extérieure pour l'émergence d'une diplomatie commune, il me semble souhaitable que notre commission prenne position sur ce dossier.

Je vous proposerai donc d'adopter une proposition de résolution européenne sur les principaux aspects relatifs à la création de ce service.

En particulier, il me semble nécessaire d'insister sur les points suivants.

Tout d'abord, je crois qu'il est utile de rappeler qu'en vertu des traités, le service européen pour l'action extérieure doit être un service sui generis, distinct de la Commission européenne et du Conseil. Le Parlement, au contraire, veut qu'il soit intégré à la Commission. Pour ce faire, il doit disposer d'une autonomie budgétaire et en termes de gestion du personnel.

Ensuite, il me paraît nécessaire que le périmètre de ce service soit le plus large possible et qu'il inclue notamment les aspects relatifs à l'élargissement ou à la politique de voisinage. Je pense également souhaitable que ce service ait son mot à dire à propos des orientations de l'aide au développement.

Si les structures politico-militaires doivent être intégrées au sein de ce service, elles doivent cependant conserver une certaine autonomie afin de préserver la chaîne de commandement.

Enfin, je voudrais rappeler que la politique étrangère reste une prérogative des Gouvernements des Etats membres.

Le Parlement européen n'a aucune légitimité pour prétendre vouloir exercer un contrôle d'opportunité sur l'action du service européen pour l'action extérieure ou approuver le choix des chefs de délégation de l'Union européenne dans les pays tiers ou auprès des organisations internationales.

La déclaration n°14 annexée au traité de Lisbonne stipule d'ailleurs expressément que « les dispositions concernant la politique étrangère et de sécurité commune ne confèrent pas de nouveaux pouvoirs à la Commission de prendre l'initiative de décisions ni n'accroissent le rôle du Parlement européen ».

Je m'étonne d'ailleurs qu'il soit indiqué dans le rapport de la présidence suédoise que le service européen pour l'action extérieure devra entretenir « des contacts de travail étroit » avec le Parlement européen et qu'il devrait comprendre un bureau chargé des relations avec le Parlement européen, sans que soient mentionnés les Parlements nationaux.

Comme l'a indiqué Pierre Lellouche, lors de son audition devant la commission, le 2 février dernier, « les Parlements nationaux devraient jouer totalement leur rôle et faire entendre leur voix » à propos de ce service.

C'est la raison pour laquelle je considère que les Parlements nationaux devraient entretenir des contacts avec le service européen pour l'action extérieure afin de pouvoir être informés de la politique étrangère de l'Union européenne.

Enfin, étant donné l'importance de ce service, la France devrait être suffisamment représentée au sein de ce service, et cela à tous les échelons, et la place du français garantie, en tant que l'une des deux langues de la diplomatie.

La politique étrangère est le domaine qui suscite les plus fortes attentes de la part des Européens. Dans ce contexte, la mise en place du service européen pour l'action extérieure représente un enjeu majeur pour la crédibilité et l'efficacité de la politique étrangère de l'Union. Efforçons-nous de dépasser les querelles stériles et les enjeux de pouvoirs. Car ce qui compte, en définitive, c'est l'efficacité du dispositif. C'est cela qu'attendent les citoyens européens.

L'effacement de l'Europe l'a conduite à être absente des grands concerts internationaux et incapable de peser sur les règlements des conflits majeurs. C'est pourquoi l'existence d'une politique étrangère commune est un impératif majeur. Le service européen pour l'action extérieure doit être l'instrument de cette politique. Sa crédibilité comme son efficacité impliquent qu'il ne soit pas, dès l'origine, victime des conflits de pouvoir et des querelles corporatistes. L'Europe mérite mieux, les citoyens européens aussi.

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