Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 mai 2010 : 1ère réunion
Nouveau traité start — Communication

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

La Nuclear Posture Review, rendue publique le 6 avril dernier par l'administration américaine et le nouveau traité START, signé le 8 avril entre les Etats-Unis et la Russie, constituent en quelque sorte le fruit de l'initiative lancée en avril 2009 par le Président Obama dans son discours de Prague. Il avait alors évoqué la perspective d'un monde sans armes nucléaires, tout en ajoutant qu'il n'en verrait probablement pas la réalisation de son vivant. Ce discours traçait néanmoins une orientation dont nous voyons aujourd'hui les premières concrétisations.

Ce traité « New START » prévoit, à échéance de sept ans, un plafond de 1 550 armes stratégiques déployées pour chacune des deux parties. Rappelons que la notion d'armes stratégiques déployées ne couvre qu'une partie des arsenaux nucléaires et ne comprend ni les armes stratégiques en réserve ou en attente de démantèlement, ni les armes « sub stratégiques » ou « tactiques ». Aujourd'hui, les Etats-Unis et la Russie sont liés par le traité SORT, conclu en 2002, qui prévoit, à l'échéance de 2012, un plafond compris entre 1 700 et 2 200 armes stratégiques opérationnelles déployées. On voit ainsi que l'effort de réduction prévu par le « new START » est particulièrement modeste. A l'horizon 2017 ou 2018, c'est-à-dire sept ans après son entrée en vigueur, la diminution sera de 30 % par rapport à la fourchette haute du plafond SORT et de 9 % seulement par rapport à la fourchette basse.

Encore faut-il mentionner une particularité du nouveau traité s'agissant du mode de comptabilisation des armes nucléaires air-sol. Par convention, le traité considère que chaque bombardier stratégique correspond à une seule arme, alors que, bien évidemment, les deux parties détiendront un nombre beaucoup plus élevé d'armes air-sol que de bombardiers stratégiques. Cette disposition a été justifiée par le fait que les armes ne sont pas en permanence à bord des avions.

Le traité fixe également un plafond de 800 vecteurs, dont 700 vecteurs déployés.

Il faut rapprocher les plafonds du nouveau traité du volume global des arsenaux des deux pays, estimé à 13 000 armes nucléaires pour la Russie et à 9 400 pour les Etats-Unis. Ces derniers viennent pour la première fois de rendre public le nombre de leurs armes opérationnelles, qui est de 5 113 têtes nucléaires déployées ou en réserve. La différence par rapport au volume total estimé, soit un peu plus de 4 200 têtes nucléaires, correspond à des têtes nucléaires retirées du service et en attente de démantèlement.

Comme START I, venu à expiration en décembre 2009, et à la différence de SORT, le traité « New START » est assorti de mesures de vérification.

Le traité ne comporte aucune disposition relative au déploiement des défenses antimissiles ou à la conversion de missiles balistiques en armes conventionnelles pour des frappes de précision, comme l'envisagent les Etats-Unis avec le projet « Prompt Global Strike ». Un échange de lettres entre les présidents Obama et Medvedev, à propos de la défense antimissile, est évoqué, mais il n'a pas été formalisé.

Le « New START » doit désormais recevoir dans chacun des deux pays l'approbation parlementaire nécessaire à sa ratification puis son entrée en vigueur.

Lors de la mission effectuée par la délégation de la commission à Washington la semaine dernière, les responsables de l'Administration nous ont indiqué leur souhait d'obtenir l'approbation du Sénat cet été, avant la suspension des travaux du mois d'août jusqu'aux élections de « mid-term » début novembre. Il n'est pas acquis que ce calendrier pourra être tenu. Par ailleurs, je rappelle que l'approbation des traités par le Sénat requiert une majorité qualifiée de 67 voix sur 100 sénateurs. La ratification ne semble pas soulever de difficulté pour la Russie, ce traité lui donnant largement satisfaction en préservant la parité nucléaire avec les Etats-Unis.

Beaucoup plus difficile devrait être la ratification du traité d'interdiction des essais nucléaires (TICE), que le Sénat américain a rejeté une première fois en 1999. Elle supposerait un ralliement significatif de sénateurs républicains qui n'est absolument pas acquis actuellement.

S'agissant de la défense antimissile, j'ajoute que nous avons entendu à Washington des responsables américains se féliciter que les essais d'interception effectués à partir du dispositif actuel attestaient d'un taux de réussite de 80 %. Mais un tel taux laisse entier le problème des 20 % qui ne sont pas interceptés. Encore s'agit-il d'essais sur des missiles que l'on lance soi-même. Qu'en serait-il en cas d'attaque par salves lancées par un adversaire ?

Pour en revenir au traité « New START », il traduit la volonté des Etats-Unis d'établir de meilleures relations avec la Russie. En termes de désarmement bilatéral, il ne peut s'agir que d'un premier pas. Pour aller plus avant, il faudrait inclure les armes nucléaires en réserve et les armes nucléaires tactiques, qui ne sont pas concernées par ce traité.

La Nuclear Posture Review (NPR) a quant à elle été rendue publique par l'administration américaine le 8 avril. Il s'agit d'un exercice qui a eu lieu environ tous les huit ans, à l'occasion de l'arrivée d'un nouveau président. La première NPR date de 1994 et la suivante de 2011.

La NPR 2010 retient cinq objectifs :

- prévenir la prolifération et le terrorisme nucléaires ;

- réduire le rôle des armes nucléaires dans la doctrine de défense des Etats-Unis ;

- maintenir dissuasion et stabilité stratégiques à des niveaux réduits de forces nucléaires ;

- renforcer la dissuasion régionale et rassurer les alliés des Etats-Unis ;

- soutenir la sûreté, la sécurité et l'efficacité de l'arsenal nucléaire.

La prévention de la prolifération apparaît comme l'une des grandes priorités de la NPR. Les Etats-Unis souhaitent faire renoncer l'Iran et la Corée du Nord à leurs ambitions nucléaires, renforcer le régime des garanties de l'AIEA et généraliser l'adhésion au protocole additionnel, mettre en oeuvre diverses mesures de nature à prévenir le terrorisme nucléaire, notamment un programme international visant à sécuriser en quatre ans l'ensemble des matières nucléaires.

Pour les Etats-Unis, la prolifération et le terrorisme nucléaires constituent aujourd'hui un risque plus important que celui d'une guerre nucléaire.

La NPR accorde une place importante à la stabilité stratégique avec la Russie et la Chine. Il est clair que l'arsenal nucléaire de la Russie présente un caractère dimensionnant pour celui des Etats-Unis. La poursuite des réductions dans l'arsenal américain est en réalité subordonnée à la réduction de l'arsenal russe qui impliquera nécessairement de traiter la question des armes nucléaires tactiques. La Russie en détient plusieurs milliers, même si l'on n'en connaît pas exactement le nombre. Les estimations varient de 3 000 à 8 000. La Chine est également un élément majeur de la stratégie nucléaire américaine. La modernisation qualitative et quantitative de l'arsenal nucléaire chinois, ainsi que le manque de transparence entourant les programmes et la doctrine et suscite des interrogations sur les intentions stratégiques futures de la Chine.

La NPR considère que la dissuasion nucléaire américaine n'a rien perdu de sa pertinence.

Je voudrais sur ce point souligner la distinction à établir entre le principe même de la dissuasion nucléaire et le dimensionnement des arsenaux. Il est clair que les Etats-Unis ne sont pas en situation de « stricte suffisance », comme nous le sommes nous-mêmes. Ils peuvent réduire le volume de leurs forces nucléaires tout en maintenant la crédibilité de leur dissuasion nucléaire. Comment la France pourrait-elle prendre la tête d'un mouvement en direction du désarmement nucléaire, comme l'y incitent certaines personnalités, alors qu'elle s'en tient pour sa part à la stricte suffisance ? C'est au contraire aux puissances nucléaires qui ne l'on pas fait de ramener leur posture à ce niveau de stricte suffisance.

L'un des volets importants de la NPR touche à la politique déclaratoire. Les Etats-Unis réduisent le rôle des armes nucléaires dans leur politique de défense.

La NPR écarte tout engagement de non-emploi en premier de l'arme nucléaire - le « no first use » - mais ils adoptent une nouvelle formulation des assurances négatives de sécurité accordées aux Etas non nucléaires.

Les Etats-Unis n'utiliseront pas ou ne menaceront pas d'utiliser l'arme nucléaire contre des Etats non dotés d'armes nucléaires qui sont parties au TNP et qui sont en conformité avec leurs obligations de non-prolifération nucléaire.

Toutefois, un Etat qui attaquerait les Etats-Unis ou un de leurs alliés avec des moyens chimiques ou biologiques serait exposé à une « réponse militaire conventionnelle dévastatrice ». Les Etats-Unis disposent pour cela de moyens sans équivalent dans aucune autre puissance militaire. En outre, l'évolution de la menace biologique les préoccupe et ils se réservent la possibilité, si nécessaire, d'ajuster cet engagement.

A travers ce type de déclaration, les Etats-Unis veulent créer les conditions psychologiques propices à l'acceptation de la perspective d'un monde sans armes nucléaires dans lequel les contrôles en matière de non-prolifération seraient resserrés. Il s'agit de soutenir le TNP, de contrecarrer les ambitions nucléaires de l'Iran et de la Corée du Nord, de faire admettre la logique de sanction à l'encontre de l'Iran. Nous savons sur ce point que les Etats-Unis poussent désormais pour des sanctions significatives, y compris, sur une base volontaire, au-delà de celles qui seraient édictées par le Conseil de sécurité des Nations unies. On évoque la cessation d'achat de pétrole brut à l'Iran ou le gel d'avoirs bancaires.

On trouve également dans la NPR des notions familières à la doctrine de dissuasion française, telles que les circonstances extrêmes ou la préservation des intérêts vitaux. C'est un pas dans la direction de l'objectif de minimisation dont parle la Commission internationale sur la non-prolifération et le désarmement nucléaires, dite commission « Evans-Kawaguchi ». Celle-ci préconise, à l'horizon 2025, une réduction de la totalité des arsenaux nucléaires à 2 000 armes : 500 armes pour chacune des deux grandes puissances nucléaires et 1 000 pour tous les autres. Mais pour atteindre cet objectif, il faudrait réduire fortement le nombre d'armes en réserve et d'armes nucléaires tactiques, et accélérer le démantèlement des armes retirées du service.

Il faut également mentionner l'attention accordée par la NPR au renforcement des architectures régionales de sécurité, ce qui renvoie aux modalités d'exercice de la dissuasion élargie, notamment au travers des armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe. La présence de ces armes est présentée comme un élément important pour la cohésion de l'Alliance atlantique.

La NPR conditionne toute réduction future de l'arsenal américain à plusieurs conditions : maintenir une dissuasion nucléaire à l'égard d'adversaires régionaux, assurer la stabilité stratégique avec la Russie, renforcer les capacités conventionnelles américaines et alliées, aller de pair dans la diminution des armes nucléaires stratégiques et dans celle des armes nucléaires tactiques, mettre en oeuvre un programme d'extension de la durée de vie des armes actuelles pour maintenir la sûreté, la sécurité et l'efficacité de l'arsenal nucléaire américain.

La NPR revient également en conclusion sur la perspective d'un monde sans armes nucléaires. Elle énumère les conditions, nombreuses, qui la rendraient possible, notamment le règlement du plusieurs conflits régionaux et l'arrêt de la prolifération nucléaire. Elle considère que ces conditions ne sont clairement pas réunies aujourd'hui.

La NPR constitue en quelque sorte une version réaliste du discours de Prague. Les Etats-Unis n'entendent pas abandonner leur leadership, même s'ils considèrent pouvoir s'appuyer sur un arsenal plus réduit, mais plus solide. Ils se rapprochent de la notion de suffisance. Toutefois, la question de la Chine reste à l'horizon. Parmi les autres questions dominantes, citons celle de la défense antimissile, qui reste une priorité pour les Etats-Unis, la ratification du TICE, essentielle pour la crédibilité de l'engagement américain en faveur du désarmement nucléaire, le défi du démantèlement des armes nucléaires retirées du service, qui exigera de nombreuses années, l'évolution du Pakistan et la sécurité de son arsenal nucléaire et enfin, le face à face entre Israël et l'Iran.

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