Le texte que nous examinons aujourd'hui et dont j'ai l'honneur d'avoir été nommé rapporteur est une proposition de résolution européenne adoptée la semaine dernière, le 8 juin, par les membres de la commission des affaires européennes du Sénat, lors d'une réunion commune avec notre commission de l'économie.
Je suis très satisfait de rapporter ce texte devant vous car cette proposition de résolution traite d'une question qui est non seulement importante aujourd'hui mais également déterminante pour demain : celle de la volatilité des prix agricoles.
Cette proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes, a été déposée par les deux présidents Jean Bizet et Jean-Paul Emorine, comme un point d'aboutissement en quelque sorte aux travaux menés dans le cadre du groupe de travail sur la réforme de la PAC, commun à nos deux commissions et co-présidé également par nos collègues Odette Herviaux et Bernadette Bourzai. Une table ronde très intéressante a notamment été organisée conjointement le 27 avril dernier : elle a utilement permis de croiser les points de vue du monde agricole, d'analystes et observateurs nationaux et internationaux et des représentants du ministère de l'agriculture. Le compte-rendu de ces débats instructifs sera d'ailleurs annexé à mon rapport.
Sans revenir trop longuement sur le contexte actuel caractérisant les marchés agricoles, dont notre président a présenté la semaine dernière les principaux enjeux, je voudrais néanmoins pour ma part insister sur quelques points fondamentaux.
Premièrement, je crois qu'il faut être très clair sur le principal enjeu révélé aujourd'hui par la nouvelle flambée des prix alimentaires : l'instabilité des marchés agricoles, que l'on sait inévitable en raison des caractéristiques structurelles de l'offre et de la demande sur ces marchés, devient aujourd'hui excessive.
Je crois qu'il faut revenir, dans ce contexte, à la mission première de l'agriculture, qui est de nourrir les hommes. Car c'est bel et bien cette mission qui est menacée aujourd'hui, comme nous l'ont rappelé de manière dramatique les graves conséquences de la crise alimentaire de 2007-2008, ayant débouché sur des « émeutes de la faim » dans une quarantaine de pays en voie de développement.
Nous sommes en effet aujourd'hui confrontés, plus que jamais, au défi de l'alimentation, en qualité et en quantité suffisantes. Comme le souligne fort justement Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires : « Le monde a faim aujourd'hui, mais demain, dans quelques décennies, dans deux générations à peine, ce sont 10 milliards d'hommes qu'il faudra nourrir ». En effet, les projections les plus crédibles prévoient que nous serons plus de 9 milliards dès 2050. La question est alors de savoir comment nous pourrons relever le défi de nourrir toute la planète, dans des conditions économiques, sociales et environnementales acceptables par tous.
Et ce, d'autant plus qu'un certain nombre de facteurs laissent penser que l'emballement des mouvements de prix sur les marchés agricoles est voué à perdurer : l'accroissement démographique des pays émergents, notamment d'Asie, l'intensification des aléas climatiques, qui impactent fortement le volume de production agricole, ou encore l'explosion de la demande de biocarburants, liée à la flambée du prix du pétrole. Autant d'éléments qui laissent entrevoir une accentuation du phénomène de volatilité des prix agricoles dans les dix prochaines années.
Deuxième élément sur lequel je voudrais insister, il s'agit de la « financiarisation » des marchés agricoles, qui est un phénomène un peu nouveau. En effet, pour les raisons que je viens d'évoquer, les besoins de couverture et de partage des risques n'ont cessé de grandir en matière d'agriculture, ce qui a progressivement justifié l'existence de marchés financiers. Il faut ajouter à cela des capitaux qui se sont trouvés disponibles à la suite de la bulle immobilière et qui ont favorisé l'arrivée de nouveaux investisseurs.
Ces nouveaux investisseurs sont alors venus utiliser ces marchés dérivés dans le simple but de diversifier leur portefeuille, ce qui s'est traduit par l'irruption massive de capitaux dans les marchés à terme des produits agricoles, injectés par les fonds spéculatifs et les fonds indiciels ou encore les fonds liés à des matières premières. Les produits agricoles deviennent ainsi des composantes des produits financiers. Selon une stratégie de diversification du risque, les actions et les investissements sur les matières premières sont combinées au sein d'un même portefeuille.
Le résultat est une financiarisation croissante des marchés de produits de base, qui se traduit à la fois par une forte accentuation, à la hausse comme à la baisse, des mouvements de prix, et par une corrélation grandissante entre les indices de prix des matières premières et les prix des principaux instruments financiers, boursiers notamment avec une spéculation, dont les mouvements peuvent être irrationnels.
Ce résultat, vous l'aurez compris, risque très certainement de conduire à une plus grande transmission de la volatilité, notamment via cette influence des prix pétroliers sur les cours agricoles.
D'un côté donc, un défi alimentaire de plus en plus exigeant, de l'autre, une financiarisation qui risque d'accentuer une volatilité excessive et dangereuse pour la stabilité des marchés agricoles.
Dans ce contexte il est indispensable d'agir, et c'est à dégager des pistes pour atténuer cette instabilité sur les marchés que s'attachera la réunion du G20 agricole à Paris la semaine prochaine.
Dans cette optique, cette proposition de résolution propose cinq recommandations. Je vous les rappelle brièvement : premièrement, les concepts de sécurité de l'approvisionnement alimentaire et de sécurité sanitaire devront être mis au coeur de la PAC ; des outils permettant de lutter contre l'instabilité excessive des marchés agricoles devront être adoptés non seulement dans le cadre européen, mais aussi, plus largement, au niveau international dans le cadre du G20 ; la transparence de la production et des stocks de production devra être améliorée ; les marchés financiers devront être plus transparents et encadrés par des règles de régulation, comme les limites de position par exemple ; enfin, la constitution de stocks d'urgence en Europe et de stocks alimentaires dits « stratégiques » dans les zones de consommation les plus pauvres devront être prévues.
Si je rejoins, vous vous en doutez, très largement les préconisations de cette proposition, qui vont assurément toutes dans le bon sens et mettent à jour des difficultés qui apparaissent aux yeux de tous, je voudrais néanmoins vous proposer quelques modifications.
Il s'agit tout d'abord, de l'amendement déposé par notre collègue Daniel Raoul qui vise à rappeler, dans les considérants, le défi alimentaire auquel l'agriculture est confrontée au niveau mondial, d'autant plus pertinent que les aléas climatiques le rendent difficile à relever. Comme je l'ai dit dans mon introduction, cet élément est central si l'on veut réfléchir à l'agriculture de demain et j'y serai donc tout à fait favorable. La question de l'impact du changement climatique avait également été soulevée par notre collègue Gérard Bailly lors de notre réunion avec la commission des affaires européennes du 8 juin.
Je vous proposerai ensuite de compléter deux de ces recommandations :
- sur la transparence de la production et des stocks tout d'abord, afin de préciser que la fiabilité des informations en matière de prévisions de récoltes doit également être améliorée ;
- sur la transparence sur les marchés dérivés ensuite : celle-ci pourrait par exemple être renforcée à travers une obligation, pour les vendeurs, de s'engager à décrire précisément le contenu de ces contrats.
Je vous proposerai également d'ajouter à ce texte deux recommandations, dont l'importance mérite d'être soulignée :
- l'une invitant le Gouvernement à promouvoir, lors du G20, l'adoption de nouvelles règles au sein de l'Organisation mondiale du commerce, qui prennent en compte la spécificité des marchés agricoles : il me semble que l'OMC devra d'ailleurs, à terme, réfléchir à une organisation de l'agriculture mondiale par grandes régions, pour limiter le bilan carbone des échanges agricoles ;
- l'autre tendant à promouvoir une réglementation plus contraignante des opérateurs intervenant sur les marchés financiers, notamment par une obligation pour les banques d'expliciter clairement le fonctionnement des contrats à terme utilisés pour les contrats vendus aux agriculteurs - qui bien souvent ne savent même plus ce qu'il y a derrière étant donnée leur complexité - et de mentionner ces transactions dans les bilans des entreprises.
Je vous remercie.