Intervention de Michèle André

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 juin 2010 : 1ère réunion
Réforme des collectivités territoriales — Présentation de l'avis de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo de Michèle AndréMichèle André :

Je suis venue aujourd'hui pour vous présenter, en qualité de présidente et de rapporteure, les recommandations formulées par notre délégation en réponse à votre saisine du 4 novembre 2009. Ces recommandations, je tiens à le souligner, nous les avons adoptées à l'unanimité au cours de notre réunion du 10 juin dernier, et nous avons décidé de reprendre les deux principales sous la forme d'amendements que j'ai déposés devant votre commission et qui ont déjà été cosignés par la grande majorité des membres de la délégation.

Conformément à votre saisine, notre délégation s'est attachée à mesurer l'impact des modes de scrutin envisagés par le Gouvernement sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, en particulier pour l'élection des futurs conseillers territoriaux.

Nous nous sommes demandé dans quelle mesure l'impact négatif de ce mode de scrutin pouvait se concilier avec le principe d'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux qui est consacré par la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 et nous avons cherché des moyens pour améliorer la prise en compte de cet objectif de parité.

A cette fin, nous avons auditionné sept éminents constitutionnalistes, ainsi que les responsables de grandes associations d'élus - Association des régions de France, Association des départements de France, Association des maires ruraux de France. L'article 4 de la Constitution reconnaît aux partis politiques un rôle dans la mise en oeuvre de ce principe d'égal accès, et je crois que nous ne devons pas sous-estimer cette responsabilité. C'est pourquoi nous avons aussi auditionné les responsables de l'ensemble des partis politiques représentés au Parlement.

J'ai également rencontré les représentantes de plusieurs associations de femmes qui militent en faveur de la parité. Elles n'ont pas manqué de relever que l'adoption en juin, à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, d'un mode de scrutin défavorable à la parité serait une bien triste façon de célébrer le dixième anniversaire de la loi du 6 juin 2000, la première grande loi sur la parité en politique.

Le choix du Gouvernement de revenir au scrutin majoritaire à deux tours, par nature défavorable à l'accès des femmes, n'a pas privé nos travaux de leur pertinence, même si le changement de support législatif, par le truchement d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale, nous a contraints d'y adapter nos préconisations suivant un calendrier très serré.

J'en viens donc à nos recommandations. Les sept premières relèvent plutôt du constat. Les huitième et neuvième constituent le coeur de nos propositions.

Premier constat : les mécanismes mis en place par la loi du 6 juin 2000 ont permis à la parité de devenir une réalité effective dans les assemblées élues au scrutin de liste, et en particulier dans les conseils régionaux et dans les conseils municipaux des communes de plus de 3.500 habitants.

Plus précisément, les conseils régionaux sont devenus l'exemple d'une parité effective à tous les niveaux : les femmes représentent 48 % des conseillers régionaux élus en mars 2010, et grâce à la loi du 31 janvier 2007 qui favorise la parité des exécutifs municipaux et régionaux, elles occupent 45 % des vice-présidences.

Second constat, négatif celui-ci, la parité n'a pas progressé dans les élections au scrutin uninominal majoritaire, en particulier dans les conseils généraux qui, avec 12,3 % de femmes seulement, restent les assemblées les plus masculinisées de France.

Ces constats nous conduisent à formuler un regret : celui que le Gouvernement ait successivement privilégié deux modes de scrutin qui, reposant pour l'essentiel ou en totalité sur le scrutin uninominal majoritaire, sont de nature à « défavoriser » et non à « favoriser » l'accès des femmes aux futurs conseils régionaux et conseils généraux : 17,3 % de femmes avec le premier mode de scrutin d'après l'Observatoire de la parité ; beaucoup moins encore avec celui qui nous est maintenant proposé.

Le Gouvernement met régulièrement en avant l'impact positif pour les femmes de l'extension du scrutin de liste aux petites communes et de l'élection au suffrage universel des délégués communautaires. Nous en approuvons certes le principe, mais nous refusons de considérer que l'impact positif de ces mesures à l'échelon municipal pourrait compenser la régression prévisible et accentuée des femmes dans les conseils régionaux et généraux.

J'en viens au sixième point, qui est l'affirmation d'un principe : l'article 34 de la Constitution reconnaît au Parlement la faculté de fixer le régime électoral des assemblées. Mais la liberté dont il jouit dans le choix des modes de scrutin ne doit pas le dispenser pour autant de chercher à atteindre l'objectif constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.

Dans ces conditions, nous considérons que l'adoption d'un mode de scrutin particulièrement défavorable à la parité, comme le scrutin majoritaire à deux tours, ne peut devenir acceptable que si celui-ci s'accompagne de mécanismes susceptibles d'en neutraliser les effets négatifs.

Nous ne privilégions pas la voie des pénalités financières imposées aux partis politiques pour non respect de la parité, car nous relevons dans notre septième point qu'elle n'a pas produit pour l'instant les effets escomptés. Les sommes en jeu dans les législatives ne semblent pas du tout impressionner nos partis politiques... Il faudrait les rendre « insupportables » pour qu'elles soient efficaces, et c'est très loin d'être le cas du dispositif introduit par l'Assemblée nationale dans le projet de loi de réforme des collectivités.

Aussi privilégions-nous une autre voie dont je reconnais qu'elle est novatrice, même si je ne crois pas qu'elle bouscule les grands principes de notre droit électoral.

Dans notre huitième recommandation, notre recommandation clef, nous vous proposons, tout en restant dans le cadre du scrutin majoritaire à deux tours - dont nous comprenons qu'il a la faveur de beaucoup de nos collègues -, de substituer un scrutin binominal au scrutin uninominal. Autrement dit, l'élection porterait, dans chaque canton, non sur un candidat unique, doublé d'un remplaçant, mais sur un « binôme paritaire », constitué de deux candidats de sexe différent, accompagnés de deux remplaçants désignés dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui.

Bien entendu, pour maintenir inchangé l'effectif prévu des conseillers territoriaux, il faudrait réduire de moitié le nombre de cantons par rapport au redécoupage actuellement envisagé par le Gouvernement.

L'adoption de ce mode de scrutin permettrait d'obtenir, par définition, une stricte parité dans les conseils régionaux et les conseils généraux.

La parité étant réalisée dans ces derniers, on pourra et c'est notre neuvième recommandation, leur étendre les dispositions de la loi du 31 janvier 2007 qui ne favorisent actuellement la parité des exécutifs que dans les conseils régionaux et les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants.

J'ai déposé devant votre commission deux amendements qui apportent une traduction législative à ces deux dernières recommandations. Ils ont été cosignés par la grande majorité des membres de notre délégation, issus de la majorité comme de l'opposition.

Je vous remercie de l'attention que vous voudrez bien leur porter. Je crois qu'ils constituent la seule solution efficace pour éviter que la réforme territoriale ne se traduise par un recul historique de la parité, qui enverrait, dix ans après l'adoption de la loi du 6 juin 2000, un message très négatif à l'opinion quant à la volonté des pouvoirs publics - Gouvernement et Parlement - de continuer à progresser dans le sens d'un meilleur accès des femmes aux responsabilités politiques.

Or, c'est un enjeu important : comme l'ont reconnu tous les responsables des partis politiques que nous avons auditionnés, ce n'est qu'en s'ouvrant davantage aux femmes et à la diversité que nos assemblées et nos responsables politiques seront considérés par nos concitoyens comme véritablement représentatifs de la société française dans son ensemble.

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