Intervention de Michel Pébereau

Commission des affaires économiques — Réunion du 10 mai 2006 : 1ère réunion
Engagement financier de l'etat — Dette publique - Audition de M. Michel Pébereau président de bnp paribas

Michel Pébereau :

Se disant honoré et heureux de venir s'exprimer devant les deux commissions réunies, M. Michel Pébereau a indiqué, en préambule, que le rapport qu'il allait présenter était le fruit des travaux d'une commission pluraliste l'ayant approuvé à l'unanimité et qu'il avait été publié à la Documentation française, ainsi que sur le site du ministère de l'économie et des finances. Abordant la première de ses trois parties, établissant un constat, il a rappelé que la dette publique, s'élevant à plus de 1.100 milliards d'euros, n'avait cessé d'augmenter au cours des 25 dernières années, passant de 20 % du PIB en 1980 aux deux tiers de celui-ci actuellement, soit un quintuplement en euros courants. Il a souligné qu'au cours des dix dernières années, cette dette avait augmenté de 10,5 points de PIB, tandis que celle de tous les autres pays membres de l'Union européenne, à l'exception de l'Allemagne, où elle avait augmenté de 9,4 points du PIB suite à la réunification- s'était réduite ou stabilisée en proportion du PIB. Il a rappelé que les charges d'intérêt de la dette constituaient désormais le deuxième poste budgétaire de l'Etat, après l'Education nationale et avant la Défense, et ceci malgré le niveau actuel, historiquement bas, des taux d'intérêt. Il a souligné qu'aux côtés de cette dette financière, calculée conformément aux règles européennes, existaient d'autres engagements publics, le plus important étant celui de l'Etat vis-à-vis de ses fonctionnaires au titre de leurs retraites, qui serait évalué entre 790 et 1.000 milliards d'euros en appliquant les règles comptables du secteur privé, mais que la commission a estimé entre 390 et 470 milliards d'euros par un calcul tenant mieux compte du principe des retraites par répartition et des spécificités de l'Etat.

Il a indiqué que l'explosion de la dette financière ne résultait pas de circonstances exceptionnelles, telles qu'une croissance trop faible ou des taux d'intérêt trop élevés, mais de l'accumulation liée à 25 années consécutives de déficits des administrations publiques. Il a indiqué que la dette avait été un moyen pour financer un niveau de dépenses publiques (54,4 % du PIB) parmi les plus élevés des pays industrialisés, bien que le niveau des prélèvements obligatoires (44 % du PIB) soit lui-même le plus élevé de ceux des pays du G7.

Il a insisté sur le fait que cette dette n'était pas le résultat d'un effort visant à préparer l'avenir, rappelant que les investissements de l'Etat au cours des 12 dernières années, quelle qu'en soit la définition retenue, avaient été largement inférieurs au déficit budgétaire et que l'effort de l'Etat en matière de recherche ou d'enseignement supérieur avait stagné. Déplorant l'appauvrissement des administrations publiques, il a précisé que leur patrimoine net avait été divisé par trois de 1980 à 2002, passant de plus de 900 à moins de 300 milliards d'euros.

Il a souligné que la commission avait dénoncé le recours à l'endettement comme un moyen de compenser une gestion insuffisamment rigoureuse des dépenses publiques durant cette période, ajoutant que le rapport avait présenté à cet égard divers exemples significatifs. A titre d'illustration, il a cité l'augmentation de 4 à 5 millions du nombre de fonctionnaires entre 1982 et 2003, dont 300.000 fonctionnaires de l'Etat, et ce en dépit de la restriction de son périmètre d'intervention par les privatisations et la décentralisation, et malgré les gains de productivité significatifs ayant découlé des progrès technologiques et organisationnels. Pour ce qui est des collectivités territoriales, il a précisé qu'aucun jugement d'ensemble n'était possible, en raison de la faiblesse des informations globales disponibles, mais qu'on pouvait s'interroger sur les conclusions à tirer de l'augmentation de leurs dépenses de 7,9 à 11 % du PIB en 25 ans, et de l'accroissement à hauteur de 41 % du nombre de leurs fonctionnaires, ainsi que de la fréquence des observations critiques des juges des comptes.

Il a précisé qu'une première explication de cette situation résidait pour la commission dans les lourdeurs et les incohérences de notre appareil administratif, celui-ci ayant accumulé structures et interventions publiques nouvelles sans remise en cause des anciennes. Il a ajouté que si ces lourdeurs, non insurmontables selon lui, perduraient depuis 25 ans malgré la qualité des agents publics, cela provenait, pour la commission, d'un problème plus profond lié à des pratiques collectives et politiques n'incitant ni à la réforme des administrations, ni à un véritable combat contre le déficit et la dette publique, la dépense supplémentaire étant devenue la réponse systématique et souvent unique à l'ensemble des problèmes, y compris sociaux. Il a noté que l'action publique était jugée sur deux critères, le montant des moyens supplémentaires dégagés et la rapidité de leur annonce.

Il a ensuite indiqué que la commission avait considéré, dans la deuxième moitié de son rapport, que nos perspectives de croissance et de solidarité dans les années à venir dépendraient de notre volonté de restaurer une véritable capacité d'action publique.

Il a souligné que la France avait progressé depuis la fin des années 70, les Français ayant su s'adapter à l'ouverture des frontières et à une concurrence croissante au niveau des entreprises, notre pays étant, par ailleurs, venu à bout de l'inflation et de l'instabilité monétaire et ayant créé chaque année des richesses. Mais il a aussi constaté que nos performances en matière de croissance et surtout d'emploi avaient été inférieures aux attentes, avec un taux de croissance en retrait par rapport aux économies les plus dynamiques, l'exclusion du marché du travail d'une partie de la population plus importante que chez nos partenaires et un niveau de vie certes en progression, mais ayant cessé de converger vers celui des économies les plus riches.

Il a précisé que la France avait bénéficié, durant ces dernières années, de la vitalité de sa démographie, laquelle avait permis de compenser en partie la baisse de 23 %, entre 1970 et 2002, du nombre d'heures travaillées par habitant, la plus forte des pays de l'OCDE, à un moment où ce ratio connaissait une hausse de plus de 15 % aux Etats-Unis, bien que ce pays ait également bénéficié d'une démographie favorable. Il a déploré que la France soit en train de perdre cet avantage en raison du vieillissement de sa population, dont il résulterait, toutes choses égales par ailleurs, une baisse de la population active qui déclencherait une chute de la croissance potentielle de 2 à 1,5 % par an, ainsi que de graves déséquilibres des régimes de retraites et d'assurance maladie.

Notant qu'une inertie des politiques publiques face à cette situation entraînerait une augmentation de la dette publique à 100 % du PIB dès 2014, 130 % en 2020, 200 % en 2030, 300 % en 2040 et 400 % en 2050, il a qualifié un tel scénario « d'impossible » du fait que les prêteurs nous sanctionneraient bien avant que nous atteignions de tels niveaux d'endettement. Le scénario le plus probable était, d'après la commission, qu'une hausse des taux d'intérêt dans les prochaines années conduise les administrations publiques à perdre le contrôle de leur situation d'endettement et les marchés financiers à exiger une prise de risque plus élevée, ce qui fragiliserait notre modèle social et affecterait gravement l'ensemble de l'économie. Il a jugé que ce n'était pas en continuant d'avoir recours à l'emprunt que nous renforcerions notre croissance économique, notre niveau de vie et notre cohésion sociale, estimant que c'était au contraire en abandonnant les comportements de ces 25 dernières années que notre pays pourrait relever les défis du futur et préserver le modèle de société dynamique, fraternel et généreux auquel aspirent les Français.

Abordant enfin la dernière partie du rapport, consacrée aux recommandations, il a souligné en préambule que les vingt membres de la commission qu'il avait présidée s'étaient accordés pour considérer qu'un objectif commun devait consister en la remise en ordre des finances publiques en cinq ans, à travers la réorientation des dépenses vers les secteurs les plus utiles à la croissance, à la préparation de l'avenir et à la cohésion sociale. Il a jugé que rien ne serait plus inexact que de penser que cet objectif traduirait une vision comptable de l'action publique, mettrait en danger la qualité de nos services publics ou serait irréaliste. Bien au contraire, la remise en ordre rapide des finances publiques serait le garant de l'efficacité de notre action publique.

S'agissant des actions devant être entreprises par l'Etat, il a préconisé de s'attaquer au déficit budgétaire, s'élevant aujourd'hui à 16 % des recettes publiques, pour le ramener à l'équilibre en cinq ans, ce qui impliquerait une stabilisation de la dépense publique en euros courants. Expliquant que la réalisation d'un tel objectif imposait d'effectuer 2 % d'économies chaque année, soit 25 milliards d'euros sur cinq ans, ou encore 1,3 % du PIB, il a souligné que des pays comme la Suède et la Finlande avaient réduit leurs dépenses publiques de 10 % du PIB entre 1993 et 1998, puis stabilisé ce ratio, ce qui leur avait permis de renouer avec la croissance. Ajoutant que cet objectif impliquait également, durant la même période, une stabilisation de l'évolution des prélèvements obligatoires par rapport au PIB, et une affectation des recettes exceptionnelles au désendettement, sous réserve des dotations du Fonds de Réserve des Retraites, il a estimé qu'une utilisation des finances publiques à des fins de régulation conjoncturelle serait à nouveau possible une fois l'équilibre atteint.

Il a souligné que les autres administrations publiques devraient s'associer à l'effort de l'Etat. Concernant les collectivités territoriales, cela supposerait une stabilisation des dotations de l'Etat en euros courants prenant en compte les spécificités propres aux plus fragiles d'entre elles, l'Etat renforçant en contrepartie leur responsabilité financière en ne leur imposant plus unilatéralement des dépenses et en autorisant une augmentation progressive de leurs ressources propres, dont il a jugé le niveau actuel -50 % environ- insuffisant.

S'agissant des régimes sociaux, il a suggéré que leurs conditions d'équilibre soient désormais garanties par les décisions à prendre sur la même période de cinq ans. En ce qui concerne les retraites, le rendez-vous de 2008 devrait définir les conditions de l'ensemble des régimes, y compris les régimes spéciaux, jusqu'en 2020 au moins. Il a également préconisé le respect du retour à l'équilibre du régime général d'assurance maladie en 2009, inscrit dans la loi de financement pour 2006, et sa pérennisation par des mesures comme la garantie d'un vote de son budget à l'équilibre, l'engagement d'un rétablissement de l'équilibre d'une année sur l'autre et un mécanisme d'ajustement automatique. Déplorant le fait que 100 des 1.100 milliards d'euros de la dette de l'Etat proviennent du financement d'une partie des dépenses d'assurance maladie depuis le milieu des années 90, il y a vu un report inéquitable d'une dépense courante d'une génération sur la suivante.

Il a indiqué que pour atteindre cet objectif de remise en ordre en 5 ans des finances publiques dans des conditions satisfaisantes du point de vue de la croissance et de la cohésion sociale, il convenait de procéder à un réexamen intégral de l'efficacité des dépenses : celles de nature prioritaire, soigneusement sélectionnées, devraient être préservées, voire augmentées, la réduction automatique et uniforme des dépenses n'étant pas de bonne politique. Cela supposerait une modification des modes de travail du Parlement et du Gouvernement afin que l'efficacité de la dépense soit, plus que jamais, au centre de leurs priorités :

- pour éviter que l'empilement des dépenses continue, toute annonce de nouvelle dépense devrait préciser la ou les dépenses supprimées en contrepartie ;

- le Gouvernement devrait mettre en place un dispositif de réexamen complet des dépenses de l'Etat et de la sécurité sociale sous l'autorité du Premier Ministre, comme l'a fait avec succès le Canada, afin de les réorienter en cinq ans, en s'interrogeant sur la pertinence de chaque mission et l'adéquation des moyens humains et matériels affectés, et en utilisant l'outil que constitue la LOLF ;

- la réorganisation de l'appareil administratif serait un élément essentiel de cette démarche et le niveau des effectifs devrait tenir compte beaucoup plus qu'aujourd'hui des gains de productivité latents, du fait des progrès des technologies et de l'organisation, tout en assurant la qualité des services publics. Les départs à la retraite devraient être utilisés au maximum pour supprimer les sureffectifs, ce qui impliquerait de développer la mobilité au sein des administrations publiques et de réaliser un effort de formation, comme cela a été fait dans les grandes entreprises privées de services ;

- le Parlement devrait jouer un rôle très important dans cette réorientation des dépenses, en consacrant désormais plus de temps à leur contrôle qu'au vote du budget.

Convaincu que la mise en oeuvre de telles recommandations permettrait de dégager des marges de manoeuvre pour l'action publique propres à amortir les à-coups de la croissance et à mettre en oeuvre « l'agenda de Lisbonne », il a ajouté que la commission avait également suggéré une évaluation de l'efficacité des réglementations en même temps que des dépenses, pour s'assurer de leur cohérence, ainsi qu'une concentration des moyens publics, au lieu de leur dispersion.

Il a conclu en soulignant que la commission qu'il avait présidée était unanime à considérer que cette remise en ordre des finances publiques était indispensable non seulement pour préserver, mais surtout pour renforcer le potentiel de croissance économique et la cohésion sociale.

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