Intervention de Marcel Jurien de la Gravière

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 novembre 2006 : 1ère réunion
Audition de M. Marcel Jurien de la gravière délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense

Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense :

a tout d'abord rappelé que toute la période des essais nucléaires, de 1960 à 1966 au Sahara puis de 1966 à 1996 en Polynésie française, n'avait donné lieu à aucune communication, la culture du silence étant alors la règle. Après l'arrêt des essais en 1996, le ministère de la défense a procédé au démantèlement des sites de Polynésie. Une évaluation de la situation radiologique effectuée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et portant essentiellement sur Mururoa et Fangataufa a été publiée en 1998. Un rapport a été établi, en 2002, par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces deux documents n'ont pas ou très peu fait l'objet d'une communication en Polynésie.

Lors de sa visite à Papeete en 2003, le Président de la République a annoncé la création d'un comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français (CSSEN) qui a été mis en place en janvier 2004 par une décision conjointe des ministres de la défense et de la santé. Le CSSEN a pour double mission de caractériser les pathologies susceptibles d'être radio-induites et les catégories de personnes concernées, et d'assurer l'échange d'information avec les associations et les personnes intéressées. Le CSSEN est co-piloté par les deux autorités, civile et de défense, en charge de la sûreté nucléaire et de la radio-protection : le directeur général de la sûreté nucléaire et à la radioprotection (DGSNR) et le délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense (DSND).

a indiqué qu'à l'occasion d'une session régionale pour le Pacifique sud de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), au mois d'octobre 2005, il avait été amené à évoquer devant les élus les conséquences des essais nucléaires. Les élus polynésiens avaient alors regretté l'absence d'information qui avait prévalu jusqu'à cette date et avaient demandé à ce que soit écrite cette page de l'histoire de la Polynésie française à travers une opération « grand pas » d'information des populations. A son retour, la ministre de la défense a pris la décision de le mandater pour présenter les faits liés aux essais nucléaires français en Polynésie et leur impact radiologique.

Dans le même temps, l'Assemblée de Polynésie française avait créé une commission d'enquête qui a mené ses travaux de juillet 2005 à janvier 2006. Il n'a toutefois pas été possible d'établir de contacts avec cette commission du fait des recours portant sur sa constitution déposés par le Haut commissaire de la République.

a indiqué qu'il s'était rendu une première fois en Polynésie française, dans le cadre de sa mission en février 2006, au moment où l'Assemblée de Polynésie adoptait le rapport de la commission d'enquête. Des entretiens bilatéraux ont alors pu s'établir, le plan d'action du gouvernement a été présenté et l'engagement a été pris de revenir communiquer les premiers éléments d'information pour le mois de mai, puis un dossier complet pour le mois d'octobre.

Un premier dossier sur les essais nucléaires a été présenté et remis au gouvernement polynésien au mois de mai 2006. Il présente les 41 essais atmosphériques effectués de 1966 à 1974 et fournit pour chacun d'entre eux les informations relatives à la météorologie, aux conditions de tir et à la localisation des retombées. L'évaluation des doses est fournie pour les 10 essais ayant donné lieu à des retombées significatives. Etant apparu que six de ces dix essais méritaient une relecture, un nouveau calcul des retombées est effectué, dans un premier temps, pour trois d'entre eux. A la différence de ceux effectués de 1966 à 1974, ces nouveaux calculs prennent également en compte les doses à la thyroïde, puisque le cancer de la thyroïde est considéré comme un marqueur d'une exposition aux radiations. Le dossier transmis au gouvernement polynésien expose les données prises en compte et la méthode de calcul qui intègre tous les paramètres nécessaires, comme la ration alimentaire. Ce premier dossier comporte également des indications sur l'immersion de déchets radioactifs en fosse profonde et des éléments sur les opérations de démantèlement et de contrôle radiologique menées sur l'atoll de Hao.

Conformément aux engagements pris, un second dossier, présenté et transmis au mois d'octobre dernier, retrace le bilan définitif et complet des doses établies et complète les données pour l'ensemble des six tirs considérés comme ayant donné lieu aux retombées les plus significatives. La conclusion tirée de ces travaux est que les retombées se situent dans la gamme des faibles et des très faibles doses. Si l'on prend en compte les doses « efficaces » adultes pour l'ensemble des tirs, elles se situent toutes en dessous de 10 millisieverts, alors qu'à titre d'illustration, la dose annuelle absorbée à Paris du fait de la radioactivité naturelle est de 2,4 millisieverts.

a constaté que l'ensemble très complet de données transmises au gouvernement polynésien n'avait pour l'heure donné lieu à aucune contestation, y compris pour les rectifications qu'il avait été amené à formuler sur le rapport de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) qui faisait partie du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée de la Polynésie française.

Il a précisé que si le travail d'information sur les retombées qui lui avait été demandé était désormais achevé, il avait néanmoins effectué deux séries de propositions.

Dans le domaine de la santé, il lui a paru nécessaire de mener dans les quatre atolls concernés - Mangareva, Tureia, Reao et Pukarua - une action en trois volets : un bilan de santé de la population, car certains atolls ne bénéficient d'aucune présence médicale ; un suivi médical annuel ou bisannuel mis en place avec le territoire et l'aide logistique des armées pour le transport aérien ; la réalisation d'une étude épidémiologique.

Dans le domaine des installations, il a indiqué que l'Etat avait respecté ses obligations lors de l'arrêt des essais, mais qu'il pourrait contribuer à des opérations supplémentaires de « déconstruction » d'abris ou blockhaus. Il a rappelé à ce sujet que le ministère de la défense avait laissé ses installations de l'atoll de Hao, à leur demande, à la commune ou à des particuliers, et qu'elles étaient alors en parfait état.

Il a souligné que tant en matière de santé que d'infrastructures, rien ne pourrait être effectué sans une coopération étroite entre la Polynésie française et l'Etat. Il a notamment mentionné, s'agissant de la santé, l'appui qu'était prêt à apporter l'Institut national de veille sanitaire (INVS) au ministère de la santé polynésien.

Il a évoqué les travaux dont a fait état M. Florent de Vathaire, directeur de l'unité d'épidémiologie des cancers à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), et qui établiraient un lien entre certains cancers et les retombées des essais en Polynésie. Il a rappelé que cette étude n'était toujours pas publiée et ne le serait peut-être pas avant plusieurs mois, et que la ministre de la défense avait saisi à ce sujet les académies des sciences et de médecine.

Il a estimé que si, au vu d'études épidémiologiques reconnues, une relation était établie entre certains cancers et l'exposition aux retombées des essais, il conviendrait d'en tirer toutes les conséquences. Si cette relation n'était pas établie, il serait néanmoins nécessaire de maintenir un suivi médical régulier des populations des quatre atolls concernés et de poursuivre des études visant à relier les excès de cancer constatés à d'autres paramètres.

M. André Dulait a souligné qu'il était extrêmement important pour la commission, saisie d'une demande de constitution de commission d'enquête et d'une proposition de loi, de pouvoir bien comprendre la nature des questions soulevées par les conséquences sanitaires des essais nucléaires et faire le point sur l'action menée depuis la création, début 2004, d'un Comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français, dont les conclusions sont attendues d'ici à quelques semaines.

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