Intervention de Christian Noyer

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 février 2011 : 1ère réunion
Euro et g 20 des ministres des finances — Audition de M. Christian Noyer gouverneur de la banque de france

Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France :

Il y a eu un effort volontaire pour affaiblir une discipline qui était pourtant indispensable.

La quatrième cause de la crise de la dette souveraine est enfin à rechercher dans les faiblesses des dispositifs de surveillance bancaire, aussi bien en Europe que dans le reste du monde.

Face à cette crise, les orientations prises jusqu'à présent ont été les bonnes, à savoir : renforcer très sérieusement le cadre de surveillance budgétaire et les règles du pacte de stabilité et de croissance, afin de les rendre effectives ; mettre en place une surveillance de la compétitivité des Etats ; instaurer, en complément des plans de redressement, des dispositifs de soutien financier pour les Etats dont la situation économique et financière est telle que les marchés ne leur font plus spontanément confiance.

C'est au fond la philosophie des interventions du Fonds monétaire international (FMI) qui est appliquée à l'Union européenne. Leurs interventions sont d'ailleurs conjointes sur la base de plans de redressement communs.

Le débat se focalise désormais sur les mécanismes futurs à mettre en place. Deux idées sont principalement avancées :

- d'une part, ne faut-il pas chercher à disposer d'un montant effectivement disponible, à hauteur de ce qui avait été annoncé au départ, soit 440 milliards d'euros auxquels venaient s'ajouter 60 milliards d'euros d'un dispositif antérieur géré par la Commission ? Aujourd'hui, ce montant n'est pas vraiment disponible car, pour obtenir la meilleure notation sur les marchés (AAA), il a fallu mettre en place des dispositifs qui gèlent une partie des montants pouvant être empruntés. Cet objectif, partagé initialement par les Gouvernements de la zone euro, de disposer d'une force de frappe qui, combinée à celle du FMI, puisse représenter des montants dissuasifs pour la spéculation, semble être une bonne voie ;

- d'autre part, faut-il flexibiliser les dispositifs d'intervention ? J'y suis favorable à titre personnel et le Président de la BCE a indiqué la même chose. Dès lors que l'on souhaite mettre en place des mécanismes définitifs, il faut disposer de la plus grande flexibilité possible. Il s'agit, par exemple, de ne pas s'interdire de procéder à l'achat de titres sur le marché secondaire ou, le cas échéant, de prévoir des lignes de crédits de précaution à l'image de ce que le FMI a mis en place. Ces options me paraissent intéressantes.

S'agissant du programme d'achats de titres souverains par la BCE et l'Eurosystème, il convient de rappeler qu'après avoir pris plusieurs mesures sur les taux d'intérêt, l'allocation intégrale à taux fixe pour faciliter le refinancement du système bancaire, l'aide au redémarrage du marché des obligations sécurisées à long terme, nous avons été confrontés à un nouveau problème : les dysfonctionnements de la transmission de la politique monétaire. Un taux d'intérêt fixé par la BCE à 1 % s'est traduit, dans certains Etats, par des taux d'emprunt effectivement pratiqués à deux chiffres parce que les banques subissaient également la décote de l'Etat confronté à une crise de sa dette souveraine. Pour contrer cet effet, nous avons donc mis en place un programme d'achats de titres afin d'aider à la restauration d'une transmission plus ordinaire de la politique monétaire. Mais ce dispositif n'est concevable que si l'Etat en question prend des mesures drastiques pour redresser la situation de ses finances publiques et si les autres Etats-membres de la zone euro lui apportent un soutien financier.

Le programme d'achats lui-même s'est relativement bien passé. Nous observons des taux d'intérêt encore élevés dans les Etats concernés, mais nous avons réussi à contrer l'excessive volatilité de ces taux. Pour bien montrer que ces opérations n'étaient pas des programmes d'achats massifs ni de création de liquidité, nous avons tenu à stériliser systématiquement les montants achetés. Naturellement, la résolution des problèmes ne viendra que de la restauration de la confiance des marchés et du succès des plans de redressement.

Quant au débat sur le niveau de centralisation des encours du Livret A et du Livret de développement durable (LDD) à la CDC, et l'utilisation des encours décentralisés au profit des PME, la situation actuelle n'est pas alarmante à condition de ne pas déstabiliser la collecte.

Les prêts octroyés sont aujourd'hui couverts à près de 156 %, soit beaucoup plus que les 125 % légalement requis. Cela est dû au dynamisme de la collecte sur les livrets A, dont les encours ont augmenté de 5,5 % en 2010. Les banques commencent à proposer des prêts pour le logement social. Les montants demeurent encore faibles, mais c'est l'ébauche d'une politique qui peut être intéressante pour remplir les objectifs de construction de logements sociaux fixés par la loi.

Par ailleurs, avec un taux de rémunération porté récemment à 2 %, la collecte devrait être encore confortée. D'une manière générale, le livret A, réserve d'épargne garantie par l'Etat, rémunérée au dessus du taux d'inflation et non soumise aux prélèvements fiscaux et sociaux, reste attractif.

Aussi le risque que le seuil plancher des 125 % soit franchi est extrêmement faible, à condition de ne pas déstabiliser la collecte. A cet égard, la mise en place d'un seuil d'alerte à 135 %, proposée aujourd'hui, me paraît une bonne solution. J'avais d'ailleurs fait partie de ceux qui l'avaient recommandé !

La situation n'a donc rien d'alarmant, si l'on se garde néanmoins de fixer des objectifs contre-productifs. Il pourrait ainsi être risqué d'imposer aux banques à la fois un fort taux de centralisation et un faible commissionnement, dans la mesure où les établissements bancaires seraient alors incités à développer des produits concurrents aux livrets réglementés. Le problème se pose dans des termes analogues à ceux qui président à la définition d'un taux d'imposition : la recherche d'une maximisation des recettes fiscales ne saurait, sans se contredire, engendrer une réduction de l'assiette d'imposition.

S'agissant de l'utilisation des encours non centralisés au profit des PME, elle doit répondre à deux règles qui sont très largement respectées :

- d'une part, l'encours doit représenter au minimum 80 % de l'encours décentralisé de l'épargne réglementée. Ce ratio, qui est aujourd'hui de 262 %, est respecté par toutes les banques ;

- d'autre part, la loi de régulation bancaire et financière dispose que, chaque année, lorsque le montant total des sommes déposées sur les livrets A et les livrets de développement durable et non centralisées par la CDC augmente, l'établissement de crédit collecteur doit consacrer au moins les trois quarts de l'augmentation constatée à l'attribution de nouveaux prêts aux PME. Les flux nouveaux ont représenté, l'année dernière, dix fois plus que la collecte. Ce critère est donc largement respecté.

Si je n'ai pas d'inquiétude sur le respect de ces deux règles, en revanche, nous nous heurtons à une difficulté qui tient à la définition de la notion de PME fixée par un arrêté d'application. Cette définition est extrêmement complexe. Or les bases de données des banques ne contiennent pas les indications nécessaires pour répondre aux critères choisis, ceci pour la simple et bonne raison que cette définition n'est pas harmonisée avec celle, plus simple, en vigueur dans d'autres domaines aux niveaux national, européen et international. Je proposerai donc au ministère chargé de l'économie d'aligner cette définition sur la réglementation prudentielle française et européenne.

S'agissant de la publication par la Banque de France de données sur les encours et les flux nouveaux de crédits aux PME et aux entreprises créées depuis moins de trois ans, nous serons en mesure, après un travail statistique considérable, de livrer au premier semestre 2011 une estimation de ces éléments.

J'en viens maintenant à Bâle III. Le dispositif prudentiel me paraît être un bon système : renforcer la quantité et la qualité du capital. Il fallait trouver le juste équilibre pour améliorer considérablement la solidité du système bancaire mondial. Nous avions surtout besoin de définitions homogènes pour être sûr que, d'un Etat à l'autre, il n'y ait pas des degrés de résistance très différents avec, apparemment, les mêmes ratios. Il fallait, en même temps, éviter de pénaliser le financement de l'économie. Je crois que nous nous sommes accordés sur un ratio exigeant mais raisonnable. Nous avons également étalé la mise en oeuvre, qualitative et quantitative, sur une bonne partie de la décennie, jusqu'au 1er janvier 2018.

Dans ce volet prudentiel, parmi les éléments les plus importants, nous avons considérablement augmenté les exigences de fonds propres au regard des activités de marché. Elles ont été multipliées, en moyenne, par un facteur de trois à quatre.

Les autres volets comprennent le ratio de levier, qui est également sous observation, parce que nous souhaitons que ce soit un ratio simplement complémentaire, de sorte que nous pourrons vérifier qu'aucune banque ne s'est créé un effet de levier excessif. Normalement, le ratio sur actifs pondérés doit rester le principal ratio. Au demeurant, jusqu'à présent, nous avions des divergences comptables importantes entre les normes européennes et américaines, qui avaient, dans le cas du ratio de levier, un impact énorme. En particulier, les modalités de compensation des dérivés étaient différentes. Il y a très peu de compensation dans le système IASB utilisé en Europe et beaucoup dans le système américain. Les deux normalisateurs comptables viennent de faire une proposition commune, qui me paraît excellente. Ils viennent également de faire une proposition sur le provisionnement sur le cycle. Là aussi, c'est une excellente nouvelle. Avec la crise, on s'est aperçu de la lacune que constituait l'absence de provisionnement prospectif. En fait, on attendait que la catastrophe arrive pour passer des provisions.

Les deux ratios de liquidité sont également en période d'observation. Ils correspondent à un vrai besoin sur le fond. La crise a autant été une crise de liquidité qu'une crise de solvabilité. Le degré de transformation dans le système bancaire mondial était excessif. Pour autant, ces deux ratios ont été construits très vite et ils présentent, à mon avis, quelques défauts. Par exemple, dans la présentation des actifs liquides, malgré un certain rééquilibrage que nous avons opéré au mois d'octobre, il existe toujours une prééminence forte pour les titres publics. Or nous avons vu avec la crise de la dette souveraine que les titres publics ne sont pas nécessairement les plus liquides. De même, les hypothèses d'entrées-sorties du bilan des différents types de dépôts ou d'engagement de crédit nous paraissent ne pas être complètement réalistes et, de ce fait, pouvoir présenter des marges de progression.

Il est clair que les banques n'attendront pas 2015, pour le ratio de court terme, et 2018, pour le ratio de long terme, pour se mettre en conformité. Elles commenceront à faire évoluer leur bilan beaucoup plus vite. Il importe donc que nous procédions à une clarification rapide du contenu exact de ces deux ratios.

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