Intervention de Laurent Lantieri

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 mars 2011 : 1ère réunion
Bioéthique — Audition de M. Laurent Lantieri professeur des universités praticien hospitalier en chirurgie plastique et reconstructive à l'hôpital henri mondor

Laurent Lantieri :

Je n'avais pas pensé à la dernière question mais je dirai que oui, c'est bien un élément du corps humain comme le sang du cordon : il n'y a pas de différence éthique. Le prélèvement du sang de cordon est extrêmement contrôlé chez nous, et c'est une très bonne chose que nous appliquions le principe de solidarité. Cependant, le don de gamètes étant techniquement plus compliqué pour les femmes, il y a pénurie, aussi certaines receveuses en attente de don vont-elles en Belgique ou en Espagne. Cette situation est choquante.

Un mot sur les tests génétiques. La neurofibromatose est la deuxième maladie génétique en France. Elle est dominante sur le plan de sa transmission, contrairement à la mucoviscidose, et extrêmement variable dans ses manifestations : il arrive ainsi qu'elle touche légèrement l'un des parents et massivement l'enfant. Comment transmettre l'information à la famille et quelle décision prendre ensuite ? Le mari d'une de mes patientes est atteint de cette maladie : première grossesse, diagnostic prénatal, interruption de grossesse, particulièrement traumatisante pour la mère qui, voulant un enfant de son mari, a demandé alors un diagnostic préimplantatoire. Je ne considère pas que cette demande soit illégitime au vu de la souffrance de cette femme. Or, le nombre de centres disponibles en France est très réduit, ce qui ne permet pas d'aborder sereinement cette question.

Je fais également de la reconstruction mammaire postérieure à une ablation. Le gène BRCA, celui du cancer du sein, concerne 10 % des femmes malades. Il est justifié d'assurer le dépistage de ce gène chez les femmes à risque familial, pour envisager l'éventualité d'une ablation prophylactique, et d'éviter la transmission à l'enfant. Or, on attend en France un an pour avoir ce diagnostic, ce qui est scandaleux, alors que l'examen en laboratoire permet de rendre des résultats en quelques semaines, aussi va-t-on en Belgique pour avoir un diagnostic plus précoce. Il est donc utile que la loi précise que des laboratoires spécifiques établissent le diagnostic, d'autant que certains assureurs le demandent.

Les critères de sélection des receveurs de greffe de visage ou de main ne sont pas différents des autres greffes : c'est le groupe sanguin, mais évidemment nous tenons compte en outre du sexe et de la couleur de la peau. Comme les données concernant la couleur de peau ne peuvent légalement être obtenues post mortem, nous avons d'ailleurs dû mettre en place des protocoles spécifiques pour obtenir les informations qui nous sont nécessaires.

Quant aux moyens, il convient que la loi prévoie que des blocs seront dédiés aux greffes d'organes dans certains hôpitaux. Il est également très important de disposer d'un local pour l'accueil des familles lorsqu'on leur parle de prélèvements éventuels. Il est insupportable de devoir les interroger dans un couloir sur un sujet aussi grave et dans des circonstances forcément dramatiques.

Mme Prada-Bordenave, que vous venez d'auditionner, sait mieux que moi le nombre de dons. Je connais ce qui concerne la peau, et nous sommes très limités, au point d'importer, pour les grands brûlés, des tissus du reste de l'Europe. Il y a aussi un problème d'information des coordinateurs paramédicaux et médicaux, qui sont parfois très réticents au prélèvement.

Oui, je pense qu'il faut que les centres qui pratiqueront les dons croisés aient une labellisation spécifique. Il ne serait pas bon de fonder le développement de ces pratiques sur le don altruiste pur et simple. Il s'agit ici d'une situation familiale particulière et le donneur doit avoir le sentiment qu'il a donné directement pour son proche, même si, dans les faits, cela s'est produit par l'intermédiaire d'un autre donneur. Cela concerne surtout le rein ; vu le nombre de cas, je ne pense pas que l'éventuelle idée d'un marchandage se pose.

On doit distinguer les tissus visibles et non visibles : la cornée relève des tissus visibles. Il faut mener une campagne de sensibilisation spécifique, bien expliquer qu'après un prélèvement, on pose des prothèses oculaires, et c'est légitime, même si la famille prévoit l'incinération du donneur. Si les campagnes d'information sont assez bonnes, elles sont parfois frileuses ; à l'inverse, j'ai trouvé celle de France Adot, utilisant l'image de Superman donnant ses organes, extrêmement choquante. Cela ne me trouble pas que l'on aille expliquer les enjeux dans les collèges et les lycées comme on y fait de l'éducation sexuelle : plus tôt les jeunes seront informés, moins ils auront de problèmes avec les dons et plus la société évoluera.

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