Nos déplacements dans les territoires ont été d'une richesse exceptionnelle. Nous avons rencontré les chefs d'entreprise, les partenaires sociaux. Nous avons été agréablement surpris par la qualité de nos échanges qui m'ont pour ma part convaincus qu'il faut conserver un fil conducteur à notre mission.
Quand est venu le temps de la rédaction, les échanges entre le rapporteur et le président que je suis n'ont pas toujours été faciles. La première mouture du rapport, qui vantait la TVA sociale ou le rapport Coe-Rexecode était pour nous, hommes de gauche, une provocation. Dans cette nouvelle mouture, le rapporteur a arrondi les angles, mais il continue, ainsi que plusieurs d'entre nous l'ont souligné, à faire apparaître le coût du travail comme la cause première de la désindustrialisation. C'est, à notre sens, une parfaite erreur d'analyse. L'Allemagne, même si elle a pratiqué la modération salariale, a démontré qu'avec une protection sociale et un coût du travail élevés, un pays pouvait se classer parmi les champions mondiaux. C'est ce à quoi il faut s'intéresser.
Est-il possible, ou non, de produire un rapport commun ? Avec mes valeurs, avec mes convictions politiques, vous ne pourrez me faire dire que le coût du travail est responsable de la désindustrialisation. C'est une question fondamentale. Il faut que, sur ce point, nous parvenions à un accord. On peut envisager plusieurs solutions. L'une d'elles consiste à présenter la position du rapporteur tout en laissant une large place aux avis divergents. Le rapporteur nous dit que le responsable est le coût du travail ; je dis, moi, que ce sont nos choix de politique industrielle de trente ans. Je l'ai dit à M. Besson, si le coût du travail augmentait de 10 % en Allemagne, les Allemands resteraient pourtant les meilleurs, parce qu'alors que nous délaissions des secteurs entiers de notre industrie, ils ont tenu ferme. On a vu comment aujourd'hui, dans le Bade-Wurtemberg, ils ont su mettre les moyens et les laboratoires de recherche au service de leurs PME et de leurs TPE, avec des résultats extraordinaires au service d'un système éco-productif responsable. Voyez comme les Allemands savent amorcer la pompe pour mettre un brevet en production, avec un fonds de soutien des banques. Si nous savions faire comme eux, au lieu de nous engluer dans un débat sur le coût du travail, qui mène au mur, nous n'en serions pas là aujourd'hui.
Sur la taxe professionnelle, il n'y a pas un avis des entreprises et un avis des territoires. Quand ceux de Fos-sur-Mer nous écrivent, c'est pour nous dire que si cela continue ainsi, ils seront ruinés, parce que toutes les infrastructures d'accompagnement qu'ils ont voulu mettre en place seront mises en cause. Le secteur industriel a besoin d'une correction de la CET pour retrouver une ressource équivalente. C'est, là aussi, une question de fond. Qu'au moins apparaissent, dans le rapport, nos deux positions.
Les contreparties ? Le groupe Trèves, qui a reçu beaucoup d'argent du FSI et du FMEA, délocalise massivement en Turquie. Est-il normal d'user ainsi de l'argent public ? Nous sommes partisans d'assortir le rapport d'une proposition de loi, afin d'interdire à une entreprise ayant reçu des fonds publics de délocaliser son activité en Turquie. M. Sueur a posé la question de l'eurocompatibilité, mais dans un cas comme celui que j'ai cité, nous sommes hors Union européenne. Nous avons vu bien des chefs d'entreprise qui attendent beaucoup de nous sur ce point.
Le rôle des banques ? Il est très bon de vouloir drainer l'épargne vers l'industrie grâce à un livret industrie, mais le problème le plus criant est celui du comportement au quotidien des banques face aux PME et aux TPE. C'est cela qu'il faut mettre en cause, en rappelant que le rôle des banques est de prendre des risques et qu'elles doivent être plus offensives. Rappelez-vous ce que nous disait ce chef d'entreprise du Nord : son banquier se disait disposé à lui prêter pour s'acheter une Ferrari, mais pas pour son projet industriel ! Il a dû aller chercher son argent ailleurs. C'est ainsi que se passent les choses aujourd'hui, et c'est pourquoi les chefs d'entreprise attendent beaucoup de nous.
Quand au couplet sur l'espionnage chez Renault, je vous mets en garde. Mieux vaudrait le retirer.
La question de la politique européenne est au coeur de notre réflexion. Nous sommes sortis abasourdis de notre déplacement à Bruxelles. On se demande si les fonds européens sont au service de la politique industrielle. Avec les fonds européens, il est même des golfs qui se construisent... Je dis, attention. C'est en s'habituant peu à peu aux choses, sans entreprendre de les changer, que l'on se retrouve avec un Front national à 24 %.
La question se pose d'un grand emprunt européen pour la recherche et l'innovation, propre à consolider les filières. L'Europe n'est-elle pas née de la CECA ? Quand renouera-t-on enfin avec une vraie politique européenne en faveur de l'industrie ?
Vous comprendrez que j'estime qu'il manque encore beaucoup à ce rapport. Je reconnais les efforts du rapporteur pour arrondir les angles, mais je crains que la recherche du consensus ne nuise au caractère percutant de notre travail.