Cette proposition de loi poursuit un triple objectif : protéger, prévenir et punir. Adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, elle constitue le prolongement des travaux de la mission qu'elle avait diligentée l'an dernier sur les violences faites aux femmes. Soutenu par un large consensus, ce texte révèle que l'ensemble des acteurs a pris conscience du caractère intolérable de ces violences persistantes. Notre commission a souhaité s'en saisir, eu égard aux aspects humains et sociaux qu'il comporte.
Un arsenal législatif existe déjà : pourquoi ne fonctionne-t-il pas bien ? Les violences psychologiques, en particulier, pourtant très lourdes de conséquences pour la victime et ses enfants, ne sont pas bien prises en compte. Le texte renforce donc les dispositions législatives existantes. Songeons que cent cinquante femmes sont mortes en 2007 sous les coups de leur compagnon, sans compter les suicides ou les accidents, qui ne sont pas pris en compte dans ces chiffres.
Le juge aux affaires familiales disposera désormais de prérogatives civiles et pénales renforcées, via la procédure de l'ordonnance de protection. Cette disposition complète des mesures qui ont déjà amélioré la protection des victimes. Ainsi, en 2009, des brigades de protection de la famille ont été constituées, à titre expérimental, dans vingt départements, et relayées - en principe - par un référent dans tous les commissariats de police et toutes les brigades de gendarmerie. Elles doivent permettre de mieux répondre aux violences en libérant la parole des victimes. Dans cet objectif, des questionnaires ont été élaborés qui visent à déceler une éventuelle emprise psychologique.
En matière de protection des enfants, l'article 3 renforce la procédure du droit de visite des parents dans un espace neutre, lorsque la situation le justifie. L'adresse de la victime reste ainsi secrète après la séparation et le lien parental peut être maintenu dans un lieu neutre et sécurisé.
Cependant, l'efficacité de ces mesures dépendra de leur mise en oeuvre, effective et harmonisée. Les brigades de protection doivent à mon sens être étendues à tous les départements et les règles de procédure pénale harmonisées. Les bonnes pratiques doivent être généralisées. A Douai, le procureur a mis en place un protocole efficace : dépôt de plainte systématique et éviction immédiate du conjoint. Mais dans d'autres départements, on voit parfois régner une certaine indifférence. Par ailleurs, l'obligation faite au juge d'organiser le droit de visite hors du domicile, quand l'intérêt de l'enfant le commande, implique l'existence d'espaces de rencontre en nombre suffisant dans tous les départements, ce qui n'est pas encore le cas.
Le texte prévoit aussi, dans le cadre de l'ordonnance de protection, l'attribution systématique du logement familial à la victime. Mais celle-ci peut ne pas toujours le souhaiter si elle a peur de demeurer à une adresse connue par l'auteur de violences ou si elle préfère s'éloigner d'un lieu rattaché à de mauvais souvenirs : j'estime que cela pourrait être subordonné à son consentement.
Par ailleurs, les preuves matérielles sont difficiles à réunir, en particulier pour les violences psychologiques. Au-delà du certificat médical, qui ne permet de constater l'infraction qu'en cas d'incapacité de travail, il conviendrait de rechercher systématiquement les traces bancaires de l'emprise financière du conjoint violent sur sa victime, ainsi que les témoignages du voisinage.
Enfin, je souhaite qu'une meilleure coordination entre les juges soit assurée, afin que le juge aux affaires familiales, qui statue sur l'exercice de l'autorité parentale, ait connaissance de toutes les procédures passées et en cours.
S'agissant de la médiation pénale, celle-ci peut-elle constituer une alternative aux poursuites ? L'article 16 la proscrit dans tous les cas de violences au sein du couple mais les avis sont partagés sur ce point. J'étais moi-même autrefois très opposée à cette procédure en ce qu'elle mettait en contact le bourreau et sa victime. Je suis moins péremptoire aujourd'hui car il semble qu'en cas de violences limitées, la médiation pourrait constituer une alternative utile, sans laquelle on peut craindre de voir classés sans suite bien des dossiers ou se borner à un rappel à la loi le plus souvent inefficace. Si nous la rétablissions dans ce cas de figure, il faudrait cependant veiller à strictement l'encadrer, sur le modèle des préconisations du guide de l'action publique sur la lutte contre les violences au sein du couple publié par le ministère de la justice.
J'observe aussi que si une prise de conscience a eu lieu, nous manquons encore d'instruments d'évaluation de ce phénomène de violences. A l'heure actuelle, les plaintes déposées pour violences conjugales ne sont pas identifiées en tant que telles dans les statistiques : on ne peut les distinguer des autres cas d'atteintes aux personnes. Cette information lacunaire s'ajoute au déni du corps social, rendant plus difficile la libération de la parole. C'est pourquoi j'étais favorable à la création d'un observatoire spécifiquement dédié, à laquelle l'Assemblée nationale n'a malheureusement pas pu procéder en vertu de l'article 40 de la Constitution. Il faudra nous contenter d'un rapport du Gouvernement au Parlement, seul moyen de contourner l'irrecevabilité financière, sur le bien-fondé de l'institution d'un observatoire de ce type.
De la même manière, nous savons bien que la violence entre hommes et femmes découle de représentations sociales anciennes : c'est pourquoi la sensibilisation des jeunes générations doit être précoce. L'article 11A intègre une formation à l'égalité entre les hommes et les femmes dans les cours d'éducation civique destinés aux élèves et dans le cursus de formation des enseignants. Espérons que cette mesure ne restera pas lettre morte.
Enfin et surtout, la reconnaissance des violences psychologiques, trop longtemps niée, est essentielle car les victimes sont graduellement placées, et de manière insidieuse et difficilement détectable, dans une situation de dépendance et d'isolement dont elles ne peuvent se sortir seules. La création d'un article nouveau dans le code pénal, reconnaissant le statut de victime, constitue un premier pas pour les aider à s'en sortir. Mais l'existence de procédures d'accompagnement est indispensable pour accompagner les victimes vers un réel retour à l'autonomie.
Pour conclure, je considère que cette proposition de loi complète utilement l'arsenal juridique existant. Il ne faudra pas négliger la formation des acteurs et prévoir des campagnes de sensibilisation sur le sujet. Je vous propose d'émettre un avis favorable sur ce texte, sous réserve d'un amendement que je vous présenterai.