Il y a effectivement un moment dans le temps des villes où l'entropie fait basculer l'urbain dans l'ingérable. C'est pourquoi ce sujet est très politique. C'est aussi pourquoi il est très difficile car le taux d'inertie de l'urbain est immense. Les villes sont comme des paquebots ; pire que des paquebots. Elles bougent lentement. A titre d'exemple, les villes actuelles en France sont le produit de décisions prises dans les années 1970 et de décisions qui n'ont pas été toutes totalement assumées. On a ainsi transformé à l'époque les boulevards de la plupart de nos villes en voies rapides ou en autoroutes urbaines. Le président de la République Georges Pompidou avait d'ailleurs déclaré qu'il fallait adapter les villes à l'automobile, programme qui a alors été parfaitement rempli. Dans la presse du temps, on ne trouve aucune protestation alors que, maintenant, la destruction de quelques maisons ou de quelques jardins pour faire passer une route crée une véritable émotion avec la création de plusieurs associations de défense et que l'on crie au scandale ! Mais, il y a cinquante ans, tout le monde adhérait à l'idée selon laquelle il fallait adapter la ville à l'automobile et que c'était le progrès.
En 1998, dans mon précédent rapport « Demain, la ville », j'avais fait une proposition en faveur d'une loi de programmation qui aurait permis d'affecter aux villes 50 milliards de francs sur 10 ans, soulignant en outre que le fait de ne pas engager des travaux d'aménagement, notamment dans les quartiers difficiles, conduirait à des dépenses supérieures dans la durée. Au prétexte de l'annualité budgétaire, le ministère du budget s'était alors opposé à cette proposition. Finalement la nécessaire rénovation urbaine aura coûté bien plus cher. Car les phénomènes urbains ne se traitent pas dans l'annualité. Leur dimension temporelle est à 10, 20, 30 ou 40 ans. Il est vrai que le fait de ne pas se préoccuper de ces questions n'a aucune influence sur la prochaine élection politique. Le problème de l'entropie urbaine, c'est en fait celui du rapport entre la politique et la longue période.