Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion
Règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010 — Examen du rapport

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

Je commencerai par un point de méthode. L'exercice du projet de loi de règlement, pour intéressant qu'il soit, porte sur le seul budget de l'État. Nous continuons donc à vivre sous un régime assez archaïque, antérieur à l'expansion budgétaire de la sécurité sociale, quand il faudrait examiner le programme de stabilité 2010-2013 pour parvenir à une vision globale de nos finances publiques, incluant l'ensemble des administrations publiques.

De ce point de vue, il existe deux manières d'envisager une même réalité économique. Les optimistes souligneront que le déficit est de 7,1 %, contre une prévision de 8,2 %. Les réalistes, que certains qualifieront de pessimistes, rappelleront le « score » remporté par la France : fin 2010, nous enregistrions le cinquième plus fort déficit de la zone euro, après la Grèce, l'Irlande, l'Espagne et le Portugal... Quant à la dette publique, elle s'est envolée à des niveaux jamais atteints en 2010, essentiellement en raison du Grand emprunt. Toutefois, l'embellie du solde public est une réalité : on note une amélioration de 0,5 point du déficit des administrations publiques qui résulte, de surcroît, d'éléments structurels, et non conjoncturels. Si l'on se borne à regarder l'agrégat des dépenses publiques, on se prête même à rêver : la dépense publique a crû de 0,6 % en volume, contre 2,3 % en moyenne ces dix dernières années. Est-ce à dire que nous atteindrions le stade de la vertu ? Cela n'est pas certain... L'analyse détaillée de l'évolution des dépenses publiques montre que ce résultat flatteur est totalement lié à des facteurs exceptionnels. De fait, si l'on neutralise l'arrêt du plan de relance et la stabilité des dépenses locales, la croissance des dépenses publiques est légèrement inférieure à 2 %, soit un chiffre proche du trend historique. Pour tenir compte des livraisons exceptionnelles de matériels militaires en 2000 -une situation qui n'est pas propre à cet exercice-, il faut toutefois corriger ce chiffre pour le ramener à 1,5 % en volume.

Revenons-en au programme de stabilité : peut-on comparer précisément la prévision et son exécution pour l'année 2010 ? L'exercice est pour le moins délicat : le Gouvernement et son administration, culturellement, ne sont pas très enthousiastes à faire toute la transparence en la matière. En outre, les prévisions de croissance des dépenses de chaque catégorie d'administrations publiques sont indiquées à périmètre constant et hors transferts entre administrations publiques, contrairement aux données en exécution, publiées par l'Insee. D'où l'article 15 que notre commission avait introduit dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, prévoyant un rapport annuel du Gouvernement sur l'application des programmes de stabilité. Hélas, le Gouvernement ne consacre pas tous ses efforts à l'élaboration de ce bilan. Cette année, moins de deux pages lui sont réservées dans le rapport qui nous a été transmis à l'occasion du débat d'orientation sur les finances publiques. Ce qui nous laisse sur notre faim... Enfin, un problème spécifique à l'année 2010 : le changement de base de l'Insee. Différences notables entre la « base 2000 » et la « base 2005 », le PIB est légèrement minoré -d'où un déficit à 7,1 % en 2010, et non à 7 % comme l'avait indiqué le Gouvernement en avril dernier- ; la CADES et le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) appartiennent désormais à la catégorie des administrations de sécurité sociale, et non à celle des organismes divers d'administration centrale. En résumé, des progrès restent à faire pour que le Parlement soit véritablement informé de l'exécution du programme de stabilité. Si celui-ci devient le cadre, ne pas suivre rigoureusement son exécution serait une lacune très lourde.

Venons-en aux chiffres. Côté recettes, les recettes fiscales connaissent une progression faciale d'un peu plus de 39 milliards. Pour autant, ce rebond s'explique surtout par des éléments circonstanciels. En raison de la réforme de la taxe professionnelle, l'État a recouvré la contribution foncière des entreprises, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux pour 14,5 milliards. L'arrêt du plan de relance, soit la cessation des mesures de soutien à la trésorerie des entreprises, se solde également par 14,5 milliards de recettes supplémentaires. Au total, seuls 8,6 milliards sont imputables à l'évolution spontanée des recettes, soit un cinquième de la hausse. Enfin, les mesures nouvelles en 2010 ont entraîné une moins-value de 1,6 milliard. Si le rythme de création de niches fiscales a été moins élevé que par le passé, la règle de gage n'a toujours pas été observée.

Côté dépenses, la norme « zéro volume » a été respectée en 2010 à condition d'une présentation flatteuse... De fait, pas moins de 70 milliards de dépenses liées à la réforme de la taxe professionnelle, au Grand emprunt et au plan de relance ont été retranchées de la norme. Notons, aussi, que le budget général a bénéficié des économies constatées sur la charge de la dette -2 milliards- et le prélèvement européen -0,8 milliard. Enfin, le remboursement des dettes de l'État envers la sécurité sociale a été débudgétisé -1,4 milliard- pour éviter d'affecter la norme. En outre, treize missions dépassent en exécution les plafonds fixés dans le budget triennal, sans compter que l'enveloppe normée des concours aux collectivités territoriales fait l'objet d'un léger dépassement. Faut-il en conclure que les règles sont faites pour être contournées ou que l'adoption d'une règle enfin contraignante s'impose ? Puissent nos débats sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques avoir une vertu pédagogique pour l'avenir !

S'agissant de la masse salariale, les suppressions d'emplois ont été moins nombreuses que prévu : 26 527 ETPT, contre 31 930. Est-ce à dire que le Gouvernement ne s'est pas tenu à sa ligne politique ? Non, ce phénomène s'explique, en grande partie, par le nombre inférieur de départs à la retraite effectifs par rapport aux prévisions : 64 058 départs, contre 67 594 estimés. Malgré l'application de la règle du « un sur deux » avec un taux de non-remplacement de 48 %, la masse salariale, à périmètre constant, a crû de 2 % : une augmentation de 0,7 % pour les dépenses de masse salariale et de 5,2 % pour les dépenses de pension. Les 807,9 millions d'économies réalisées grâce aux suppressions d'emploi ont été absorbées par les mesures catégorielles -544 millions d'euros-, la revalorisation du point d'indice -536,6 millions-, le glissement vieillesse-technicité -181,2 millions- ainsi que d'autres mesures -514 millions au titre de la garantie individuelle du pouvoir d'achat, des mesures envers les bas salaires et de mesures diverses. Les pessimistes en concluront que la politique du « un sur deux » est insuffisante ; les autres s'en réjouiront, notant qu'elle a permis de financer des mesures de revalorisation et de reclassement pour la fonction publique.

Hors masse salariale, la dynamique de dépense est partout. Les dépenses de fonctionnement augmentent de 7,2 % par rapport à 2009, essentiellement en raison de la transformation des 3,6 milliards de dépenses de personnel des universités ayant accédé à l'autonomie en dépenses de fonctionnement. La réforme des universités est une bien belle chose, mais peut conduire à des appréciations inexactes du budget... Les dépenses d'intervention, quant à elles, enregistrent une hausse de 6,7 %, en raison des 2,7 milliards de dépenses d'investissements d'avenir et de l'augmentation de 1,3 milliard des dépenses en faveur de l'emploi. Les charges de la dette de l'État ont progressé de 7,6 %, dont 1,8 milliard liés à l'effet volume et 2,2 milliards liés à l'inflation. En revanche, les dépenses d'investissement diminuent de près de 15 %, l'effort étant concentré sur la Défense, après une année 2009 exceptionnelle, du fait du plan de relance. Enfin, la progression spectaculaire des dépenses d'opérations financières, qui passent de 0,6 milliard en 2009 à 25 milliards en 2010, résulte de la dotation en fonds propres des opérateurs chargés de financer les investissements d'avenir au titre de l'emprunt national.

Plongeons maintenant dans les abîmes du déficit budgétaire : en 2010, 11 milliards de plus qu'en 2009 ! Le solde primaire, soit hors service de la dette, continue de se dégrader, pour atteindre moins 110,3 milliards contre moins 92,3 milliards en 2009. Corrigé des investissements d'avenir, qui ne donnent pas tous lieu à des décaissements, il s'établit à moins 76,3 milliards. En bref, 27 % des dépenses de l'État ont été financées par des ressources non permanentes en 2010 ; le taux de couverture des dépenses du budget général par ses recettes était de 53,3 %, contre 55,3 % en 2009. Autrement dit, l'État a vécu à crédit dès le mois de juillet.

La hausse de l'encours de la dette négociable, après la forte progression de 133,2 milliards en 2009, a ralenti en 2010 : plus 78,8 milliards pour un encours de 1 212 milliards fin 2010, soit une augmentation de 40 % depuis 2005. Ce mouvement s'est accompagné d'une recomposition de l'encours au profit des titres à moyen et long termes. Fin 2010, les bons du Trésor à taux fixe et à intérêts précomptés (BTF) ne représentaient plus que 15,44 % de l'encours total, contre 19 % un an avant.

Pour achever ce bilan, un aperçu de la situation patrimoniale de l'État. Le résultat patrimonial se dégrade de 12,1 milliards par rapport à 2009. Cette détérioration s'explique par l'augmentation des charges nettes qui équivaut presque au double de celle des produits nets. L'État présente une situation nette négative de 756,6 milliards, soit moins 92 milliards par rapport à 2009. L'actif s'apprécie de 44 milliards, du fait de la première comptabilisation des concessions hydrauliques en 2010 et de la revalorisation de la Banque de France dans les comptes de l'Etat. Le passif, quant à lui, augmente de 137 milliards, principalement du fait de la progression de la dette financière et de la trésorerie passive.

Après le bilan, le hors bilan sur lequel les informations manquent : ils ne sont pas recensés de manière exhaustive, sans compter que les données ne sont pas comparables d'une année à l'autre. Le ministre, lors de son audition du 23 juin dernier, l'a reconnu et s'est engagé à faire son possible pour permettre une meilleure utilisation de ces données et leur indispensable comparaison année après année.

L'année 2010 est maintenant derrière nous, mais ses chiffres soulignaient le handicap structurel dont souffrent nos finances publiques.

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