Je voudrais tout d'abord rappeler brièvement la genèse de la directive et le contexte politique dans lequel elle s'inscrit.
A partir d'analyses menées entre 2001 et 2004, la Commission européenne a conclu que les directives applicables aux marchés publics ne proposaient pas de réponses adaptées aux spécificités des secteurs de la défense et de la sécurité. En effet, les procédures d'achat dans ces secteurs industriels complexes doivent être flexibles et prendre en compte les questions liées à la sécurité des approvisionnements et des informations.
Selon la Commission, cette inadéquation des procédures a abouti à une utilisation « extensive » de l'article 346 du traité de l'Union par certains États. C'est dans ce contexte que la Commission a publié, en septembre 2004, un Livre vert sur les marchés publics de défense dans lequel elle identifiait deux instruments possibles pour améliorer la transparence dans la problématique des passations de marchés dans les pays de l'Union européenne : une communication interprétative et une directive visant à coordonner les procédures de passation des marchés de défense. Le Livre vert définissait de façon sommaire ce que pourrait être le contenu d'une telle directive, notamment son champ d'application, les possibilités de recourir à l'article 346, le rôle de l'Agence européenne de défense, les exemptions, les procédures, les critères de sélection, la publicité, les compensations directes et indirectes, etc...
Un tel travail mérite d'être loué. Cependant les industriels ont souligné que le champ d'application de l'article 346 ne devait pas être par trop réduit, au point d'entamer la souveraineté des États et de réduire la capacité des sociétés de défense européennes à affronter la concurrence internationale dont, en particulier, celle des Etats-Unis. Une action de lobbying a donc été menée au niveau européen afin que le projet de directive prenne en compte d'autres considérants que ceux du seul marché. Les représentants de l'industrie de défense française ont exprimé leurs plus vives réserves sur le fait que la mise en oeuvre de la directive ne pourrait intervenir tant que la Politique européenne de sécurité commune (PESC) n'aurait pas fait de progrès plus sensibles. La Commission a rédigé un projet de directive à la fin 2007 qui a conduit l'industrie de défense européenne à proposer un certain nombre de modifications.
La rédaction finale de ce texte est donc le résultat de longs débats et de divers compromis qui se sont inscrits dans un contexte où existe une divergence d'intérêts entre, d'une part, les différentes catégories d'industriels selon leur taille ou leur position dans la chaîne d'acquisition -grands groupes , équipementiers, PME, maîtres d'oeuvre, fournisseurs- et, d'autre part, entre les États membres eux-mêmes dont les politiques d'acquisition différent sensiblement. A cela s'ajoutent les divergences d'intérêts entre les États possédant une industrie de défense et ceux qui n'en possèdent pas.
L'action des professionnels a été positive. Elle a permis notamment d'introduire le considérant 18 dans la directive afin de disposer d'une référence juridique rappelant que l'accès aux marchés de défense et de sécurité demeure dans le champ de la souveraineté des États membres, ce qui leur permet d'autoriser ou non des opérateurs économiques de pays tiers à participer à une procédure de passation de marché organisée par eux. L'ouverture est une possibilité, non une obligation.
L'action de la profession a également permis d'obtenir l'exclusion des marchés de recherche et technologie (R&T), dans son acception française, du champ d'application de la directive. Le fait de pouvoir lancer des études sans mise en compétition permet de préserver la possibilité de mener une politique industrielle visant à développer et maintenir des compétences jugées critiques ou sensibles par les Etats. De même ont été obtenues la conservation de l'exclusion des marchés en coopération du champ de la directive, l'institution de la procédure négociée comme procédure de droit commun et enfin l'incitation à plus de transparence dans l'attribution des sous-contrats, ce qui devrait réduire drastiquement les demandes de compensations ou offsets.
En revanche, d'autres demandes n'ont pas abouti, telles que la préférence communautaire, ni même sa version dégradée de la valeur ajoutée européenne. De même nous n'avons pas réussi à faire inscrire la notion de réciprocité dans le texte de la directive, l'action du CIDEF n'ayant pas été soutenue par ses partenaires européens à l'exception de l'Allemagne et de l'Espagne. Il en est allé de même de l'extension de la procédure négociée sans publicité préalable aux développements en spirale ou aux contrats de production à la suite des contrats de développement initiaux ; la non-communication par les États d'informations sur leur projets de contrats en coopération, en particulier concernant le coût global, la part de R&D, le partage de coûts entre États, les quantités commandées par État, puisque ces contrats en coopération n'entrent pas dans le champ de cette directive. Enfin, contrairement à ce que souhaitaient les industriels français, les contrats du type FMS (Foreign Military Sales -vente d'État à l'État) n'entrent pas dans le champ de la directive. Du reste, lorsque cette directive a été adoptée, les associations d'industriels américains se sont félicitées de cette directive dans la mesure où elle ne construisait pas la « forteresse Europe ». Cela ne manque pas de sel quand on sait qu'il existe aux Etats-Unis des textes fermant le marché des biens de défense aux industriels non américains.
En ce qui concerne la transposition, il est, selon nous, important de veiller à ce que la loi permette d'appliquer toutes les marges de manoeuvre offertes par la directive, et qu'elle ne soit donc pas plus rigoureuse que ce que l'Europe propose. C'est par exemple le cas de la possibilité, écrite dans la directive, de consulter ou non des pays tiers. Nous serions surpris que la France impose une compétition ouverte à des opérateurs de pays non européens, sauf si elle le souhaite expressément. Imposer une telle obligation reviendrait à ouvrir le marché européen à tous les vents de la concurrence mondiale et handicaperait la compétitivité de nos industriels.
Il serait du reste intéressant de regarder comment les autres pays européens transposent cette directive et de vérifier qu'on ne transpose pas en France de façon plus rigoureuse qu'ailleurs. Il faut veiller à la façon dont le Royaume-Uni va transposer la directive car il faut replacer l'ensemble de ces textes dans la volonté politique de la France et du Royaume-Uni de développer une stratégie commune en matière de défense à partir du traité de Londres signé en 2010. Il est donc particulièrement important d'harmoniser les circuits d'acquisition entre nos deux pays.