Intervention de Michel Fontaine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 janvier 2011 : 1ère réunion
Paquet défense — Audition des représentants du conseil des industries de défense françaises cidef

Photo de Michel FontaineMichel Fontaine, président de la commission des affaires administratives du CIDEF :

Je voudrais apporter quelques éléments juridiques sur ce texte. De façon générale, le projet de loi de transposition de la directive « Marchés publics de défense et de sécurité » ne suscite pas de remarques particulières de la part de la profession, à l'exception de l'article 37-2. En effet, les rédacteurs ont tenté de transcrire le principe édicté par la directive de laisser les États membres libres d'ouvrir ou non leur marché de défense et sécurité aux opérateurs économiques de pays tiers. Mais la rédaction actuelle nous paraît sévère et risque de mettre en difficulté les adjudicateurs publics.

Que permet la directive ? Trois points nous paraissent très importants.

Tout d'abord, les obligations d'ouverture des marchés de défense et sécurité imposées par la directive visent, comme le souligne le considérant 2, l'établissement progressif d'un marché européen des équipements de défense et de sécurité, indispensable à la consolidation de la Base industrielle et technologique de défense européenne. Cet objectif s'étend également à la sous-traitance au sein de l'Union européenne, comme le précise le considérant 40-4.

Le deuxième point est le considérant 18, qui rappelle que les marchés de défense sont hors de l'accord sur les marchés publics (AMP) et donc que les États membres conservent le pouvoir de décider si oui ou non leurs adjudicataires peuvent autoriser des agents économiques de pays tiers à participer aux procédures de passation des marchés. Ce considérant rappelle la liberté des États membres. Il est donc important qu'il puisse être d'une façon ou d'une autre retranscrit dans notre loi.

Le troisième point, souligné dans les articles 41 et 42, établit clairement qu'il est possible de ne pas retenir un industriel ne disposant pas, sur le territoire de l'Union, des capacités techniques et ou professionnelles pour exécuter le marché et assurer par la suite la maintenance, la modernisation ou les adaptations des fournitures, ou faire face aux situations de crise.

Malheureusement, le projet de transposition actuel ne permet pas à l'acheteur public qui ne souhaiterait pas ouvrir un marché donné aux opérateurs économiques de pays tiers d'éviter que ceux-ci y participent via la création de filiales en Europe ou d'accords industriels.

La rédaction actuelle de l'article 37-2 dans le projet de loi fait donc courir des risques à notre industrie.

Le premier de ces risques est que des groupes industriels dont la majeure partie des activités est située en dehors de l'Union créent des filiales immatriculées dans l'Union dans le seul but de bénéficier d'un accès facilité aux marchés de défense et de sécurité des États membres. Il s'agit de ce qu'on appelle les « faux-nez ». C'est par exemple ce que font les entreprises russes en Estonie.

Le deuxième risque est que des sociétés implantées de longue date sur le territoire européen cherchent à développer une activité de défense en « important » dans ce but les connaissances technologiques de groupes industriels étrangers à l'Union, alors que de telles connaissances sont déjà disponibles dans d'autres sociétés européennes. Ce cas peut être notamment rencontré avec des États récemment entrés dans l'Union et qui voudraient faire monter en gamme leur industrie. Cela reviendrait à permettre l'émergence de nouveaux compétiteurs en Europe, alors que, depuis plus de dix ans, des efforts ont été entrepris tant par les États que par les entreprises pour restructurer les industries de défense européennes. Cela serait fâcheux pour la Base industrielle et technologique de défense européenne que nous prônons.

L'article 37-2, tel que rédigé, transcrit la notion « d'opérateur économique d'un pays tiers », utilisée dans la directive, par « opérateur économique non-ressortissant de l'UE ». Cette apparente synonymie est en réalité malheureuse car la définition, politiquement claire, d'acteur tiers à l'Union, telle qu'elle apparaît dans l'exposé des motifs de la directive, devient source de contentieux possibles une fois traduite en droit français. Elle signifie bien que les sociétés installées hors de l'Union n'ont pas accès « de droit » aux marchés de défense et sécurité, mais toute société enregistrée dans un pays d'Europe (« ressortissant de l'UE »), fût-ce une simple boîte aux lettres, ne peut se voir opposer un refus de participer à une procédure de passation d'un marché public entrant dans le champ de la directive.

Cette analyse semble partagée par la plupart des acteurs qui se sont penchés sur la transcription de la directive, en particulier au niveau du ministère de la défense, qui considère que l'article 37-2 actuel va l'empêcher de mettre en oeuvre sa politique d'acquisition, notamment pour les acquisitions qu'il ne souhaite pas acquérir hors d'Europe. Au-delà, l'ensemble des ministères concernés reconnaît les risques inhérents à la rédaction de cet article.

La transcription de la directive pourrait s'appuyer sur deux principes simples. Le premier serait celui de la préférence communautaire. La directive ouvre la possibilité d'une préférence communautaire au nom du renforcement de la Base industrielle et technologique de défense européenne pour les marchés publics de défense et de sécurité (considérant 2) et prend acte de ce que l'Accord sur les Marchés Publics de l'OMC ne fait pas obstacle à une telle préférence (considérant 18).

Le second serait celui de la prise en compte des exigences de réciprocité. A l'OMC, l'Union européenne doit défendre ses intérêts en exigeant la réciprocité de ses partenaires. La directive souligne d'ailleurs l'importance de négociations internationales débouchant sur des marchés ouverts et équitables et l'obtention d'avantages mutuels, ainsi que la nécessité d'une concurrence ouverte et loyale assise sur des règles internationalement reconnues (considérant 18).

Afin de ne pas exagérément contraindre le pouvoir d'appréciation de l'État, puisque la réciprocité n'est qu'un des éléments de la décision, il paraît raisonnable de faire figurer dans la loi une obligation de prise en compte du principe de la préférence communautaire et des exigences de la réciprocité, qui constitue une obligation de moyen et non de résultat.

Il est intéressant de regarder comment les États de nos principaux compétiteurs répondent à ces préoccupations.

Les États-Unis n'autorisent des sociétés à candidater que si elles prouvent qu'elles apportent une véritable valeur ajoutée technologique sur leur territoire dans le domaine considéré. Ils exigent, en outre, que le lien des sociétés candidates avec leur société mère soit uniquement capitalistique et qu'il n'y ait aucune subordination vis-à-vis de leur société-mère dans leurs actes de gestion. C'est la règle dite des « proxy boards », que l'on pourrait traduire par « conseils d'administration proches de l'Etat client ».

Les Britanniques, quant à eux, ont défini la notion de BITD britannique dans leur Defence Industrial Strategy, sur des bases de création de valeur ajoutée, d'emploi, de génération de propriété intellectuelle et de technologie sur le territoire britannique, avec comme objectif général de garantir la sécurité nationale et la possibilité souveraine de projeter leurs forces armées dans le monde entier.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion