Intervention de Serge Lagauche

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er juillet 2010 : 1ère réunion
Equipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche, rapporteur :

Je vous remercie de m'avoir confié le dossier de la numérisation des salles, mutation technologique importante et inéluctable qui détermine l'avenir du cinéma.

La numérisation bouleverse le modèle économique actuel. Les exploitants vont devoir investir 80 000 euros en moyenne par salle pour l'achat de projecteurs et serveurs numériques et pour l'adaptation des cabines de projections. Les distributeurs, quant à eux, vont réaliser des économies car les coûts de fabrication et de transport des fichiers numériques des films sont très inférieurs à ceux des anciennes copies photochimiques des films en 35 mm.

Nous devons donc trouver un mode de financement pour que les exploitants de salles s'équipent le plus rapidement possible : la période transitoire est coûteuse pour tous les acteurs et il faut éviter qu'une concurrence exacerbée entre salles ne nuise à la diversité et à la richesse de leur maillage territorial.

A la suite du rapport Goudineau, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) avait proposé un fonds de mutualisation, dont le principe avait recueilli l'accord des professionnels et qui avait l'avantage de la simplicité. Le 1er février 2010, l'Autorité de la concurrence a cependant émis un avis défavorable à sa création, estimant qu'il aurait constitué une concurrence déloyale envers les opérateurs privés existants.

En effet, certains exploitants de salles ont déjà contractualisé directement avec des distributeurs, ou par le biais d'intermédiaires privés, pour financer l'achat de leur équipement numérique. Ces montages sont financés par une « contribution numérique » des distributeurs, appelée aussi « Virtual Print Fee » ou (VPF).

Ce système fonctionne bien pour les multiplexes de plus de trois ou quatre écrans, qui ont accès aux films dès leur sortie nationale ou qui programment un grand nombre de films nouveaux différents.

Cependant, la loi est nécessaire pour encadrer ce dispositif et permettre l'équipement de toutes les salles. Les petits et moyens exploitants, notamment ceux qui exploitent les films plusieurs semaines après leur sortie ou qui disposent de peu d'écrans, peuvent difficilement entrer dans ce type de montage contractuel, car ils ne génèrent pas suffisamment de contributions en vue de financer leurs investissements.

L'encadrement du dispositif vise à maintenir la liberté de programmation des exploitants et à garantir la maîtrise par les distributeurs de leurs plans de diffusion des films, c'est-à-dire le libre accès aux films pour les uns et le libre accès aux salles pour les autres.

En effet, le système contractuel actuel pourrait favoriser le placement de copies numériques au détriment des autres films pendant la période de transition et entraîner une accélération de la rotation des films, ce qui serait préjudiciable à leur bonne exposition au public. Les films les plus fragiles seraient bien sûr les premiers touchés.

A cette fin, le texte veille à assurer l'étanchéité entre les contrats de contribution numérique et la négociation sur les conditions de location et d'exposition d'un film.

Le respect de ce cadre s'exercera sous le contrôle du CNC et du Médiateur du cinéma.

Après l'avis de l'Autorité de la concurrence, le CNC s'est concerté avec les professionnels pour trouver une solution qui recueille l'accord du plus grand nombre. Un texte de loi est apparu nécessaire

Les députés et sénateurs du comité de suivi des ordonnances relatives au cinéma - M. Leleux et moi-même pour le Sénat - ont été régulièrement informés et consultés. Compte tenu de l'urgence à agir, une proposition de loi a été déposée dans les mêmes termes au Sénat - par nos collègues MM. Leleux et Legendre - et à l'Assemblée nationale, l'idée étant que la chambre qui disposerait la première d'une « fenêtre » à l'ordre du jour l'examinerait en premier lieu, en pleine concertation avec l'autre assemblée. C'est ainsi que l'Assemblée nationale a adopté le texte, le 16 juin, assorti d'amendements qui vont dans le sens que nous souhaitions et qui tenaient compte de la concertation, qui a continué.

La proposition de loi généralise et encadre la contribution numérique contractuelle. Plutôt que de créer une nouvelle taxe, elle redistribue aux exploitants une partie des économies réalisées par les distributeurs. Cette contribution n'est pas pérenne, puisqu'elle s'arrêtera une fois que toutes les salles auront été équipées.

Sans un tel système général et obligatoire, les plus petites salles ne pourront s'équiper, faute d'attirer les investisseurs nécessaires : ce texte leur permet donc de se regrouper, pour mutualiser la collecte des contributions.

Ce dispositif sera complété par des aides spécifiques du CNC aux exploitants de trois écrans ou moins, voire de quatre écrans si cela s'avère nécessaire. En effet, ces salles - dites de continuation - obtenant très rarement les films à leur sortie, elles ne généreront que peu de contribution numérique.

Les salles de quatre écrans ou moins représentent 734 établissements, soit environ 95 % de ceux qui ne percevront pas assez de contribution numérique. Le CNC évalue au maximum à 35 le nombre des établissements de plus de 3 écrans concernés.

Ces aides complèteront leurs apports propres ainsi que, le cas échéant, la contribution numérique et les aides des collectivités territoriales.

Nous voulons tous préserver l'aménagement culturel de notre territoire et la diversité cinématographique unique de notre pays. Notre réseau est le premier d'Europe et le quatrième du monde. Nous refusons de baisser les bras, contrairement à de nombreux pays étrangers, qui admettent que le numérique entraînera la fermeture de nombreuses salles de cinéma...

Ce texte prévoit que la contribution numérique sera exigible, par salle, durant les deux premières semaines de la sortie nationale du film, et - comme l'a précisé l'Assemblée nationale - au-delà lorsque l'oeuvre est mise à disposition dans le cadre d'un élargissement du plan initial de sortie du film. Elle est donc fixée sur le pic du tirage des copies. Les professionnels que nous avons rencontrés lors du Festival de Cannes nous ont convaincus de la pertinence de cette solution.

En revanche, la contribution n'est pas exigible lorsque les films sont mis à disposition pour une exploitation dite « en continuation », c'est-à-dire lorsqu'une salle reprend une copie déjà existante.

L'Assemblée nationale a précisé que la contribution sera due seulement pour l'installation des équipements de projection numérique, non pour leur renouvellement. Elle ne sera plus requise une fois assurée la couverture du coût des équipements, compte tenu des autres financements de l'exploitant et, en tout état de cause, au-delà d'un délai de dix ans après l'installation initiale des équipements de projection numérique, sans que ce délai ne puisse excéder le 31 décembre 2021 ;

L'Assemblée nationale a également précisé que la contribution serait due aux salles homologuées avant le 31 décembre 2012. Elle a encore prévu que le financement de l'équipement pourra être mutualisé entre exploitants ou par des intermédiaires financeurs. Nos collègues ont ajouté que la contribution numérique sera également due en cas de mise à disposition ou de location d'une salle de projection pour diffuser des programmes dits « hors film », comme la captation de spectacles vivants ou la retransmission de compétitions sportives ou d'émissions audiovisuelles.

Certains professionnels s'inquiètent de voir ce type de programmation se substituer à celle des films. Un décret en cours d'élaboration doit encadrer la diffusion de ces programmes « hors film » : pourquoi ne pas minorer le soutien du CNC en cas de projection de « hors film », notamment pour les salles qui ne sont pas fragiles ? En effet, s'ils diversifient l'offre et s'ils soutiennent les salles en zones rurales, ces programmes peuvent être une aubaine pour des exploitants qui bénéficieraient des aides au cinéma sans diffuser d'oeuvres cinématographiques.

En contrepartie de ces obligations, des garanties sont apportées aux distributeurs et aux exploitants. Le montant de la contribution doit rester inférieur à la différence entre le coût de la mise à disposition d'une oeuvre sur support photochimique et celui de la mise à disposition d'une oeuvre sous forme de fichier numérique.

Le Médiateur du cinéma - qui a la confiance de tous les professionnels - pourra être saisi de tout litige relatif à la contribution numérique. Sur les propositions de MM. Bloche et Riester, l'Assemblée nationale a précisé qu'il pourra demander la transmission du contrat de location des films, ce qui garantira davantage la transparence et l'étanchéité du dispositif.

Sera nulle de plein droit toute clause contractuelle qui ferait dépendre les choix de distribution, de programmation, ou encore le taux de location, du versement de la contribution : cela pour « préserver la diversité de l'offre cinématographique ».

Un comité de concertation professionnelle est chargé d'élaborer des recommandations de bonne pratique, il sera ouvert quand l'ordre du jour l'exige, comme le souhaitaient les professionnels.

L'Assemblée nationale a aussi prévu une clause de rendez-vous un an après la promulgation de la loi ainsi qu'un comité de suivi parlementaire composé de deux députés et de deux sénateurs chargé d'évaluer le fonctionnement du nouveau dispositif. Ce comité disposera du concours du CNC, lequel devra produire un rapport sur la mise en oeuvre de la loi.

Le comité de suivi, le comité de concertation professionnelle et le Médiateur du cinéma devront, chacun dans son rôle, vérifier l'étanchéité entre le versement de la contribution numérique et la programmation, ainsi que le respect des engagements de programmation et des plans de diffusion des films.

A l'initiative de M. Rogemont, nos collègues députés ont lié le versement d'une aide pour l'équipement numérique au respect d'engagements de programmation : c'est important.

Enfin, l'Assemblée nationale a rendu obligatoire la référence aux usages de la profession pour fixer le loyer des salles de cinéma ; c'était une demande constante de la profession.

La proposition de loi est donc consensuelle sur les principes et sur l'urgence à les mettre en oeuvre. Le texte est équilibré, ce qui est difficile pour un secteur composé d'acteurs aux intérêts parfois violemment divergents.

Le dispositif doit garder de la souplesse pour que les acteurs le fassent vivre. Nous suivrons avec vigilance son application et nous nous remettrons à l'ouvrage si cela s'avérait nécessaire. Je fais confiance aux professionnels, au comité de concertation professionnelle, au CNC et au Médiateur du cinéma pour qu'une application intelligente du texte permette d'en atteindre tous les objectifs.

Cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale de façon très consensuelle, je vous propose de l'adopter dans les mêmes termes.

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