s'est demandé si, compte tenu de la réalité carcérale à laquelle sont soumis les détenus, hommes ou femmes, il ne convenait pas de parler d'une forme d'égalité des malchances plutôt que d'égalité des chances.
Il a illustré son propos en citant la correspondance d'une détenue qui donnait trois illustrations concrètes du lot quotidien des personnes en détention : les secours tardifs et négligents qu'on lui avait apportés à la suite d'une chute grave, les retards dans le paiement des salaires qui compromettaient la possibilité de « cantiner » ou encore l'impossibilité de louer un réfrigérateur pour conserver, en cellule, des produits frais.
Il a estimé que, quelles que soient les causes ou les maladies mentales qui justifient une privation de liberté, celle-ci était, d'une façon générale, aggravée par un ensemble de difficultés : la privation de travail, la privation des liens avec les proches et qu'elle se traduisait, en définitive, par une sorte de dépossession de soi. Il a indiqué qu'il s'attacherait, dans son propos, à examiner dans quelle mesure celle-ci affectait différemment les hommes et les femmes.
Abordant cette question sous un angle quantitatif, M. Jean-Marie Delarue a rappelé que la population carcérale étant, pour l'essentiel, constituée d'hommes, il convenait d'examiner dans quelle mesure les lieux de privation de liberté, d'abord conçus pour ces derniers, pouvaient effectivement réserver une place convenable aux femmes, malgré leur présence extrêmement minoritaire, à savoir, environ 3,5 % de la population carcérale - 2 386 femmes sont écrouées au 1er avril 2009 - sur un total de 68 544. Il a précisé que 238 femmes détenues, soit 10 %, faisaient l'objet de mesures alternatives à l'incarcération, en signalant que cette proportion était supérieure à celle des hommes, sans que les raisons en soient bien connues.
Puis il a déploré l'absence de statistiques sexuées recueillies dans les lieux de privation de liberté autres que la prison, notamment les centres de rétention ou certains hôpitaux. Il a estimé, sur la base des registres de garde à vue qu'il a consultés, que les femmes représentaient approximativement 10 % du total des 578 000 personnes placées en garde à vue en 2008. Il s'est demandé si ce défaut général de quantification ne trahissait pas le peu d'attention portée par les autorités administratives à la différence de genre.
S'attachant à mieux cerner la spécificité des causes d'incarcération des femmes par rapport à celles des hommes, M. Jean-Marie Delarue a rappelé la proportion élevée des détenues condamnées pour des infractions à la législation sur les stupéfiants ou des crimes commis contre des proches, notamment l'infanticide. Rappelant, à cet égard, la distinction entre infractions « nobles » et « ignobles » qui sévit en prison et la hiérarchie entre les détenus qui en résulte, il a souligné que l'infanticide déclenchait des comportements de haine, de mépris et de harcèlement. Il a, par ailleurs, fait référence au témoignage de Mme Christiane de Beaurepaire, médecin-chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de la prison de Fresnes mettant en évidence, dans un livre récent, que ce sont les mères souffrant d'une situation d'abandon qui sont amenées à commettre de tels crimes.
Il a ensuite indiqué qu'il n'y avait, en principe, aucune différence dans le régime de détention des hommes et celui des femmes, à l'exception du régime spécifique prévu par le code de procédure pénale applicable à celles qui sont enceintes ou détenues avec leur enfant en bas âge. Il a précisé que les femmes, comme les hommes, subissaient les inconvénients liés à la vétusté apparente ou structurelle de leurs quartiers respectifs ainsi qu'au traitement des détenus, parfois dénué d'aménité. M. Jean-Marie Delarue a signalé, dans ce domaine, que les femmes souffraient plus que les hommes d'une absence de civilité, en évoquant les effets bénéfiques des pratiques malheureusement peu répandues tendant à appeler une femme détenue « madame » plutôt que par son seul patronyme : il a souligné que la généralisation d'une telle pratique à l'ensemble des détenues constituerait une réforme qui ne coûterait rien aux finances publiques. Il a également signalé que la violence était présente partout en prison mais qu'elle s'exprimait de façon moins visible dans les quartiers réservés aux femmes.
Il a ajouté que la prise en charge des femmes détenues soulevait davantage de difficultés que celle des hommes, particulièrement dans les établissements où elles sont minoritaires, du fait de l'obligation de respecter le « principe d'étanchéité » entre hommes et femmes. Cette exigence conduit à intercaler les mouvements des femmes - comme, en principe, ceux des mineurs - entre ceux des hommes, ce qui a pour effet de limiter leur accès aux services communs, comme la bibliothèque, ou aux soins médicaux. Il a signalé que les assouplissements aux délais d'attente pour bénéficier d'une consultation médicale relevaient parfois, d'un « arbitraire » fréquemment évoqué par les anciens détenus comme l'une des caractéristiques majeures de leur condition carcérale. En revanche, il a mentionné, à titre de contre-exemple, le cas d'un établissement pénitentiaire disposant d'un atelier pour trente-cinq femmes et de deux pour sept cent quinze hommes, apportant dans ces cas précis aux premières des chances d'accès supérieures aux activités alors que, d'une manière générale, c'est plutôt la situation contraire qui prévaut.
S'agissant des couples, il a tout d'abord rappelé que les règles pénales imposaient, en matière de garde à vue et de détention, une ségrégation stricte entre les genres mais qu'il n'existait aucune obligation de ce type pour les personnes hospitalisées sous contrainte en soins psychiatriques même si cette ségrégation y était cependant parfois imposée par des décisions discrétionnaires prises par le médecin-chef. Rappelant que l'expérience des unités de vie familiale, qui permet à des condamnées à de longues peines de recevoir leur famille ou leurs proches, ne s'est encore développée que dans une très faible minorité d'établissements, il a également déploré l'insuffisance du nombre de parloirs spécialement aménagés pour les enfants.
Faisant référence aux articles D.400 à D.401-2 du code de procédure pénale, ainsi qu'à la circulaire du 18 aout 1999 sur les conditions d'accueil des enfants laissés auprès de leur mère incarcérée, M. Jean-Marie Delarue a alors abordé le régime particulier applicable aux femmes détenues enceintes ou ayant accouché, en définissant les caractéristiques particulières imposées aux cellules hébergeant les jeunes mères avec leur enfant et en précisant, notamment, que l'exigence d'une superficie minimale de quinze mètres carrés et de deux parties bien distinctes était, en général, satisfaite. Il a également indiqué que les mères détenues pouvaient, par exception, être autorisées à garder leur enfant auprès d'elles au-delà de l'âge de dix-huit mois, en particulier lorsque leur détention touchait à sa fin. Il a douté que la séparation qui intervient alors et qui constitue un moment pénible, avec tous ses aléas, soit toujours bien préparée. Puis il a évoqué la souffrance lancinante et quotidienne que représentait, pour les femmes incarcérées, la séparation d'avec leurs enfants et regretté que les parloirs ne soient, dans l'ensemble, guère adaptés à la visite des enfants.
Au titre des atteintes à l'intimité et à la pudeur, il a évoqué « l'habitude très générale » qui consiste à priver les femmes en garde à vue de leur soutien-gorge.
Tout en admettant la nécessité de respecter les impératifs de sécurité, il a, sur ce point précis, constaté que ni la direction générale de la gendarmerie, ni la direction générale de la police n'avaient pu lui fournir des données permettant d'établir la moindre corrélation entre le port de ce type de sous-vêtement et l'existence de tentatives d'auto-agressions. Il a alors déploré que l'administration puisse ainsi ignorer la dignité des personnes sans s'appuyer, par ailleurs, sur un quelconque fondement réglementaire, ni sur l'existence d'un risque avéré. M. Jean-Marie Delarue s'est demandé si les femmes ainsi humiliées, et qui passent parfois directement de la garde à vue à la comparution immédiate, ne seraient pas en mesure d'invoquer, avec succès, devant la Cour européenne des droits de l'Homme, une atteinte à la règle du procès équitable. Il a, en conséquence, fermement préconisé de renoncer à cette pratique indigne. Par ailleurs, il a indiqué que son rapport mentionnait également le témoignage d'une femme qui, après avoir été examinée par un médecin sous l'oeil de surveillantes, avait décidé de renoncer aux soins médicaux. Il a mis en cause l'incapacité de l'administration de discerner les vrais risques et de mettre en balance la dignité de la personne et les risques d'évasion ou de fuite des détenus, considérant que celle-là devait être respectée tant que ceux-ci n'étaient pas démontrés.
Estimant que les femmes doivent être plus rigoureusement protégées que les hommes des atteintes à la pudeur, il a marqué sa préférence pour que des femmes dirigent plus systématiquement les équipes de surveillants des quartiers féminins.
a enfin regretté la persistance des stéréotypes sexués qui conduisent, par exemple, à proposer plus volontiers aux femmes des cours de broderie et aux hommes des enseignements de conduite de véhicules. En revanche, il s'est montré favorable au maintien des ateliers de coiffure et de maquillage, qui permettent aux détenues de soigner leur apparence et ainsi de retrouver leur fierté.
a conclu son propos en estimant que « les femmes souffrent plus que les hommes en prison » et que ce constat justifiait un traitement différencié entre femmes et hommes dans les lieux de détention afin de préserver leur dignité et de prendre en considération leur rôle de mère. En même temps, il a estimé souhaitable de combattre les stéréotypes de genre afin de donner aux femmes et aux hommes les mêmes chances de réinsertion.
Un débat a suivi cet exposé.