Intervention de Jean-Paul Delevoye

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 14 mai 2009 : 1ère réunion
Les femmes dans les lieux privatifs de liberté — Audition de M. Jean-Paul deleVoye médiateur de la république accompagné de Mme Marguerite Nass déléguée du médiateur de la république en moselle

Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République :

a tout d'abord rappelé que, dès sa prise de fonctions, il avait obtenu de la Chancellerie la possibilité d'expérimenter et de mettre en oeuvre un programme visant à ce que toute personne incarcérée puisse avoir accès au droit, par l'intermédiaire des délégués du médiateur. Il a estimé que, aujourd'hui, environ 50 000 détenus sur 60 000 avaient accès à l'un de ces délégués et a indiqué que l'objectif était que la totalité de la population carcérale y ait accès en 2010. Il a souligné que cet accès à un délégué du médiateur était de droit, confidentiel, et qu'il ne pouvait porter que sur un dysfonctionnement de l'administration française. Concernant la nature des plaintes adressées au médiateur ou à ses délégués, il a indiqué que seules 30 % d'entre elles concernaient l'administration pénitentiaire et, plus précisément, des questions relatives à la perte d'objets en cas de transfert, à l'accès aux soins, à la problématique du rapprochement familial, ou encore au calcul de fins de peine. Ayant constaté que toutes les autres plaintes concernaient les relations avec l'administration, il a suggéré à la délégation qu'il serait peut-être souhaitable d'approfondir la réflexion sur les moyens d'ancrer les centres de détention dans leurs territoires d'implantation. Il a jugé réducteur de ne fixer comme objectif aux centres de détention que de protéger certains êtres humains de la dangerosité d'autres êtres humains.

S'appuyant sur les dysfonctionnements administratifs révélés par les plaintes dont il est régulièrement saisi et sur les problèmes qu'ils peuvent engendrer, il a ensuite attiré l'attention de la délégation sur la situation des femmes dont le conjoint ou les membres de la famille sont en lieux privatifs de liberté, et à l'encontre desquelles certaines dispositions administratives, comme la suppression de l'aide personnalisée au logement, ou certaines problématiques comme l'accès aux soins ou l'éducation des enfants, constituaient en quelque sorte une double sanction, s'ajoutant, pour les proches, à la sanction du détenu. Il a considéré que la délégation pourrait peut-être y consacrer un volet au sein de son étude annuelle. Il a par ailleurs indiqué que ces dysfonctionnements pouvaient empêcher certaines détenues étrangères, impliquées dans des trafics de drogue, de faire l'objet d'un rapprochement avec leur pays d'origine.

Il a ainsi insisté sur la nécessité d'une réflexion autour du double thème suivant : centres de détention et territoires d'une part, et centres de détention et réinsertion d'autre part, avec un accent spécifique mis sur le thème du maintien des liens familiaux.

a ensuite considéré qu'il était impossible de demander à la fois à l'administration pénitentiaire d'être un acteur de la réinsertion et de faire en sorte que la sanction ait un caractère pédagogique, sans avoir un débat sur le fait que la faute est l'échec d'une éducation et sur le fait qu'un détenu ne pouvait se réinsérer s'il était victime d'une violence supplémentaire s'ajoutant à celle qui l'a conduit en prison. Il a ainsi estimé que l'accompagnement de la réinsertion était un élément plus important que la gestion de la privation de liberté.

Il a indiqué que c'était l'équilibre entre la préservation de la dignité humaine et certaines exigences de sécurité qui était à l'origine d'un grand nombre de débats comme celui relatif aux conditions de la garde-à-vue. Il a estimé que la prise en compte de ces deux impératifs devait mener à une réflexion sur l'inévitable prise de risques de certains choix, qui permettent de préserver la dignité humaine.

Considérant que cette question était de l'ordre de la responsabilité, il a souhaité, pour sa part, que l'agent public, amené par la décision politique à respecter l'équilibre entre la dignité humaine et la sécurité, puisse être protégé et que, si la faute professionnelle devait être condamnée, l'erreur devait être excusée si elle avait été respectueuse des procédures. Il a insisté sur le fait que, à partir du moment où l'on travaillait sur des sujets concernant les êtres humains, il était nécessaire d'accepter l'existence d'une part d'imprévisible, et sur le fait que la prison ne constituait qu'un des éléments de cette réflexion.

Abordant plus particulièrement la question des femmes dans les lieux privatifs de liberté, M. Jean-Paul Delevoye a retracé, d'abord, les six problématiques les plus sensibles, à savoir l'accès à la santé, la situation des femmes enceintes, la situation des mères avec leurs enfants, la réinsertion professionnelle, la dépendance, notamment à certains stupéfiants, les troubles psychologiques, puis, enfin, la problématique de la discrimination.

Après avoir noté qu'il n'existait aucune disposition spécifique à la situation des femmes enceintes incarcérées, le médiateur de la République s'est demandé si la loi pénitentiaire ne devrait pas aborder ce sujet, comme cela avait été fait par exemple pour l'interruption volontaire de grossesse pour les mineures en détention. Il a en effet estimé que, dans certains cas, les détenues enceintes nécessitaient, dans l'accompagnement des soins, une pédagogie et un personnel médical plus adaptés.

Concernant le maintien des liens familiaux, il a relevé que le Sénat n'avait pas modifié le régime des visites rendues aux condamnés mais l'avait amélioré pour les prévenus.

Sur la question des femmes accompagnées d'enfants de moins de dix-huit mois, il a regretté que les locaux spécifiques prévus soient peu nombreux et peu adaptés aux jeunes enfants et que la loi pénitentiaire n'évoque pas la situation de ces femmes avec enfants, attirant l'attention des membres de la délégation sur le risque que la mère soit pénalisée, du fait de sa situation, dans la préparation de sa réinsertion.

Après s'être réjoui de la mise en place, dans certains établissements pénitentiaires, des règles pénitentiaires européennes 34-3 et 36-6, concernant la situation des femmes accompagnées d'un enfant, et de la prise en compte de la règle 99, concernant le maintien des liens familiaux par le projet de loi pénitentiaire, il a fait part de son souhait de voir poursuivie et accompagnée d'effets l'application de ces règles.

A propos des centres de rétention, il a indiqué que se posaient de nouveaux problèmes concernant l'interprétariat, d'une part, et la présence d'enfants de plus en plus nombreux, d'autre part.

Au sujet des institutions psychiatriques, il a indiqué qu'il avait visité, à la demande du commissaire européen des droits de l'Homme, l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris.

a ensuite présenté l'exemple du système pénitentiaire danois, fondé sur le principe selon lequel la détention devait se rapprocher le plus possible de la vie en liberté et où la surpopulation est interdite par la loi. Il a indiqué les principales caractéristiques de ce modèle qui favorise l'ouverture sur l'extérieur et considère que l'inactivité compromet les chances de réussite de la réinsertion, dans la mesure où le sentiment d'inutilité que pouvait ressentir un détenu l'éloignait de toute possibilité de retrouver une vie collective à sa sortie. Il a relevé que, au Danemark, tout était fait pour que les détenus soient capables de maîtriser leur vie quotidienne. Il a ajouté que les problèmes de santé mentale étaient soignés en dehors du système pénitentiaire et que les toxicomanes étaient traités de manière spécifique. Il a indiqué que le taux de suicide en prison était faible au Danemark, relevant qu'il n'y en avait eu qu'un seul en cinq ans, que les visites conjugales étaient fréquentes et les parloirs privés multiples, que les couples mariés pouvaient habiter dans la même unité de détention et que la majorité des centres de détention étaient mixtes, même si les femmes pouvaient demander à être incarcérées séparément. Il a ajouté que les enfants pouvaient rester avec leur mère jusqu'à l'âge de trois ans.

a ensuite évoqué l'exemple de la prison ouverte de Frondenberg en Rhénanie du Nord - Westhphalie, qui regroupe seize mères et leurs enfants jusqu'à l'âge de six ans. Il a indiqué que ces femmes étaient incarcérées dans des petits appartements et que les enfants ne se rendaient même pas compte qu'ils étaient en prison car les personnels ne portaient pas d'uniforme et aidaient ces femmes dans la prise en charge des enfants.

Il a rappelé que ces différents exemples montraient bien qu'une large réflexion était menée à l'échelon européen sur les mères incarcérées accompagnées de leurs enfants.

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