a indiqué qu'en matière de soins transfrontaliers, la Commission européenne et le Conseil légifèrent un peu « à l'aveugle » : il n'existe aucune évaluation fiable, au niveau européen, du nombre de patients concernés et des flux financiers en jeu. L'unique étude présentée par la Commission européenne à l'appui de la proposition de directive est un sondage téléphonique réalisé auprès de 27 200 personnes sur les 416 millions d'habitants de l'Union, selon lequel 4 % des ressortissants européens auraient recours, chaque année, à des soins transfrontaliers. Une évaluation fondée sur les données consolidées dont disposent les vingt-sept Etats membres sur les flux affectant leur territoire serait évidemment plus crédible. Ceci étant, beaucoup d'acteurs du secteur estiment, sans doute à juste titre, que la Commission européenne craignait d'aboutir à un résultat beaucoup moins élevé en procédant ainsi.
Les mêmes incertitudes planent sur l'évaluation des masses financières en jeu, que la commission fixe à 1 % des dépenses publiques européennes de santé. Il est vraisemblable que ce chiffre soit largement surestimé : si l'on se réfère à l'exemple des Français, dont on peut penser qu'il se situe dans le haut de la fourchette en raison d'un niveau de vie qui leur permet sans doute de voyager davantage que la moyenne des Européens, les soins reçus à l'étranger et pris en charge par la sécurité sociale n'ont représenté, en 2007, que 0,16 % des dépenses publiques de santé, soit 233 millions d'euros sur les 144,8 milliards de l'assurance maladie. Ni le nombre de patients ni le volume financier concernés par les soins de santé transfrontaliers ne sont donc convenablement évalués à l'heure actuelle en Europe.
a ensuite présenté la situation française. Le solde des remboursements de soins transfrontaliers reste positif mais il a tendance à se détériorer rapidement : entre 2002 et 2007, le montant des soins remboursés par la France a augmenté trois fois plus vite que celui des créances sur ses homologues européens. Faut-il en conclure que cette évolution est le signe que la qualité des soins progresse plus vite chez nos voisins ? Cette hypothèse paraît corroborée par le fait que plus du tiers des patients étrangers soignés en France sont des retraités résidents, qui ne sont pas venus, par définition, pour s'y faire soigner. Cette proportion est en augmentation continue, alors que le nombre de patients étrangers qui choisissent délibérément de recourir au système de soins français a diminué de plus de 34 % en cinq ans, passant de 7 000 personnes en 2002 à moins de 5 000 en 2007.
En ce qui concerne le contenu de la proposition de directive, il faut rappeler que l'on distingue traditionnellement, au niveau communautaire, les soins inopinés, dont on bénéficie par exemple lors d'un séjour touristique, des soins programmés, que l'on planifie à l'avance et qui constituent l'objectif même du déplacement à l'étranger.
Si les soins inopinés ne posent pas de problème particulier, la question des soins programmés est plus complexe. Il existe actuellement deux modalités de prise en charge, qui reposent sur deux philosophies opposées. Le règlement de 1971 privilégie le contrôle des Etats membres : tout soin programmé requiert l'autorisation du pays d'origine mais, si l'autorisation est accordée, le patient n'a pas à avancer les frais. A l'inverse, la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) donne la priorité à la mobilité des citoyens sur la régulation publique : la Cour considère que les soins de santé, ambulatoires comme hospitaliers, sont des prestations de service comme les autres et qu'à ce titre, ils sont soumis au principe de libre circulation des services. Elle estime donc que lorsqu'un patient désire se faire soigner à l'étranger et avance les frais médicaux, un système d'autorisation préalable pour les soins ambulatoires est illégal car il revient à privilégier les praticiens nationaux sur leurs homologues européens, ce qui constitue une entrave à la libre prestation de services. En ce qui concerne les soins hospitaliers, toutefois, la Cour se montre un peu plus souple à l'égard de l'effort de régulation : un Etat membre ne peut imposer une autorisation préalable que si celle-ci vise à garantir, sur le territoire national, l'accessibilité de l'offre de soins et la maîtrise des coûts.
La proposition de directive opère, en quelque sorte, une « codification » de la jurisprudence de la Cour, mais elle réduit encore les capacités de contrôle des Etats membres : ceux-ci n'auraient désormais le droit d'imposer une autorisation préalable que pour un certain nombre de soins qui seraient recensés sur une liste établie par la Commission européenne. Cette nouvelle règle pose un certain nombre de difficultés : d'abord, elle est contraire au principe de subsidiarité qui s'applique en matière de santé publique ; ensuite, elle aboutit, de fait, à affaiblir le pouvoir de régulation des Etats membres, puisque ceux-ci ne seraient plus en mesure d'exiger une autorisation préalable pour les soins ne figurant pas sur la liste ; enfin, elle provoquerait une situation d'insécurité juridique ingérable : rien n'empêcherait en effet un citoyen d'attaquer la liste de la Commission devant la Cour, en arguant que tel soin ne devrait pas y figurer puisque les critères d'autorisation préalable définis par la Cour ne concernent pas en l'occurrence son pays.
Ces considérations critiques sont partagées par la représentation permanente de la France à Bruxelles ainsi que par une grande majorité des Etats membres. Pendant qu'elle assurait la présidence du Conseil, la France a présenté une nouvelle version du texte selon laquelle il appartiendrait à chaque Etat membre, en fonction de son système de santé, d'élaborer la liste des soins qui requièrent une autorisation préalable, mais la présidence tchèque actuelle vient d'en proposer une autre qui ne leur accorde pas cette compétence. C'est pourquoi, pour conforter la position des autorités françaises à Bruxelles, il est important que le Sénat réaffirme solennellement son opposition à toute proposition de directive qui priverait les Etats de la possibilité de réguler convenablement leur propre système de santé grâce à un régime d'autorisation préalable, précis et adapté à leur situation particulière.
Il est également essentiel d'exiger que la proposition de directive prévoie la capacité pour les Etats de ne pas accorder, dans un certain nombre de cas, par exemple celui des greffes, l'autorisation à un ressortissant communautaire d'être soigné sur leur territoire. Ce dispositif permettrait en outre d'éviter que certains pays choisissent de ne pas développer certains traitements en laissant à d'autres le soin de le faire à leur place.
Pour conclure, M. Jacky Le Menn, rapporteur, a fait observer qu'une nouvelle proposition de directive n'était pas nécessaire et qu'il aurait été plus simple de modifier le règlement de 1971 pour disposer d'un texte unique, compréhensible par les citoyens et facilement applicable par les organismes de sécurité sociale. Ceci étant, si la France parvient, avec d'autres, à convaincre ses homologues européens de la nécessité d'un régime d'autorisation préalable rigoureux, la directive une fois adoptée ne changera rien, sur l'essentiel, à la législation applicable en France, puisque la jurisprudence de la Cour a déjà été intégrée dans le code de la sécurité sociale. En réalité, la directive permettra à la Commission européenne d'attaquer devant la Cour de justice les Etats membres qui refusaient jusqu'à présent d'appliquer la jurisprudence.
Il est indéniable que ce texte, qui reprend à son compte la philosophie et les règles établies par la CJCE, contribuera à renforcer l'inégalité d'accès aux soins transfrontaliers : seuls ceux qui disposent des ressources suffisantes pour avancer les frais médicaux pourront, à la charge de leur régime d'assurance maladie qui devra les rembourser par la suite, consulter les meilleurs praticiens européens. En matière de santé en Europe, le débat oppose finalement les partisans d'une régulation publique, garante de l'accessibilité, de la qualité et de l'égalité devant les soins, aux promoteurs de la libre circulation des services, qui conduit à créer deux catégories de citoyens inégaux devant l'accès à la médecine. Cette proposition de résolution a pour objectif non seulement de défendre mais surtout de promouvoir l'égal accès de tous les citoyens à des soins de qualité en Europe.