Intervention de Philippe Séguin

Commission des affaires sociales — Réunion du 11 octobre 2006 : 1ère réunion
Application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de Mm. Philippe Seguin premier président de la cour des comptes michel cretin président de la 6e chambre michel braunstein et jean-philippe vachia conseillers maîtres

Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes :

a d'abord indiqué que le rapport de la Cour sur la sécurité sociale de cette année est marqué par deux innovations. La première est une conséquence de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale qui a prévu la certification des comptes de la sécurité sociale à partir de l'exercice 2006, ce qui a entraîné l'élaboration d'un rapport particulier sur l'état des travaux préparatoires à cette certification. A partir de 2007, on respectera deux rendez-vous annuels dans le domaine de la sécurité sociale : le premier en juin, pour le rapport de certification des comptes, le second en septembre, pour l'analyse financière de la sécurité sociale. La deuxième innovation se rapporte à l'accent mis sur le suivi des recommandations de la Cour, puisqu'un chapitre de son rapport leur est exclusivement consacré.

Puis il a présenté les résultats des comptes de la sécurité sociale pour 2005. Le déficit de l'ensemble des régimes de base, 11 milliards d'euros, est moins élevé qu'en 2004, mais cette amélioration est relative puisqu'en réalité, tous régimes et fonds confondus, il s'élève à 14,4 milliards d'euros en 2005, contre 14,2 milliards d'euros en 2004. Le déficit de l'assurance maladie, qui en est la principale composante, se réduit, revenant de 12,3 milliards d'euros en 2004 à 8 milliards d'euros en 2005. En outre, pour la première fois depuis sa création en 1997, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été respecté en montant, notamment grâce à une modération des dépenses de soins de ville, ce qui constitue un réel progrès. Néanmoins, dans une mise en perspective de long terme, le déficit de l'assurance maladie de 2005 est le troisième plus important enregistré depuis 1945.

Le dépassement d'environ 800 millions d'euros des dépenses des établissements de santé, qui crée un report de charges pour l'avenir et entraîne une réelle incertitude sur le respect de l'Ondam hospitalier en 2006, est une source d'inquiétude. On constate en effet dans le secteur hospitalier l'échec des mécanismes de régulation professionnelle et des dépenses. Par ailleurs, il est temps de mettre un terme à l'exception française du mécanisme de rétrocession des médicaments. Cette pratique a en effet beaucoup augmenté au cours des dernières années, le montant des médicaments rétrocédés étant passé de 660 millions d'euros en 2000 à 1,4 milliard d'euros en 2004. Des mesures ont été prises pour réduire cette somme en définissant une liste limitative de médicaments susceptibles d'être rétrocédés, mais les objectifs fixés n'ont pas été atteints.

Pour les branches retraite et famille, les déficits observés pourraient désormais s'avérer structurels. La branche retraite connaît un déficit de 2 milliards d'euros en 2005, dû pour l'essentiel à une augmentation de 8 % des prestations avec un très fort accroissement des retraites anticipées pour carrière longue. La branche famille voit ses dépenses augmenter nettement plus vite que les recettes sous l'effet d'une très mauvaise estimation du surcoût de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) et d'une rapide progression des dépenses d'action sociale.

a insisté sur la bonne tenue des recettes du régime général en 2005, avec une progression de 5,1 %, ce qui prouve d'ailleurs que l'essentiel du problème de la sécurité sociale résulte aujourd'hui de l'augmentation des dépenses.

Puis il a présenté la situation lourdement déficitaire du fonds de solidarité vieillesse (FSV) (- 2 milliards d'euros en 2005) et du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) (- 1,4 milliard d'euros en 2005). Comme l'année dernière, l'Etat ne semble pas prendre la mesure de la situation, qui se traduira par un déficit cumulé pour les deux fonds de 17 milliards d'euros en 2009. En outre, le Gouvernement table sur une hypothèse optimiste, pour ne pas dire irréaliste, d'un retour à l'équilibre du FSV en 2009. Dans ces conditions, la Cour demande que des décisions rapides soient prises. Constatant qu'aucune mesure de redressement ne figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, elle estime que la question de la légitimité, voire de l'opportunité, du maintien de ces fonds est posée, car ceux-ci ne remplissent plus leurs fonctions. Au moment de la certification des comptes, les créances qu'ils détiennent devront être impérativement provisionnées.

Au total, le déficit cumulé non financé de la sécurité sociale s'élèvera à 16 milliards d'euros en 2006, auxquels il faudra ajouter 21 milliards d'euros de déficits supplémentaires d'ici à 2009. Aussi, même si la nouvelle projection quadriennale annexée au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 envisage un besoin de financement total légèrement inférieur, l'évolution de la situation financière de la sécurité sociale va nécessiter de nouvelles et profondes réformes.

a ensuite présenté les enquêtes thématiques figurant dans la deuxième partie du rapport de la Cour.

S'agissant du pilotage de la politique hospitalière et de la mise en place de la tarification à l'activité (T2A), la Cour des comptes partage sans réserve les objectifs de la réforme et le souhait d'une mise en oeuvre rapide. Toutefois, la T2A souffre de défauts qu'il convient de corriger : des modalités de pilotage complexes, un manque de transparence, un dispositif tarifaire trop sophistiqué et un risque de contournement par le biais des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac).

La convergence intersectorielle des tarifs, entre le secteur public et le secteur privé, est en cours et doit s'achever en 2012. Néanmoins, pour parvenir à cet objectif, des conditions préalables, actuellement non réunies, s'imposent : la convergence doit être mise en place à partir des établissements les plus efficients, à partir de coûts complets incluant les honoraires des professionnels de santé et à partir de groupes de dépenses homogènes. Un consensus préalable sur le constat des disparités est également indispensable, par exemple en matière de permanence des soins ou de prise en charge des plus démunis par l'hôpital public.

Le rapport de juillet 2006 de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de l'Assemblée nationale souhaite le maintien du calendrier prévu pour la mise en oeuvre de la T2A. Cela ne pourra se faire que si les trois conditions préalablement exposées sont remplies. Or, celles-ci exigent des réformes considérables qu'il faudra pouvoir mettre en oeuvre sans démobiliser les acteurs qui aujourd'hui, dans leur grande majorité, ont accepté la T2A.

La deuxième enquête de la Cour a porté sur l'action sociale des caisses de la sécurité sociale. Celle-ci, en principe facultative et subsidiaire, est destinée à régler des cas individuels et à corriger des inégalités. C'est d'ailleurs bien ainsi qu'elle intervient dans le domaine de l'assurance maladie et de la retraite. Mais il en est autrement dans la branche famille : 3,4 milliards d'euros sont consacrés à l'action sociale, mais 89 % de cette somme servent à financer des structures, et non à compenser le faible ciblage des autres prestations accordées par la branche. Ainsi, le défaut de pilotage et de sélectivité dans les dépenses conduit à de très grandes inégalités. Par exemple, les contrats enfance représentent une somme annuelle pouvant varier de 30 euros par enfant à plus de 330 euros par enfant selon les caisses d'allocations familiales (Caf). Des dispositions ont certes été prises pour réorienter ces aides, mais elles l'ont été sous la contrainte financière et sans réelle réflexion préalable. Il convient donc aujourd'hui d'orienter ces dépenses vers une meilleure correction des inégalités et non vers un accompagnement ou une aggravation de celles-ci.

La troisième enquête a trait aux régimes spéciaux. La Cour des comptes constate que leurs déficits futurs seront financés soit par le budget de l'Etat, comme pour la Régie autonome des transports parisiens (Ratp) ou la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), soit par une taxe sur la consommation, c'est-à-dire sur les usagers, pour les industries électrique et gazière. Or, la réforme des retraites de 2003 ne suffira pas pour assurer le financement des retraites : l'augmentation de la durée des cotisations à quarante et une annuités en 2012 devra être revue et de nouvelles mesures de sauvegarde seront nécessaires. Ce contexte rend inenvisageable le maintien du statu quo pour les trois régimes spéciaux examinés par la Cour. Leur alignement sur les conditions applicables aux retraites du secteur privé dans le cadre de la loi de 2003 ne peut donc être éludé.

Le quatrième sujet, sur lequel la Cour des comptes s'est penchée, concerne la participation des mutuelles et assurances au régime obligatoire, pour laquelle ces organisations reçoivent une rémunération de 550 millions d'euros par an. La Cour estime que des gains de productivité sont possibles, notamment par une remise à plat de ces multiples structures. D'une façon générale, elle considère nécessaire de réfléchir à un mode d'organisation plus rationnel et à des mécanismes de rémunération plus conformes à la réalité.

Enfin, la Cour des comptes a analysé la situation de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC). Elle estime regrettable l'extrême complexité du mécanisme, ainsi que la dispersion des organismes chargés de la mise en oeuvre de cette prestation. Dans les faits, les organismes complémentaires représentent moins de 15 % des organismes gestionnaires de la CMUC. Le système pourrait sans doute être très fortement simplifié en confiant aux caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) la gestion exclusive de la CMUC.

a ensuite dressé un bilan de l'avancement des travaux nécessaires à la certification des comptes de la sécurité sociale en 2007. Il a insisté sur deux points : tout d'abord, la mise en oeuvre du mécanisme de validation mis en place dans les organismes nationaux ne sera pas encore pleinement opérationnelle cette année, malgré la qualité et l'importance des travaux menés au sein de chaque branche en 2005 et 2006 ; par ailleurs, des lacunes très profondes sont constatées dans la qualité des états financiers qui devront être annexés aux comptes.

En conclusion, M. Philippe Seguin, Premier président de la Cour des comptes, a soulevé la question du positionnement et du rôle des travaux de la commission des comptes de la sécurité sociale, dès lors que la Cour des comptes présentera un rapport sur la certification des comptes des organismes de sécurité sociale avant le 30 juin. Cela nécessitera une remise à plat du calendrier puisque la commission des comptes doit rendre son rapport au plus tard le 15 juin, ainsi qu'une réflexion sur la nature même des travaux de cette commission.

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