Intervention de Marie-Christine Lepetit

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 avril 2011 : 1ère réunion
Niches fiscales — Table ronde

Marie-Christine Lepetit, directeur de la législation fiscale :

Mon propos sera bref et descriptif et portera essentiellement sur les sujets fiscaux. Je voudrais insister sur les démarches menées depuis cinq ans, notamment dans le cadre de la préparation des budgets, pour améliorer le pilotage des dépenses fiscales. Notre objectif est de construire un document commun à l'Exécutif et au Parlement susceptible de renforcer le pilotage des finances publiques, et pas seulement un document théorique et extensif, qui ne serait pas utile dans cette perspective.

De manière analogue à ce qui existait au Royaume-Uni, le Gouvernement a pris le parti de distinguer les dépenses fiscales dérogatoires et spécifiques, correspondant à une politique publique définie, des mécanismes de calcul de l'impôt qui peuvent avoir pour conséquence de baisser les recettes. Je citerai par exemple les mécanismes de décote ou le quotient familial. Il estime que mélanger ces deux catégories ne contribuerait pas à améliorer le pilotage des finances publiques, car elles obéissent à des finalités très différentes.

Nous sommes partis de deux types de travaux, au moins au stade de la genèse. D'une part, le rapport du Conseil des impôts de 2003 sur la fiscalité dérogatoire, qui invitait les pouvoirs publics à reconfigurer le concept de dépense fiscale. D'autre part, le benchmark international. Si vous regardez le « Voies et moyens » actuel, vous pourrez constater que la définition des dépenses fiscales a évolué depuis 2003. Nous avons aussi modifié cette définition pour prendre en compte un rapport de l'Assemblée nationale de 2008. Cependant, cette définition est peut-être insuffisamment précise.

Les dépenses fiscales peuvent être définies comme des normes dérogatoires par rapport à une norme standard. Pour caractériser un dispositif de dépense fiscale, le critère de généralité doit être notre « fil rouge », et non pas l'ancienneté des mesures. Ce parti pris a notamment eu pour conséquence que certains éléments autrefois considérés comme relevant de la norme sont aujourd'hui classés comme des dépenses fiscales, tandis que d'autres, qui étaient classés comme des dépenses fiscales, ne le sont plus. C'est le cas du quotient familial, de la décote, de l'effacement des doubles impositions ou de la répartition dans le temps d'un impôt.

A l'inverse, ont été intégrées dans la liste des dépenses fiscales les dépenses fiscales des collectivités locales compensées par l'État.

Néanmoins, nous avons continué à produire des données sur les anciennes dépenses fiscales, afin de disposer d'une vision de long terme de leur évolution. Nous avons également profité de ce travail de redéfinition pour enrichir les documents budgétaires d'informations qui n'y figuraient pas auparavant, par exemple le nombre de bénéficiaires de tel ou tel dispositif, l'isolement des dépenses fiscales à fort enjeu...

Enfin, nous avons tiré toutes les conséquences de la LOLF, en présentant les dépenses fiscales par mission et par programme, dans le sens d'une logique de politique publique cohérente. Nous avons aussi réalisé une somme des dépenses fiscales pour suivre en tendance l'évolution des grandes masses financières, que l'on peut trouver dans le premier article des lois de finances.

Le deuxième point que je voudrais aborder concerne le chiffrage. En effet, au milieu des années 2000, 56 % des dépenses fiscales faisaient l'objet d'un chiffrage, contre plus de 90 % aujourd'hui, avec en outre des indications relatives à la fiabilité des données. C'est donc une démarche importante.

M. Guillaume vous parlera mieux que moi de la question de l'évaluation, puisqu'il pilote le travail d'évaluation des dépenses fiscales en vue du rapport qui doit être remis au Parlement au mois de juin. Il est certain que le chiffrage n'épuise pas la question et qu'il faut franchir une étape supplémentaire en essayant de mesure l'efficacité, l'efficience, le caractère obsolète ou non, la cohérence des dispositions fiscales. C'est un travail difficile, dans lequel la France a pris du retard, mais où elle est désormais engagée dans une démarche forte.

Enfin, je voudrais souligner un point qui doit être amélioré, car il peut être la source de malentendus, celui de la question de la norme de référence. Celle-ci doit être spécifiée. Force est de constater qu'actuellement, les documents budgétaires ne fournissent pas cette indication. Nous n'avons pas la même vision que la Cour des Comptes sur ce sujet. Selon nous, la norme de référence provient du vote par le Parlement de normes fiscales à caractère général. Au contraire, la Cour voit dans la norme de référence un concept absolu, théorique, universel, quelque peu désincarné. Par exemple, nous avons changé la norme de référence sur l'impôt sur le revenu, car il nous semble que nous sommes passés récemment d'un système fondé sur l'impôt progressif à un système redevenu dual, où nous avons clairement un barème progressif qui s'applique à certaines catégories de revenus et, désormais, pour tous les revenus de l'épargne, un barème progressif certes, mais capé à un taux proportionnel de 19 %.

La notion et la quantification des dépenses fiscales dépendent en réalité de la définition de la norme, qui peut évoluer au gré des votes du Parlement. Elle a ce caractère potentiellement évolutif en fonction des votes de la représentation nationale.

Le Gouvernement souhaite compléter cette définition. Ce travail contribuera nécessairement à révéler le perfectionnement indispensable de nos documents.

Il existe des impôts pour lesquels cet exercice de reclassement est resté imparfait, car l'exercice de détermination de la norme de référence n'a pas été mené à son terme. Il s'agit notamment des impôts pour lesquels il y avait, au moment où l'on a réfléchi à ces questions, dans le débat public, des enjeux de discussion importants, qui auraient pu gêner des opérations de reclassement et de déclassement. Nous n'avons pas voulu perturber le débat politique à l'époque par des mécanismes d'amélioration de la documentation. Je vais donner deux illustrations de ces difficultés rencontrées. En ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, certains mécanismes de familialisation ne sont pas traités comme des dépenses fiscales, alors qu'à l'inverse, certains mécanismes relatifs aux donations le sont. Cela s'explique en partie pour cette raison contingente.

Il en va de même pour la TVA. La liste des taux réduits signalés ou traités comme dépenses fiscales n'est pas complète. En effet, de nombreuses mesures de taux réduits ne figurent pas dans cette liste. Cette réalité peut poser des interrogations. Le « fil rouge » n'est pas toujours très clair. Historiquement, les taux réduits de TVA se rattachent aux dépenses de première nécessité. Quant on regarde les textes européens et la pratique de la France et d'autres pays, on constate que le champ du taux réduit est plus divers.

En conclusion, je pense que le travail de définition et d'affichage de la norme mené par le Gouvernement et le Parlement sera une oeuvre utile.

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