Intervention de Éric Doligé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 2 février 2011 : 1ère réunion
Approbation d'accords entre l'etat et les collectivités territoriales de saint-martin de saint-barthélemy et de polynésie française — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur :

C'est un exercice particulier pour moi, en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Outre-mer », de rapporter la proposition de loi organique, déposée par nos collègues Louis-Constant Fleming et Michel Magras, tendant à l'approbation de quatre accords entre l'Etat et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Polynésie française. Les accords visés sont des conventions fiscales, proches de celles qui lient la France et des pays tiers et sont habituellement rapportées par notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial des crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat ».

En outre, c'est un texte de nature organique que nous examinons aujourd'hui, qui aurait pu à ce titre être renvoyé devant notre commission des lois. Cependant, les conventions fiscales qu'il nous est proposé d'approuver ne sont pas des conventions internationales, mais des conventions de droit interne, passées entre l'Etat et des collectivités territoriales d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution, qui font partie intégrante de la France. Et puisqu'elles concernent exclusivement la fiscalité, il a paru plus logique de renvoyer le texte proposant leur approbation devant notre commission.

Ces quatre conventions se laissent ranger sous deux catégories. L'article 1er propose l'approbation d'une convention fiscale « classique » avec Saint-Martin, visant à éviter la double imposition des contribuables ; les articles 2, 3 et 4 proposent d'approuver de simples accords d'assistance administrative et d'échanges de renseignements avec Saint-Martin, la Polynésie française et Saint-Barthélemy.

Pourquoi conclure des conventions fiscales avec des collectivités territoriales d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution ? Parce que les compétences de ces collectivités, régies par des lois organiques, englobent une large compétence fiscale qui s'exerce sur leur territoire. Leur situation par rapport au reste de la France est donc proche de celle des pays tiers par rapport à notre pays. Sans convention fiscale, les résidents de chaque territoire risquent d'être soumis à une double imposition sur certains de leurs revenus ou sur leur patrimoine.

Pourquoi une loi de nature organique ? Parce que le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2010, a jugé que les conventions fiscales étaient de nature à remettre en cause les modalités d'exercice par les collectivités d'outre-mer concernées de leurs compétences fiscales. Or les compétences de ces collectivités sont définies par une loi organique ; il est donc logique d'approuver par une loi de même rang les conventions prévoyant les modalités d'exercice de ces compétences. En outre, les dispositions organiques figurant au code général des collectivités territoriales concernant Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui faisaient antérieurement à 2007 partie intégrante de la Guadeloupe, ont explicitement prévu la signature de conventions fiscales avec ces deux territoires.

Venons-en à l'objet principal de cette proposition de loi organique : la convention fiscale visant à éviter les doubles impositions, signée entre l'Etat et Saint-Martin. Des conventions de même type ont déjà été adoptées avec les autres collectivités d'outre- disposant d'une compétence fiscale : la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, etc. Si nous sommes aujourd'hui appelés à approuver une convention avec Saint-Martin et non avec sa voisine Saint-Barthélemy, c'est que cette dernière collectivité, qui dispose également d'une large compétence fiscale, n'a pas mis en place de fiscalité directe sur son territoire. Il en résulte que les doubles impositions sont impossibles entre l'Etat et Saint-Barthélemy. Saint-Martin est dans une situation économique, sociale et financière bien moins favorable ; l'île a donc prévu un régime fiscal proche en de nombreux points de celui appliqué par l'Etat, d'où les risques de double imposition.

La convention fiscale avec Saint-Martin s'inspire largement du modèle prévu par l'OCDE, assorti des adaptations habituellement ajoutées par la France lorsqu'elle négocie des accords fiscaux avec des pays tiers. Je vous renvoie pour une analyse de ce modèle aux excellents rapports de notre collègue Adrien Gouteyron. Le choix de négocier à partir du document-type établi par l'OCDE permet de couvrir l'ensemble des champs fiscaux et d'aboutir à une convention qui pourra servir de modèle aux futures conventions passées entre l'Etat et des collectivités territoriales d'outre-mer. Il a toutefois fallu tenir compte du fait qu'il ne s'agit pas d'une convention internationale. Ainsi, l'article 23 de la convention prévoit qu'une loi organique sera nécessaire pour la dénoncer, tout comme une loi organique est nécessaire pour la conclure.

Par ailleurs, la compétence fiscale de Saint-Martin n'est pas aussi étendue que celle d'un Etat tiers indépendant : c'est pourquoi l'article 2 de la convention ne vise pas les prélèvements obligatoires opérés au profit de la sécurité sociale.

En outre, depuis 2007, une règle de résidence fiscale particulière s'applique dans l'île : il faut cinq ans de résidence sur le territoire saint-martinois pour qu'un contribuable français puisse être considéré comme un résident fiscal local et non plus comme un résident fiscal de l'Etat. Cette règle, destinée à prévenir les abus qu'aurait pu engendrer la création d'un régime fiscal spécifique, a nécessité plusieurs adaptations du modèle de convention.

Enfin, alors que les conventions prévoient habituellement que les fonctionnaires de l'Etat en poste à l'étranger voient leur traitement imposé par la France et non par l'Etat dans lequel ils résident, il est apparu que l'application de la même règle à Saint-Martin aurait des conséquences bien différentes, car on y compte environ 2 000 fonctionnaires de l'Etat pour une population active d'environ 15 000 personnes. Il était difficile de priver la collectivité saint-martinoise de la possibilité d'imposer ces fonctionnaires, et c'est pourquoi la convention prévoit de leur appliquer le même régime qu'aux salariés du secteur privé : lorsqu'ils sont résidents fiscaux à Saint-Martin, ils ne sont imposables que par cette collectivité. Selon la direction de la législation fiscale, cette mesure fera perdre entre 1 et 2 millions d'euros par an à l'Etat, mais elle me semble justifiée par la situation financière de Saint-Martin. Comme le relève un récent rapport de l'IGF, cette collectivité souffre d'un déficit de trésorerie de 25 millions d'euros, notamment parce qu'elle a perdu le bénéfice de l'octroi de mer depuis qu'elle ne fait plus partie de la Guadeloupe. Il faut lui donner les marges de manoeuvre fiscales nécessaires pour assainir sa situation, faute de quoi l'Etat serait appelé en dernier ressort à remédier à ses difficultés.

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