Intervention de Jean-Michel Darrois

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 mai 2009 : 1ère réunion
Création en france d'une grande profession du droit — Audition de Me Jean-Michel daRrois

Jean-Michel Darrois :

S'interrogeant sur les raisons qui pourraient expliquer les disparités existant au sein de la profession d'avocat, Me Jean-Michel Darrois a estimé qu'elles provenaient principalement des différences de situations dans lesquelles étaient placés les avocats du barreau de Paris et ceux des barreaux de province, certains avocats se distinguant en outre par leur attachement à l'exercice individuel, dans le cadre duquel le risque de paupérisation est plus grand, tandis que ceux qui exercent leur activité dans le cadre d'un regroupement connaissent une situation beaucoup plus favorable.

Souhaitant expliquer pourquoi les avocats avaient choisi d'élargir leurs activités, Me Jean-Michel Darrois a fait valoir que, compte tenu de l'absence de numerus clausus, la seule activité judiciaire n'était plus à même de permettre à cette profession d'assurer son équilibre économique. Il a considéré en effet que, contrairement à une idée reçue, la judiciarisation croissante des sociétés modernes s'était accompagnée d'une réduction du nombre de procès, soit que les parties recourent plus, en raison des incertitudes et des coûts liés à l'action judiciaire, au règlement précontentieux des conflits, dont la gamme avait été étoffée, soit que la législation ait apporté, comme ce fut le cas pour les accidents automobiles relevant aujourd'hui des assurances, une solution à des situations qui généraient un important contentieux judiciaire. Rappelant que la fusion des professions d'avocat et de conseil juridique intervenue en 1992 s'inscrivait dans cette perspective, il a déploré qu'elle n'ait pas été suffisamment effective, chaque professionnel se cantonnant à sa pratique, de conseil ou d'action judiciaire, d'origine. Il a émis le voeu que cette réforme soit prolongée.

Par ailleurs, il lui a semblé que les avocats souhaitant sortir de leurs missions judiciaires traditionnelles se heurtaient non seulement à l'opposition des notaires mais aussi à celle des experts comptables, avec lesquels ils pouvaient être en concurrence pour conseiller les entreprises. Tout en relevant que la France était un des pays où le taux des dépôts de bilan des nouvelles sociétés était parmi les plus élevés, il a regretté que les entreprises ne se soucient pas suffisamment du droit, privilégiant l'expert comptable sur l'avocat, encore trop souvent associé à l'image du contentieux.

s'est ensuite intéressé à la possibilité pour les avocats intégrés à une entreprise de conserver leur titre, comme cela se pratique à l'étranger. Il a indiqué que si, en général, les avocats étaient favorables à cette idée, certains syndicats d'avocats y étaient très hostiles, mais que, en revanche, parmi les juristes d'entreprises, dont le nombre est difficile à déterminer (entre 8 000 et 40 000), très peu s'y opposaient, dans la mesure où ils souhaitaient bénéficier d'un statut équivalent à celui de leurs confrères étrangers. Il a estimé que cette possibilité serait un facteur de compétitivité, dans la mesure où les entreprises intégrant ès qualité des avocats bénéficieraient alors des protections liées au secret professionnel et à la confidentialité des informations transmises à l'avocat. Il a vu là un argument déterminant pour de très nombreux employeurs, notamment dans la perspective des actions de groupe « class actions », et qui pourrait les amener à procéder à des délocalisations de leurs services juridiques dans les pays qui offraient cette possibilité, si elle n'était pas assurée en France. Reconnaissant cependant que certains chefs d'entreprises restaient hostiles à cette idée car ils voyaient dans l'avocat un promoteur de contentieux, il a proposé que les avocats soient autorisés à conserver leur statut au sein des entreprises, au libre choix de leur employeur.

Il a répondu à la crainte parfois exprimée que l'indépendance de l'avocat intégré à une entreprise soit mise à mal en faisant valoir que, d'ores et déjà, dans de nombreux cas, les avocats exerçant à titre libéral étaient dépendants de leur principal client. Il s'est fait l'écho de secrétaires généraux de grandes entreprises considérant que la possibilité pour l'avocat de conserver son statut au sein de l'entreprise lui permettrait d'imposer plus facilement des règles de bonne gouvernance. Évoquant la question de la concurrence que les avocats d'entreprises pourraient faire à leurs collègues avocats en plaidant devant les tribunaux ou les Cours d'appel, il a remarqué que les juristes d'entreprise ne plaident pas, alors qu'ils le pourraient, devant les conseils de prud'homme et les tribunaux de commerce et il a fait valoir que la commission n'avait pas retenu cette possibilité, à laquelle les magistrats étaient hostiles.

Présentant la proposition de la commission sur la création d'un contreseing d'avocat, Me Jean-Michel Darrois a estimé qu'elle permettrait d'accroître la sécurité juridique, qu'elle favoriserait le travail en commun des différents professionnels du droit et qu'elle offrirait aux avocats une meilleure visibilité en droit des affaires, tout en répondant au problème que pose actuellement la multiplication d'actes très importants signés par les seules parties et établis sur la base de formulaires-types, sans qu'aucun professionnel du droit ne les examine. Il a indiqué que, en revanche, la commission s'était opposée à la création, demandée par les avocats, d'un acte sous signature juridique qui aurait eu la même force probante qu'un acte authentique. Rappelant que, d'ores et déjà, l'article 1322 du code civil prévoit que l'acte sous seing privé, s'il est reconnu par les parties ou légalement tenu pour tel, a la même foi que l'acte authentique, Me Jean-Michel Darrois a expliqué que la proposition de la commission visait seulement à considérer que l'acte signé par les parties et contresigné par un avocat devait être légalement tenu pour reconnu par les parties au sens de l'article 1322 précité. Il a estimé qu'une telle mesure, qui pourrait être introduite dans la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne créait aucune concurrence avec l'acte authentique établi par les notaires, qu'elle inciterait les parties à davantage consulter leurs avocats, leur apporterait une plus grande sécurité juridique, l'avocat engageant sa responsabilité par son contreseing, et qu'elle limiterait les contestations abusives.

a estimé que, dans le cadre d'une collaboration ponctuelle, l'avocat pouvait préparer un acte qui serait ensuite soumis à un notaire aux fins d'authentification, chacun des deux professionnels percevant alors une rémunération. Un tel procédé ne présenterait pas de difficulté dans le cadre d'une opération importante, les parties prenantes étant en mesure de financer l'intervention d'un avocat et d'un notaire. Son utilisation paraîtrait cependant plus difficile pour les opérations d'un montant moindre, les notaires ne pouvant, en application d'un décret de 1978, accorder de remise sur leurs émoluments lorsque le tarif les limite à 80 000 euros.

a indiqué que la commission proposait par conséquent de permettre en toute hypothèse une remise partielle des émoluments du notaire lorsqu'un avocat a contribué à la préparation de l'acte, ce dernier étant alors rémunéré sans surcoût pour le client. Cette remise ne serait possible qu'en vertu d'un accord préalable à la réception de l'acte. Si l'acte élaboré par l'avocat ne satisfaisait pas le notaire, celui-ci percevrait la totalité des honoraires et l'avocat devrait alors s'adresser au Haut conseil des professions du droit qui serait chargé de rendre un arbitrage.

Il a considéré ensuite que la possibilité pour les avocats d'engager des experts-comptables leur permettrait d'être plus concurrentiels, dans un contexte où la distinction entre les métiers du chiffre et les métiers du droit apparaît dépassée. Il a jugé que la véritable opposition résidait aujourd'hui entre les activités de conseil et de contrôle, le client souhaitant pouvoir s'adresser à un prestataire regroupant à la fois des avocats, des experts-comptables et des administrateurs judiciaires. Il a expliqué que la commission dont il avait assuré la présidence recommandait ainsi que soit autorisée la création de structures interprofessionnelles rassemblant des professionnels du droit ou des professionnels du droit et du chiffre, qui détiendraient des participations dans les sociétés d'exercice propres à l'une de ces professions.

a relevé que ces structures interprofessionnelles ne devaient cependant pas s'apparenter à des supermarchés du droit selon le modèle anglo-américain, qui pratiquaient la sous-traitance des dossiers à des juristes exerçant dans des pays émergents. Il a jugé indispensable que les structures interprofessionnelles demeurent animées par des professionnels soumis à des règles déontologiques strictes.

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