Intervention de Jean-Marie Delarue

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 12 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Marie delaRue contrôleur général des lieux de privation de liberté

Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté :

Votre commission me reçoit en effet régulièrement et je m'en réjouis : ces entretiens sont l'occasion d'évaluer mon travail et celui de mes collaborateurs. Le contrôleur est ainsi contrôlé, et c'est très bien ainsi.

Qu'avons-nous fait en 2009 et quelles sont nos perspectives ?

La première tâche du contrôleur général, c'est de vérifier l'adéquation de la situation dans les lieux de privation de liberté avec le respect des droits fondamentaux des personnes détenues. Pour cela nous disposons de deux outils : les saisines dont nous sommes l'objet et nos visites d'établissement.

En 2009, nous avons reçu trois fois plus de courrier qu'en 2008 et au premier trimestre 2010, il a été multiplié par 2,3 par rapport à la même période de 2009. Nous recevons donc actuellement 2 800 lettres par an, émanant majoritairement de détenus mais aussi, de plus en plus, de personnes hospitalisées sans leur consentement.

Nos visites ont pour but d'analyser les situations et de les faire modifier. En 2009, nous en avons fait 153 et, depuis le début de ma mission 250 établissements ont été visités : des établissements de tous types mais je me suis surtout attaché à ceux qui pour moi sont les plus problématiques : les centres d'éducation fermés, les centrales dont la moitié ont été visitées ainsi que la quasi-totalité des centres de rétention. Ces visites sont de plus en plus longues, elles sont l'occasion de recevoir de plus en plus de monde - personnes privées de liberté ou personnels. De ces visites résultent des rapports eux aussi de plus en plus importants : celui relatif à la maison d'arrêt de Lyon/Corbas comporte 74 pages.

Il y a interaction entre courrier et visites : le premier livre des témoignages qui motivent nos visites et celles-ci nous permettent de répondre à ce courrier.

Au risque d'être immodeste, j'avancerai que, après trois ans d'existence de cette institution du Contrôle général, on n'a jamais eu autant d'informations sur les prisons et autres lieux de privation de liberté. Nous sommes vraiment désormais entrés dans le quotidien tant des détenus que des personnels de ces établissements.

Mon deuxième objectif c'est de maintenir notre indépendance, sans interférer avec l'action gouvernementale. Si je me suis abstenu de tout commentaire sur la loi pénitentiaire et si je m'abstiens sur le projet de loi relatif à l'hospitalisation sans consentement, en revanche, je tiens à conserver ma liberté d'expression. J'ai fait sept recommandations parues au Journal officiel en 2009 et j'en adresse aux ministres concernés après chaque visite. C'est ainsi que nous avons dit ce que nous pensions de l'ouverture du courrier des hospitalisés sans leur consentement, des caillebotis recouvrant les fenêtres des maisons d'arrêt ou du manque de travail pour les détenus. Nous sommes à l'origine de trois débats : sur la taille des maisons d'arrêt, sur le nombre de gardes à vue et sur les nouveaux établissements pénitentiaires. Bien entendu, je continuerai à m'exprimer et je ne cesserai pas de prendre parti sur tous ces sujets au motif que le gouvernement ne partage pas nos idées : nous sommes indépendants.

Ma troisième tâche, c'est de conquérir la confiance des personnels et des personnes privées de liberté.

Avec ces dernières, cette confiance est à conquérir chaque jour. Parce qu'avec le temps certains détenus, constatant que leur sort ne s'améliore pas, se mettent à douter de notre mission. Le poids de l'incarcération pèse sur eux : je pense par exemple à cette jeune femme incarcérée, harcelée pour son homosexualité et dont les courriers se sont raréfiés au point que sa mère dit n'avoir plus aucun contact avec elle.

S'agissant des contacts avec le personnel, il faut distinguer ceux que nous avons dans les établissements -où nous sommes diversement reçus mais toujours dans le respect des formes- et les contacts nationaux réguliers que nous entretenons avec les autorités administratives et les syndicats.

Autre objectif du contrôleur général : vivifier par la pensée et l'action les lieux de privation de liberté. Je voudrais que le Contrôle général soit un catalyseur d'actions sur ces lieux. En 2009, j'ai donc pris l'initiative de réunir régulièrement des universitaires, chercheurs ou juristes, ainsi que des associations qui travaillaient dans ces lieux mais sans nécessairement se connaître ni se coordonner - les associations de familles de détenus et de familles d'hospitalisés par exemple. Je veux que le Contrôle général soit leur point de rassemblement.

J'ambitionne aussi de promouvoir les engagements internationaux du Contrôle général afin d'en faire éclore un dans les pays qui n'en ont pas. Mais cela demande du temps. J'avais demandé à Jacques Barrot, précédent commissaire européen à la justice d'organiser une réunion, ce qu'il a fait en décembre dernier. Je compte demander à Mme Reding, qui lui a succédé de faire de même. Et la même démarche est engagée au Conseil de l'Europe.

Une autre de mes préoccupations est de donner dans notre administration un exemple de rigueur dans la gestion des crédits, du matériel et du personnel. Par exemple, par souci de modestie nous avons installé nos locaux dans un quartier où les loyers sont peu chers.... Je pratique en outre une transparence absolue : je dis la réalité de mon budget, y compris des défraiements attribués à chaque contrôleur, et sur notre site figurent -après un délai d'un an- l'intégralité de nos rapports ainsi que les observations des ministres.

Nos perspectives ?

D'abord continuer nos recommandations au gouvernement. Trois sont imminentes : sur les locaux de douane, comme à Reims et à Amiens ; sur la « disparition » des biens des détenus lors de leurs transferts ; sur des établissements dont je me préoccupe beaucoup, les Centres éducatifs fermés, dont l'état laisse à désirer.

A moyen terme, j'envisage une recommandation sur l'immobilier pénitentiaire au sujet duquel nous avons adressé un mémoire au ministère de la justice. Il nous faut aussi réfléchir à la discipline et à la sécurité dans ces établissements - sécurité qui n'est pas toujours assurée ni pour le personnel, ni pour les détenus -, au maintien des liens familiaux, aux aménagements des peines privatives de liberté et aux relations avec les administrations : je crains en effet qu'après un premier moment d'intérêt, certaines administrations, avec le temps, se soucient moins de nous.

Je considère que je ne suis pas là pour - selon l'expression d'un fonctionnaire de police - « encourager l'administration à utiliser des pots de peinture ». Je suis là pour faire changer les pratiques.

J'ai demandé quatre contrôleurs supplémentaires pour la bonne raison que les visites sont de plus en plus longues, et je peux déjà vous annoncer que, en 2010, nous n'en ferons pas 150...

Je veux aussi assurer la protection de ceux qui nous font confiance. Lorsqu'en 2005, la France a signé le Protocole facultatif à la convention des Nations-unies, elle a assorti sa signature d'une réserve : son administration poursuivra pour dénonciation calomnieuse quiconque dénoncerait des faits à tort. Nous avons été les seuls à faire une telle réserve - destinée à l'époque à rassurer les organisations professionnelles. Je me demande si une telle réserve est encore nécessaire. Et je m'en inquiète : les personnes que nous avons entendues sont ensuite trop souvent questionnées sur leurs déclarations. Certaines sont privées de travail. Dans un établissement pénitentiaire les détenus peuvent saisir le Contrôleur général une fois, voire deux fois mais -puisque le courrier est lu - la troisième lettre ne part pas !

De tels faits atteignent l'institution que je représente. Ils sont inadmissibles et je vous demande d'y être, vous aussi, attentifs !

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