Intervention de Jean-Marie Delarue

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 12 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Marie delaRue contrôleur général des lieux de privation de liberté

Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté :

Si la loi est pour moi l'instrument destiné à faire respecter les droits fondamentaux des détenus, je reste persuadé qu'il nous reste bien du chemin à faire sur la question de fond qui est posée. L'emprisonnement n'est pas toujours la meilleure solution. Je suis même convaincu du contraire. Quel est le sens de la peine ? Là est la vraie question de fond, telle que l'a posée M. le sénateur Anziani, et qui ne se réduit pas à la question de l'utilité de la peine, à laquelle vous avez répondu dans le préambule de la loi pénitentiaire.

Sur le Défenseur des droits, je vais lever un coin du voile, dégagé de toute considération triviale quant à la préservation de mon mandat. Nous sommes tombés d'accord, avec les organismes homologues au plan européen, sur la nécessaire distinction entre résolution des litiges et prévention. Nous avons tiré les conclusions, le 5 novembre, à Strasbourg, en convenant que là où les deux institutions - contrôle général et médiation - sont liées, les activités de médiation doivent être soigneusement distinguées, notamment au sein du rapport annuel, des questions liées à la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Je reviens d'une visite à Madrid où j'ai rencontré le Defensor del Pueblo, institution qui a clairement inspiré le comité Balladur pour la création du Défenseur des droits. Il a pris de longue date l'habitude de visiter les prisons : il y avait paradoxe à ne pas lui adjoindre les missions de prévention inscrites dans le protocole que l'Espagne a signé. Mais il reste convaincu qu'il faut clairement distinguer les missions. D'autant qu'il n'a pas pu dégager un euro supplémentaire pour cette nouvelle mission. Il a fallu improviser, prélever sur l'équipe existante : les limites budgétaires se sont vite fait sentir sur le nombre des déplacements.

Je considère donc, si l'on veut préserver une mission en train d'éclore et compte tenu de la situation de nos établissements, qui sont loin d'être des modèles, que le rôle de prévention mérite d'être individualisé. Gardez-vous cependant de voir dans mes propos la « défense et illustration » d'une institution qui n'en a nullement besoin.

Les évolutions en matière de garde à vue ont été très sensibles, monsieur le sénateur Zocchetto, au cours des cinquante dernières années. Vous avez cité les chiffres de notre rapport, ils sont éloquents. La garde à vue n'est plus en 2010 ce qu'elle était dans les années 1970. Faut-il attribuer ces évolutions aux circonstances ? Oui et non. La circulaire du ministre de l'Intérieur du 2 mars 2003 sur l'alimentation au cours de la garde à vue a porté ses fruits. Le traditionnel sandwich improvisé a été remplacé par des barquettes plus substantielles. La régularité de l'alimentation y a gagné. La question de l'eau reste cependant problématique. Il faut obtenir le droit de sortir de sa cellule, et cela dépend largement de la bonne volonté du gardien.

D'autres circulaires ont été édictées, notamment sur l'hygiène. On a installé des douches dans les commissariats, mais il faut bien constater que la plupart servent d'entrepôt de matériel...

Un mot sur les gardes à vue placées sous la responsabilité des gendarmes. J'ai dit, dans mes recommandations du 4 mars, les risques considérables du manque de surveillance. Il n'y existe pas non plus de décompte contradictoire lors du vide-poches, même si les gendarmes sont des gens consciencieux.

En tout état de cause, les circulaires ne règlent pas tout, et les comportements individuels des personnes comptent beaucoup. Je regrette que le contrôle judiciaire des gardes à vue reste insuffisant. Non pas que le procureur ne se rende pas sur place, mais est-il assez attentif, au-delà des procédures, sur l'environnement ? Je m'interroge.

La question des mineurs étrangers est un redoutable problème. Nous manquons encore des moyens nécessaires. Lorsque j'ai visité, l'an passé, la zone d'attente de Roissy, j'ai constaté qu'un responsable ad hoc n'est nommé que dans un cas sur dix. Et comment trouver trace de ce qu'il advient de ces mineurs ? Je n'ai pas même pu savoir combien sont hébergés à l'hôtel et combien ne le sont pas. Il semble que l'on n'y mette que les moins de 13 ans. J'ai demandé pourquoi le critère de 13 ans avait été retenu, on m'a répondu que c'était la limite pénale !

Il faut améliorer la tutelle et le traitement de ces mineurs. Beaucoup sont libérés sur ordre du procureur de Bobigny. Que deviennent-ils ? On sait que les jeunes filles, en particulier, peuvent se trouver prises dans des situations dramatiques.

Les réponses que je vous ai faites, vous l'aurez compris, tendent à ce constat que les lieux de privations de liberté fonctionneraient mieux si les liens avec les services agissant en amont et en aval étaient renforcés.

La question de la confiance, madame le sénateur Boumediene-Thiery, constitue ma préoccupation essentielle. Si l'on veut assurer l'efficacité de l'institution, il faut que les gens n'aient pas peur de se confier à elle. Vous m'avez interrogé sur les associations de détenus. J'observe que l'on contraint souvent ces derniers, s'ils veulent pouvoir louer une télévision, à cotiser à l'association culturelle. Or, je constate que lorsque ces associations culturelles tiennent leur assemblée générale, les détenus qui en sont adhérents ne sont pas invités à participer. Ce n'est pas normal. Dans les prisons, comme dans les établissements hospitaliers et les centres de rétention, on a tout intérêt à associer les « usagers » - usagers malgré eux - à la bonne marche de l'établissement.

Le droit à une vie familiale constitue un droit fondamental, à la protection duquel je suis très attaché. Notre prochain rapport portera sur le maintien des liens familiaux, en particulier pour les femmes. Ce souci doit devenir une priorité. Je regrette que les contacts entre l'administration pénitentiaire et les familles ne soient pas plus ritualisés, et je l'ai dit au Président de la République.

Nous avons obtenu de l'administration pénitentiaire qu'elle modifie sa réglementation sur les téléphones, qui devenait prétexte à racket. Alors qu'ils étaient installés dans les lieux de promenade, lieux de violences répétées, j'ai plaidé pour qu'ils le soient, sinon dans les cellules, dans les coursives. C'est ce qui a été fait à Rennes, où ils sont de surcroît placés dans des cabines. Mais cela est loin d'être le cas partout, et j'en ai même vus, ailleurs, installés à proximité des grilles, au milieu du brouhaha. De tels traitements ne sont pas acceptables. On me dit qu'il faudrait des milliards pour améliorer les choses : commençons par les cabines téléphoniques, elles ne coûtent pas cher...

Vous me demandez, madame la présidente Borvo Cohen-Seat, ce que les parlementaires peuvent faire. Ils peuvent être attentifs à l'application de la loi, aux décrets d'application, aux moyens alloués à l'administration pénitentiaire. Nous travaillons en complète déshérence. On déplore l'insuffisance de la prévention et l'on axe les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) sur l'aménagement de peine. Mais du coup, plus personne ne règle les problèmes administratifs auxquels se heurtent les détenus comme les pièces d'identité ou la couverture sociale. C'est ainsi que l'on accumule les problèmes que l'on prétend résoudre avec l'aménagement de peine : quelle contradiction ! Et je ne parle pas des effectifs de surveillants.

Je me suis exprimé sur la garde à vue. Se pose la nécessaire question d'une remise en débat devant la représentation nationale. Je regrette que le projet de réforme du code de procédure pénale ne soit pas allé jusqu'au livre cinquième sur l'exécution des peines : cela aurait permis de répondre à la question du sens de la peine.

Il faut se réjouir, monsieur le sénateur Sueur, du développement des alternatives à la détention. Mais prenons garde à ses limites. La surpopulation des prisons est surtout liée à la détention provisoire : quand l'aménagement de peine a concerné 4 à 5 000 personnes, la diminution de la détention provisoire en a touché 6 000.

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