Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 mai 2011 : 1ère réunion
Audition du dr abdullah abdullah ancien ministre des affaires étrangères d'afghanistan

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

Monsieur le ministre, j'ai le plaisir de vous accueillir une nouvelle fois devant notre commission. Nous vous avions entendu il y a un peu plus d'un an, le 22 février 2010. Depuis cette date les élections législatives se sont déroulées et ma première question portera sur votre appréciation de la façon dont la vie politique se structure en Afghanistan.

Vous nous aviez annoncé la création d'un parti politique tout en soulignant qu'il n'y avait pas de tradition historique de telles structures politiques dans votre pays. Avez-vous pu surmonter cette difficulté et rassembler, dans un même ensemble, des représentants divers de la société afghane ?

Dans le même esprit vous êtes, je crois, en faveur d'une forte décentralisation des pouvoirs au bénéfice des provinces. Cette décentralisation permettrait de refléter le pluralisme du système, le multiculturalisme, le multilinguisme et même les différentes religions qui caractérisent la diversité afghane. Pensez-vous que des progrès aient été faits dans ce sens ?

Je conduirai dans quelques semaines une délégation de notre commission dans votre pays. Nous souhaitons nous rendre sur place et rencontrer les responsables afghans afin d'avoir une idée plus précise de l'avancement du processus de transition. Comme vous le savez l'opinion publique en France, sans porter une appréciation négative sur notre intervention, s'interroge sur son bien-fondé. Les mêmes questions se posent du reste au Royaume-Uni ou en Allemagne par exemple. Les pertes que nous subissons, et je pense au sacrifice du 57ème de nos soldats qui vient de tomber en Afghanistan, sont très douloureusement ressenties. Il est normal que nos concitoyens s'interrogent sur l'utilité de ces sacrifices.

Lors de la réunion de Lisbonne, l'OTAN a indiqué que 2014 pourrait être l'année d'un retrait significatif de la coalition si les circonstances le permettent. La principale question est donc de savoir comment se passe la montée en puissance de l'armée nationale afghane mais aussi de la police, de la gendarmerie et de la justice. Il est vraisemblable que, s'agissant de la France, nous pourrons transférer la responsabilité de la Surobi aux forces de sécurité afghane à la fin de cette année. Mais, qu'en est-il dans les autres provinces ?

Nous savons évidemment qu'il n'y a pas de solution militaire. Où en est selon vous le processus de réconciliation ? A-t-il une chance d'aboutir de la façon dont il est mené par le président Karzai ?

Enfin, dernière question, il y un an vous aviez souligné une étroite relation entre les talibans et Al-Qaïda et vous nous aviez indiqué que la majorité des Pachtouns était fermement opposée au retour des talibans au pouvoir. Quelles conséquences la mort d'Oussama Ben Laden aura-t-elle sur le mouvement insurgé ? L'état de choc dans lequel se trouve le Pakistan après l'opération menée par les forces américaines démontre, s'il en était besoin, l'ambiguïté de la position du Gouvernement et surtout de l'armée pakistanaise. Je suis persuadé, comme nous l'avions souligné dans notre dernier rapport d'information, que seule une solution régionale avec l'implication de l'ensemble des pays de la zone permettra d'avancer sur le chemin de la paix.

Monsieur le ministre, je vous passe la parole.

Dr Abdullah Abdullah - Merci pour votre invitation et pour votre soutien à l'Afghanistan tout au long de ce processus.

Depuis notre rencontre devant votre commission l'an dernier, les élections parlementaires se sont déroulées. A l'époque, je soutenais qu'une réforme du système électoral était un préalable aux élections, mais je n'ai pas été entendu, et les élections se sont tenues. Le résultat n'a pas été à la hauteur des espérances de Hamid Karzai, qui pensait remporter près de 70 % des sièges. La conséquence en a été la création par M. Karzai d'un Tribunal spécial chargé de régler le contentieux des législatives, afin d'exercer une pression sur le Parlement.

Le mouvement que je préside, la Coalition pour le Changement et l'Espoir, a gagné plusieurs sièges lors de ces élections. Il s'agit d'un mouvement qui se veut fédérateur, pour mieux évoluer et se développer. Il a pris racine à travers le pays, dans tous les groupes ethniques et les milieux sociaux. Nous avons des députés, des sénateurs, des membres des conseils provinciaux, ainsi que des représentants de la société civile. Nous espérons que nos fondements soient les plus larges possible, que nos structures ne soient pas figées, afin de rassembler le maximum de personnes et avoir quelques leaders qui puissent agir. Nous suivons un code déontologique précis, nous recherchons le consensus sur la conduite à suivre. Prochainement, à Kaboul, une rencontre sera organisée avec les représentants provinciaux afin de créer à l'intérieur du mouvement des structures, un conseil exécutif, des commissions... Nous espérons que notre mouvement aura des conséquences sur la politique intérieure afghane, en incitant à plus de démocratie. Nous voulons créer de l'espoir pour la population afghane.

En ce qui concerne le processus de transition, celui-ci se passe bien dans certaines régions, et il faut s'en réjouir. Les choses avancent pas à pas, les efforts consentis depuis dix ans ne doivent pas être gâchés par trop d'impatience. C'est une préoccupation importante pour nous comme pour la communauté internationale, qui aimerait des résultats rapides et pérennes. De mon point de vue, il ne faut pas se précipiter, mais avancer petit à petit. Notre intérêt exige que tout se fasse graduellement, et il ne faut surtout pas perdre de vue la population afghane et son rôle dans l'avenir de son pays. Aux Etats-Unis, le consensus existe sur la manière d'avancer, mais dans leurs relations avec les autres pays membres de la coalition internationale, il n'y a plus, de mon point de vue, de politique cohérente. Il est important que le message de la communauté internationale soit cohérent et pérenne.

En ce qui concerne la mort d'Oussama Ben Laden, il ne devrait pas y avoir dans l'immédiat beaucoup de conséquences, mis à part peut-être une certaine méfiance des chefs talibans. Oussama Ben Laden avait une importance physique mais aussi symbolique extrêmement forte. Pour Al-Qaïda, il apparaissait comme un leader, un guide spirituel. Certes sa mort aura des conséquences sur les talibans, mais il n'y aura pas la paix pour autant, car les talibans ne croient pas en la participation au processus démocratique, ils veulent uniquement remplacer le système existant par leur propre système. Hamid Karzai utilise la réconciliation nationale comme un outil au lieu de mettre en place un processus transparent pour le peuple afghan. La population ne veut pas d'un retour à l'époque des talibans.

Enfin, s'agissant du Pakistan, j'avais mentionné l'an dernier devant vous les problèmes régionaux que nous connaissions. La mort d'Oussama Ben Laden a mis en lumière ce que chacun savait déjà. La question est de savoir comment le Pakistan va pouvoir changer, comment le convaincre d'adopter un point de vue différent. C'est à la communauté internationale de travailler avec le Pakistan, sur la base des nouvelles réalités d'aujourd'hui. Quant aux relations avec l'Inde et le sentiment d'encerclement, ce n'est pas un problème pour l'Afghanistan, qui a d'autres sujets à traiter. Le Pakistan doit également comprendre que l'Afghanistan n'est pas une menace pour lui.

Je souhaite aborder la question de la ligne Durand. Est-ce que ce problème envenime ou envenimera les relations entre l'Afghanistan et le Pakistan ? Le Pakistan ne craint-il pas une remise en cause de cette ligne, et la création d'un pays pachtoun qui empièterait sur les frontières des deux pays ?

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