Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 mai 2011 : 1ère réunion
Audition du dr abdullah abdullah ancien ministre des affaires étrangères d'afghanistan

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Je voudrais revenir sur le processus de réconciliation, tel qu'engagé par le président Karzai, avec les talibans dits modérés. Où en est ce processus, quelles sont ses perspectives, et qui y est intégré ?

Dr Abdullah Abdullah - La mort d'Oussama Ben Laden a relancé le débat aux Etats-Unis sur l'intérêt de se maintenir en Afghanistan. C'est un débat essentiellement politique, à l'approche de l'élection présidentielle américaine. Sa mort renforce la position de ceux qui souhaitent un retrait.

En Afghanistan, Oussama Ben Laden était une véritable figure de proue pour les talibans, il canalisait les réseaux terroristes, en particulier concernant les soutiens financiers. Aujourd'hui, la structuration parait moins claire, donc la situation va forcément être modifiée.

Concernant le processus de transition, le transfert est long, mais il est préférable qu'il soit graduel. Les institutions doivent être créées de façon à avoir un réel pouvoir, elles doivent pouvoir assumer les responsabilités qui leur incombent. Si la transition n'est pas abordée correctement, si les conditions ne sont pas optimales, alors nous risquons de mettre en danger certains aspects de l'avenir de l'Afghanistan.

S'agissant du Pakistan, celui-ci a utilisé le terrorisme comme moyen de politique étrangère. Avec la mort d'Oussama Ben Laden, il a dû modifier son attitude en public, mais a-t-il pour autant changé de point de vue ? Le Pakistan doit profiter de l'opportunité qui lui est offerte pour changer. Les Pakistanais qui soutiennent Oussama ben Laden sont une minorité, le Pakistan doit choisir, il s'agit d'un acteur important de la région. L'armée pakistanaise combat aujourd'hui les talibans pakistanais, et le Pakistan doit comprendre que plus les talibans afghans seront forts, alors plus les talibans pakistanais se renforceront également.

Concernant la vie de la population afghane, une de nos préoccupations est que la réduction du nombre des troupes internationales entraine une réduction de l'aide financière et une dégradation du contexte général. Beaucoup a déjà été fait dans la construction d'infrastructures, du système de soins, de l'éducation, ... des efforts doivent désormais être réalisés dans le domaine agricole, puisque 70 % de la population travaille dans ce milieu, et dans la création d'une chaine de valeurs ajoutées. Les perspectives économiques doivent être élargies, en termes de pays de transit pour les marchandises, de tourisme, mais tout cela exige des infrastructures fonctionnelles et que la corruption soit éradiquée. Il y a beaucoup de raisons d'espérer un avenir positif. Les choses changeront, avec le temps, mais il est nécessaire d'avoir un soutien sans faille au fil des années.

A propos de la formation de l'armée et de la police, il est extrêmement difficile d'essayer d'enrôler des policiers et des soldats, alors qu'on combat des terroristes et des insurgés, car des problèmes de désertion surgissent dès lors qu'on les envoie dans une zone de combat. Mais on avance petit à petit. Les formations des Américains et des Français sont des formations pour le long terme, les Américains forment sur les nouvelles technologies, mais cette formation risque d'être difficile à conserver sans moyens nécessaires pour la mettre en pratique.

Enfin, en ce qui concerne la solution politique qui serait envisageable, et la question de la réconciliation, l'obstacle majeur reste que les talibans ne se battent pas pour faire partie du système, mais au contraire pour l'anéantir, ils ont des sanctuaires, des réseaux de soutien. La politique de réconciliation nationale voulue par le président Karzai n'est pas très explicite, il est probable que son idée de départ soit de diviser les talibans. Il y aura toujours des talibans purs et durs, voulant se battre, et d'autres dits modérés. Malheureusement, le résultat a été de polariser la société afghane, qui est très inquiète à l'idée de revenir aux jours moyenâgeux des talibans. Il faut travailler sur la confiance, le moral de l'armée et du peuple afghan, et pour l'instant, le processus en cours est celui de la réconciliation dans les provinces.

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