Cette audition est pour moi très importante. Elle intervient à un moment où, au-delà d'une actualité extrêmement forte, j'ai pu appréhender les différents dossiers du ministère, alors que nous devons réfléchir ensemble aux perspectives de notre politique de défense. Le ministère de la défense est singulier. Nous venons, hélas, de perdre un 57ème soldat français en Afghanistan. Ce sont des morts que nous avons acceptées, puisqu'elles s'inscrivent dans l'engagement que nous avons décidé. Mais cela exige de nous une gravité particulière lorsque nous traitons de notre politique de défense.
D'emblée, je voudrais souligner que, de mon point de vue, la politique de défense a toujours été et reste fondée sur l'implication du Parlement. Cela était vrai jadis, par exemple avec la « loi des trois ans » de 1913. Cela reste vrai aujourd'hui, avec les engagements approuvés dans le cadre de la loi de programmation militaire. Les fonctions de ministre de la défense requièrent également un dialogue permanent avec ceux qui ont la charge de mettre en oeuvre cette politique. Le contact avec les unités de terrain est pour moi indispensable.
Le ministère de la défense est actuellement engagé dans une profonde réforme, une réorganisation qui n'a pas d'équivalent dans d'autres administrations. Sur la période 2009-2015, nous réalisons une diminution de 54 000 postes civils et militaires et nous supprimons 82 unités, dont 20 régiments sur 110 et 11 bases aériennes sur 37. Il s'agit d'un effort très lourd sur le plan humain.
Les dividendes de cette restructuration sont entièrement réinvestis au profit de la condition du personnel et des équipements. Nous avons mobilisé des moyens importants pour l'accompagnement individuel des personnels. Plus de 238 millions d'euros y ont été consacrés au titre de leur départ du ministère, de leur mobilité ou de leur reclassement. Cet accompagnement individuel s'est doublé de réformes statutaires, indiciaires et indemnitaires, étalées dans le temps, qui représentent un effort annuel de 95 millions d'euros.
J'avais eu l'honneur, avec certains d'entre vous, d'accompagner le président Larcher en Afghanistan il y a dix-huit mois. Depuis lors, et votre commission pourra le constater lors de son prochain déplacement, nous avons réalisé d'indéniables progrès sur les équipements. Les VAB (véhicules de l'avant blindés) ont pour une part été remplacés par le VBCI (véhicule blindé de combat d'infanterie) et pour l'autre part équipés de postes de tir téléopérés. Le canon Caesar a été intégré dans les unités. Au second semestre 2011, nous mettrons en oeuvre la tenue Felin (fantassin à équipements et liaisons intégrés) destinée à intégrer le combattant dans la numérisation du théâtre d'opérations.
Parallèlement, la montée en puissance du Rafale se poursuit. Cet appareil multimissions, qui opère actuellement en Libye, montre ses qualités exceptionnelles. Il permet à la France de pleinement tenir son rang.
Cet effort est le résultat direct du Livre blanc et de la loi de programmation militaire.
Le général Petraeus, auquel j'ai récemment remis les insignes de commandeur de la Légion d'honneur avant qu'il ne prenne la tête de la CIA, m'a dit tout le bien qu'il pensait de l'engagement des hommes de la Task Force « La Fayette » en Kapisa et en Surobi.
L'affaire libyenne a particulièrement illustré notre réactivité et l'apport du Rafale. Alors que la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies avait été adoptée un jeudi et que les membres de la coalition se réunissaient un samedi matin à Paris, nos avions sont intervenus dès le samedi après-midi pour stopper les blindés de Khadafi avant qu'ils n'entrent dans Benghazi et s'imbriquent avec les forces insurgées. Nous avons pris le risque d'intervenir sans avoir préalablement opéré la destruction complète des moyens de défense sol-air libyen. A la différence de nos alliés, nous avons pu prendre ce risque parce que le Rafale permet de tirer hors d'atteinte des défenses sol-air de moyenne altitude.
Aux côtés de ces points forts, nous souffrons de faiblesses persistantes.
C'est le cas en matière de drones Male. Nous disposons de ce type de drones, mais ils n'ont pas le degré de performance nécessaire.
C'est le cas en matière d'aéromobilité. Notre flotte de Transall est obsolète et le premier A400M n'arrivera qu'en 2013. Nos ravitailleurs ont plus de 40 ans et la commande du MRTT n'interviendra elle aussi qu'en 2013. S'agissant des hélicoptères de manoeuvre, nous attendons avec impatience le NH90 et nous n'avons pas d'hélicoptères lourds offrant une grande capacité d'emport.
S'agissant de la réorganisation du ministère, la mise en oeuvre des bases de défense est nécessairement difficile, mais les critiques de la Cour des comptes me paraissent exagérées et injustifiées. Les résultats ne peuvent être optimaux alors que nous sommes en pleine phase de restructuration. La Cour a proposé un regroupement autour de 20 bases de défense seulement, au lieu de 60, mais cela éloignerait excessivement les chefs d'unités des commandants de base. Je constate, en outre, qu'en pratique, le système fonctionne bien. En préliminaire à l'opération Harmattan en Libye, la base de défense de Marseille a rapidement apporté son concours pour permettre le déploiement en 48 heures du BPC MISTRAL afin de se préparer éventuellement à évacuer des ressortissants égyptiens de Libye.
De même, je considère que le fonctionnement du service de santé des armées est satisfaisant, même s'il faut optimiser l'emploi de ses moyens.
En ce qui concerne l'évolution des menaces sécuritaires, le Livre blanc avait peut-être sous-estimé celles qui pèsent sur la sécurité maritime. Je reviens des Emirats arabes unis et j'ai pu mesurer que la piraterie ne cesse de croître. A ce propos, notre présence à Abou Dhabi me paraît pleinement compléter notre implantation à Djibouti. Nous nous trouvons là au coeur d'une région cruciale pour suivre les évolutions du monde arabo-musulman et les enjeux liés à la sécurité des approvisionnements en matières stratégiques.
Je crois également que la réorganisation de nos implantations permanentes en Afrique, autour des bases de Libreville et de Djibouti, a démontré sa pertinence. Grâce à ce dispositif, nous avons pu, en quelques heures, porter les effectifs de la force Licorne en Côte d'Ivoire de 980 à près de 1 700 hommes.
En 2008, le dispositif Epervier au Tchad avait permis l'évacuation de 1 500 ressortissants. Nous sommes en revanche plus démunis pour assurer la protection individuelle de nos compatriotes dans la zone sub-sahélienne, face à des actes qui relèvent autant du banditisme que du terrorisme.
Je souhaiterais également insister sur le rôle de plus en plus important de l'espace. Nous avons pris les décisions nécessaires pour assurer la continuité du système d'observation satellitaire Helios II, grâce au lancement du programme Musis, et nous devons également préserver nos capacités actuelles dans le domaine électromagnétique entre les démonstrateurs en service et le futur système opérationnel afin d'éviter tout risque de rupture capacitaire.
Dans le domaine industriel, il faut évidemment veiller à ce que l'effort réalisé en faveur des programmes ne s'effectue pas au détriment des études-amont, qui préparent l'avenir. Je considère que, pour la période 2011-2013, le niveau programmé des crédits d'études-amont est très substantiel. Il appartient aux industriels de se regrouper pour que nous puissions optimiser nos efforts et éviter de disperser nos moyens. D'une manière plus générale, il est souhaitable que les industriels travaillent plus étroitement avec les entreprises petites et moyennes, dans le cadre d'un véritable partenariat.
S'agissant du financement des opérations extérieures, la dotation inscrite dans la loi de finances initiale pour 2011 s'élève à 630 millions d'euros et nous pouvons escompter des remboursements de l'ONU à hauteur de 20 millions d'euros. Cela ne fait que 650 millions d'euros pour un coût prévisionnel qui atteint déjà 900 millions d'euros. La Libye représente aujourd'hui un surcoût supplémentaire de 50 millions d'euros, dont 30 millions d'euros au titre des munitions.
En tenant compte des recettes exceptionnelles, nous disposons actuellement d'une visibilité budgétaire sur l'application de la loi de programmation militaire jusqu'à la fin de l'année 2013. Au-delà, si la croissance reste modeste et que nos déséquilibres budgétaires perdurent, il est facile d'imaginer que des économies seront recherchées. Pour ma part, je considère qu'il n'existe aucune marge de manoeuvre sur le budget de la défense. La loi de programmation militaire a été construite très rigoureusement et l'actualité démontre que nous devons être capables d'honorer les engagements opérationnels qu'elle comporte. Nous ne pouvons pas nous permettre d'affaiblir cet ensemble cohérent.
J'en viens maintenant, comme vous m'y avez invité, Monsieur le Président, aux opérations en cours.
En Côte d'Ivoire, la situation est stabilisée. Notre objectif est désormais de réduire notre présence dans le cadre de la force Licorne. Nous souhaitons engager la renégociation de l'accord de défense, comme nous l'avons déjà fait avec les autres pays africains concernés. On peut imaginer le maintien, sur notre base de Port-Bouet, d'un pôle de coopération analogue à celui prévu à Dakar.
En Libye, nous avons assumé une responsabilité forte : ne pas rester passifs face à la tentative d'élimination par la force de l'opposition populaire. Nous savons parfaitement que la solution de la crise appartient aux Libyens eux-mêmes. Elle ne résultera pas des opérations militaires aériennes, mais celles-ci permettent au peuple libyen de s'exprimer et au Conseil national de transition d'agir.
Que ce soit en Cyrénaïque, à Misrata ou dans le massif du Djebel Nefoussa, autour de Zintan, la situation n'évolue plus, ni dans un sens, ni dans l'autre. Dans le cadre de la résolution 1973, nous apportons par voie maritime un soutien à Misrata. Un bâtiment français a ainsi neutralisé des lance-roquettes.
Depuis trois semaines, les forces de Khadafi tentent de se déployer en contournant la route côtière. Nos avions ont effectué des bombardements dans la profondeur à l'intérieur des terres, à une distance compatible avec nos procédures de sécurité les plus exigeantes, sachant que nous pouvons aller au-delà s'il le fallait, en prenant plus de risques pour la sécurité de nos pilotes.
Sur demande de la France et du Royaume-Uni, l'OTAN a procédé à des tirs sur des cibles militaires à Tripoli. Les résidences personnelles de Khadafi ou de ses proches ne sont en aucun cas visées. C'est parce qu'il se trouvait dans un centre de commandement et de contrôle qu'un des fils de Khadafi a été tué.
En ce qui concerne l'Afghanistan, il faut souligner les bons résultats de notre travail de pacification en Kapisa et en Surobi. Les rebelles n'ont pas lancé d'offensive de printemps. Nous avons déploré des pertes liées à des engins explosifs improvisés, mais nos troupes n'ont pas été la cible de tirs directs ou d'embuscades. Nous souhaitons pouvoir transférer la sécurité du district de Surobi aux Afghans au second trimestre 2011. La situation est plus complexe en Kapisa, mais nous pourrions viser le 1er semestre 2012.
La formation de l'Armée nationale afghane monte en puissance, même s'il est évident que l'on ne peut constituer une armée en quelques mois seulement.
Enfin, la disparition de ben Laden constitue une excellente nouvelle. On peut espérer que les documents recueillis par les Américains seront riches de renseignements sur les relations qu'il entretenait avec son environnement. Ce doit être l'occasion d'une clarification entre l'Afghanistan et le Pakistan.