Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a entendu une communication de M. Pierre Fauchon, rapporteur, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen (E 4863).
Présentant le contexte dans lequel intervient le texte européen, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a précisé que, en principe, le droit des successions relève de la loi nationale, mais que la situation est rendue plus complexe lorsque la succession a un caractère transfrontalier, car il faut alors déterminer le juge compétent et la loi applicable à la succession. La Commission européenne évalue ainsi à 450 000 le nombre de successions ouvertes chaque année dans l'Union européenne qui présentent un caractère international.
Constatant l'absence d'harmonisation communautaire sur le sujet, il a relevé que, de ce fait, les lois nationales applicables peuvent, pour une même succession, entrer en concurrence les unes avec les autres. Il a indiqué que le droit français prévoit, pour sa part, que le juge applique deux lois différentes (régime dit « scissionniste ») en cas de succession transfrontalière, l'une pour les meubles, l'autre pour les immeubles, ce qui met à mal le caractère universel ou unitaire de la masse successorale.
a exposé la proposition de règlement en soulignant qu'elle vise justement à harmoniser les règles applicables pour déterminer la loi applicable et le juge compétent pour les successions transfrontalières et qu'elle doit être soumise à la procédure de codécision, la Commission européenne ayant estimé que le droit des successions relève du droit des biens plus que du droit de la famille, ce qui correspond d'ailleurs à l'interprétation retenue dans le code civil français.
L'harmonisation proposée par le texte examiné retient trois principes :
- les juridictions compétentes pour se prononcer sur la succession seraient les juridictions de l'État membre de la dernière résidence habituelle du défunt, ce qui correspond à la règle la plus répandue au sein de l'Union européenne ;
- la loi applicable à l'ensemble de la succession serait celle de la dernière résidence habituelle du défunt, sauf si le testateur a expressément indiqué dans son testament qu'il souhaite que sa loi nationale soit appliquée à la succession. M. Pierre Fauchon, rapporteur a considéré que, relevant d'une appréciation factuelle, la notion de « résidence habituelle » autorise un meilleur contrôle des fraudes éventuelles que celle de « domicile » et traduit plus exactement la réalité de l'installation du défunt dans le pays concerné. Il a en outre attiré l'attention de ses collègues sur le fait que si la proposition de règlement prévoit que la juridiction compétente puisse refuser d'appliquer une disposition contraire à son ordre public, elle exclut cependant de manière explicite qu'une différence dans les règles applicables en matière de réserve héréditaire puisse justifier d'écarter l'application de la disposition considérée comme contraire à l'ordre public de la juridiction compétente ;
- la reconnaissance et la force exécutoire seraient garanties dans tous les États membres pour les décisions rendues par les juridictions compétentes en matière de successions transfrontalières et les actes authentiques dûment établis. M. Pierre Fauchon, rapporteur, a à cet égard souligné l'intérêt que présentait la création du certificat successoral européen, qui permettra aux héritiers, aux légataires ou aux exécuteurs testamentaires de prouver leur qualité dans tous les États membres.
Saluant le progrès que constituerait l'adoption de la proposition de règlement pour l'harmonisation et la simplification des règles relatives aux successions transfrontalières, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a considéré que l'abandon du système « scissionniste » français est tout à fait souhaitable et correspond à la demande des praticiens qu'il a entendus. En outre, il a estimé que le choix, pour la loi applicable, de la loi du pays où le défunt a fixé sa dernière résidence habituelle, est conforme aux principes du droit français des successions, l'option exercée, le cas échéant, par le testateur pour sa seule loi nationale apparaissant comme un tempérament légitime au principe retenu, qui évite tout risque de « forum shopping ».
Cependant, il a souhaité attirer l'attention de la commission sur le risque de remise en cause du mécanisme de la réserve héréditaire que porte en germe la proposition de règlement. Rappelant que la très grande majorité des pays européens connaissent un tel système qui interdit au testateur de disposer librement de la totalité de sa succession, il a indiqué que certains, comme le Royaume-Uni, consacrent l'entière liberté testamentaire, ce qui pourrait, dans le cadre du texte examiné, permettre à un Français, par le jeu des principes qu'il pose, d'échapper à la contrainte de la réserve héréditaire et de déshériter en droit ses enfants : il lui suffirait en effet de fixer sa résidence en Grande-Bretagne et de rédiger un testament réglant sa succession qui écarte ses enfants. À son décès, le juge compétent serait le juge anglais et la loi applicable, la loi anglaise, qui reconnaît son entière liberté testamentaire et ne prévoit pas de mécanisme de réserve héréditaire s'imposant aux dispositions testamentaires.
Or, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a jugé qu'une telle possibilité pour un Français d'échapper à l'exigence de la réserve héréditaire ne saurait être acceptée, compte tenu de l'importance, tant historique que symbolique, que revêt cette règle dans le droit français de la famille. Il a à cet égard fait valoir qu'elle trouve son origine dans le droit romain comme dans le droit coutumier, et qu'elle a été reprise dans l'ancien droit, réaffirmée par le droit révolutionnaire puis transposée dans le code civil. Plus récemment, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2008 portant réforme des successions et des libéralités l'a maintenue au bénéfice des descendants et du conjoint survivant.
a estimé que la réserve était la traduction juridique d'un devoir moral, qui s'impose aux parents à compter du jour où ils le deviennent et qui leur interdit d'abandonner à leur sort leurs enfants, quand bien même une nouvelle vie s'ouvrirait à eux qui leur ferait préférer les enfants d'un second lit à ceux qu'ils ont eus d'un premier. Sur ce dernier point, il a noté que la prolongation de la vie et la multiplication des unions accroissent la probabilité de telles situations.
Rendant compte des auditions auxquelles il a procédé, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a indiqué que l'Union nationale des familles de France est hostile à la remise en cause de la réserve héréditaire et a souhaité souligner les difficultés que peuvent rencontrer, dans le cas d'une succession, les enfants handicapés. Les notaires n'ont pas marqué leur opposition à la remise en cause de la réserve, estimant que d'ores et déjà, pratiquement, le mécanisme de l'assurance-vie permet de la contourner. M. Pierre Fauchon, rapporteur, s'est dit étonné de la position adoptée par la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la justice qui a jugé que, compte tenu du très faible nombre de cas dans lesquels une fraude à la réserve héréditaire pourrait se produire, il n'y avait pas lieu de remettre en cause, pour ce seul motif, l'accord proposé.
Considérant, au contraire, qu'il s'agissait là d'une question de principe, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a engagé ses collègues à adopter une proposition de résolution européenne invitant le Gouvernement à faire en sorte que la proposition de règlement communautaire soit amendée afin de faire obstacle à ce qu'un Français puisse échapper aux règles de la réserve héréditaire. Il a estimé qu'une telle position devrait pouvoir rencontrer un écho favorable auprès de la très grande majorité des partenaires européens de la France qui connaissent un mécanisme équivalent à celui de la réserve héréditaire. De plus, elle n'impose de modifier le texte présenté par la Commission européenne que de manière marginale, dans la stricte mesure nécessaire à la protection de la réserve héréditaire, sans remettre en cause les principes établis par l'accord envisagé.