Intervention de Pierre Boissier

Mission commune d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle — Réunion du 28 mars 2007 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Boissier directeur général de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes afpa

Pierre Boissier, directeur général de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes :

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la mission d'information a d'abord procédé à l'audition de M. Pierre Boissier, directeur général de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).

après avoir rappelé le rôle central de l'Afpa dans la formation des demandeurs d'emploi et dans la mise en oeuvre de la décentralisation des moyens consacrés par l'Etat à cette politique, a mentionné cinq pistes d'évolution : permettre à chacun de prendre en main l'acquisition et la maintenance de ses compétences dans une logique de responsabilisation ; consolider les capacités d'évolution des salariés face à la mobilité professionnelle ; améliorer l'orientation initiale et continue ; faciliter l'accès à la formation des moins qualifiés ; optimiser l'usage des fonds consacrés à la formation.

Il a ensuite évoqué les difficultés qui limitent l'accès individuel à la qualification, en insistant sur l'existence, à cet égard, d'un clivage entre les salariés et les demandeurs d'emploi. En ce qui concerne les salariés, l'accord national interprofessionnel (ANI) du 20 septembre 2003 a institué un certain nombre d'outils connaissant une montée en charge régulière : le contrat de professionnalisation démarre bien depuis deux ans et le droit individuel à la formation (DIF) commence à se lancer. Il n'est pas opportun de bouleverser ce volet de la politique de formation, la principale question posée à l'heure actuelle étant la transférabilité du droit individuel à la formation (DIF). En ce qui concerne les demandeurs d'emploi, de vrais sujets restent à traiter.

Les lois de décentralisation définissent le champ de compétence transféré aux régions, tout en laissant ouverte la question de l'organisation du dispositif. L'accès à la formation des demandeurs d'emploi est alors fragilisé par la faiblesse du système d'orientation, par l'insuffisante connaissance des qualifications, par la saturation de certaines offres de formation, telles que celle de plombier ou de chauffagiste. De même, le choix des outils mobilisés est aléatoire : un jeune va entrer en contrat de professionnalisation ou en stage qualifiant en fonction de l'interlocuteur qu'il aura rencontré. S'il s'agit d'un organisme de formation ou d'un organisme d'information dépendant des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), le contrat de professionnalisation lui sera proposé. La mission locale lui proposera plutôt un stage qualifiant. Le financement des frais pédagogiques est tout aussi aléatoire : le demandeur d'emploi indemnisé est pris en charge par l'assurance chômage ou par les conseils régionaux. Moins de la moitié des bénéficiaires de l'allocation d'aide au retour à l'emploi formation (Aref) sont pris en charge par l'assurance chômage, dont la totalité des crédits disponibles ne sont pas dépensés. En ce qui concerne la relation entre les conseils régionaux et l'Etat, l'allocation de fin de formation est restée de la compétence de l'Etat, alors que les autres dispositifs de formation ont été transférés aux régions. De même, l'Etat a gardé la compétence sur la formation des handicapés, alors que la loi sur le handicap prévoit qu'un handicapé doit avoir accès à tout stage, ce qui comprend les stages des conseils régionaux.

L'hébergement est tout aussi aléatoire : les stagiaires de l'Afpa, hébergés gratuitement sur financement des conseils régionaux, font figure de privilégiés en la matière, or l'accès à l'hébergement est de plus en plus une condition de l'accès à la formation. Certaines personnes peuvent mobiliser l'aide personnalisée au logement (APL), d'autres ne le peuvent pas en raison de problèmes de double résidence, d'autres peuvent bénéficier de l'allocation de logement social.

Par ailleurs, les conseils régionaux ne peuvent pas tout résoudre. De nombreux sujets sont partagés entre plusieurs intervenants : l'Etat conserve des compétences résiduelles dans le champ de la formation ; plusieurs financeurs interviennent en matière de prise en charge de la rémunération, que ce soit le conseil régional, l'assurance chômage, le conseil général pour le RMI ; la prescription de formation appartient essentiellement à l'ANPE et à ses cotraitants, mais il faut que les conseils régionaux valident cette prescription pour que les intéressés accèdent aux stages financés par la région.

La question de l'interrégionalité se pose aussi. Le marché de l'emploi et certaines formations sont interrégionaux. Comme l'illustre le secteur des travaux publics, qui compte sept grands centres de formation continue, il faut que la région d'implantation ait la capacité d'entretenir le centre implanté sur son territoire, ce qui représente un investissement très lourd.

Le cadre juridique de l'achat des prestations de formation est un autre facteur d'incertitude. Deux régions ont décidé de recourir à la subvention après 2009. Parmi les différentes solutions envisageables - marchés publics, subventions, délégations de service public - la délégation de service public est peut-être la formule la moins aléatoire.

a ensuite évoqué trois pistes.

La première concerne les qualifications. Le choix de la filière professionnelle, a-t-il indiqué, est fondamental pour ne pas casser la dynamique de formation des personnes. Ce choix est particulièrement crucial dans l'hypothèse des formations de requalification (il s'agit par exemple de la reconversion en plaquistes ou en maçons, d'ouvriers travaillant sur des presses hydrauliques dans l'industrie automobile), qui impliquent un parcours de formation long et coûteux. La solution est à rechercher du côté du lien à consolider entre le besoin d'emploi et le référentiel de qualification. La question des qualifications, généralement peu évoquée, est en effet essentielle, et une démarche dynamique sur ce dossier permettrait d'améliorer l'orientation initiale. En la matière, les Pays-Bas possèdent un dispositif très intéressant de gestion nationale des référentiels de qualification aussi bien pour l'enseignement professionnel initial que pour l'enseignement continu. Un organisme tripartite groupant l'Etat, les salariés et le patronat élabore des référentiels de qualification reconnus par tous, en fonction desquels les organismes de formation, initiale et continue, élaborent leurs titres et diplômes. La connaissance de l'emploi est ainsi très bien assurée. En France, les responsabilités sont éclatées entre l'Education nationale, les ministères et les branches (certificats de qualification professionnelle). En s'inspirant de ce qui existe aux Pays-Bas, il serait souhaitable d'unifier les référentiels sous l'autorité d'un organisme national tripartite, la labellisation de l'offre de qualification et la reconnaissance des diplômes et titres étant conditionnées par le respect de ces référentiels. Il serait aussi souhaitable de confier à ce même organisme la diffusion de l'information sur les qualifications auprès des réseaux d'accueil, d'information et d'orientation.

Par ailleurs, il convient de tenir compte de la nature des prestations d'orientation au regard de la question des qualifications. A cet égard, le dispositif d'accès à la qualification comprend deux étapes. En premier lieu, l'orientation généraliste consiste à identifier l'existence d'un besoin de qualification. Les services d'orientation professionnelle de l'Afpa connaissent bien les qualifications des métiers et les processus pédagogiques qui permettent de les acquérir. Intervient ensuite un travail de vérification de pertinence du projet de formation, travail de spécialiste engagé sur prescription du généraliste. Ensuite, la personne peut entrer en formation. Le sas intermédiaire est très important, dans la mesure où il « sécurise » le projet de formation et les financements publics induits.

Le niveau généraliste implique les centres d'information et d'orientation (CIO), la mission locale, l'agence nationale pour l'emploi (ANPE), les maisons de l'emploi, les maisons de l'information sur la formation et l'emploi (MIFE). Le niveau spécialisé comprend un bilan et un projet. Il s'agit, d'une part, du bilan de compétences, évaluant plutôt l'acquis, qui mobilise en particulier les centres interinstitutionnels de bilans de compétences (CIBC). Il s'agit, d'autre part, de la construction du projet de qualification, tournée vers l'évolution professionnelle, effectuée par exemple par les services d'orientation professionnelle (SOP) de l'Afpa. Les taux d'insertion dans l'emploi des personnes passées par ce type de service à l'Afpa ou dans les centres de rééducation professionnelle (CRP) sont supérieurs de dix points, après huit mois, par rapport aux taux moyens du marché pour les mêmes types de populations. Ceci est un élément important de sécurisation des parcours de formation.

La deuxième piste intéresse la responsabilisation des individus. M. Pierre Boissier a indiqué à cet égard que les demandeurs d'emploi en formation, « prisonniers » d'un système cloisonné et complexe, avaient une attitude passive. Il serait intéressant de leur étendre l'approche centrée sur la notion de droit individuel mise en place par l'ANI. Il y a deux obstacles à cette transposition : si le droit individuel est constitué par capitalisation de montants horaires, à l'instar du DIF de vingt heures, il ne peut répondre aux situations de rupture professionnelle nécessitant des actions lourdes, dans la mesure où un parcours de requalification lourd s'élève à mille heures ; dans le cas contraire, le coût collectif est exorbitant, d'autant plus que se pose la question du financement des droits des primo demandeurs d'emploi. Il est préférable de viser un mécanisme limité aux ruptures de carrières, et donc à la requalification, avec une approche de type assurance. Ce droit, virtuel, ne serait mobilisé qu'en cas de rupture professionnelle. L'idée est d'ouvrir un « compte qualification » lors d'une première inscription à l'assurance chômage ou en cas de sortie sans qualification du système scolaire.

Le fait que l'élément moteur de la réussite ou de l'échec soit le degré de motivation des personnes plaide en faveur d'un tel dispositif. La possibilité de se situer dans une logique de droit individuel serait en effet un élément de motivation. En outre, le système serait ainsi décloisonné.

En ce qui concerne le financement des frais pédagogiques, on peut imaginer un droit alimenté par la transférabilité du montant de DIF acquis à la date du chômage et (à condition que le projet de qualification ou de reconversion soit validé par le réseau ANPE/cotraitants/Afpa) par l'assurance chômage pour les chômeurs indemnisés en stage, par les conseils régionaux pour les non indemnisés en stage (notamment les primo arrivants sur le marché de l'emploi non qualifiés), par les OPCA pour les bénéficiaires de contrats de professionnalisation.

Ainsi, le projet de qualification primerait. Le compte individuel serait abondé à hauteur du besoin identifié. En ce qui concerne le financement de la formation, le statut - salarié en alternance, chômeur stagiaire indemnisé ou non - déterminerait toujours l'origine du financement, mais serait transparent pour l'utilisateur, qui aurait conscience, en revanche, du coût de sa formation. La rémunération de la personne formée resterait directement liée à son statut.

La dernière piste concerne le pilotage et la gouvernance. M. Pierre Boissier a indiqué que tout système de compte individuel nécessitait la maîtrise financière et impliquait un contrôle de qualité. En effet, une relation inégale existe dans cette activité entre l'offreur et le consommateur de formation. De plus, les choix de qualifications ont de lourdes conséquences en matière économique sur l'évolution des territoires, et les coûts collectifs résultant de ces choix sont considérables. Il faut donc absolument que le marché de la formation continue et qualifiante soit organisé. Il est possible d'imaginer à cet effet un dispositif à deux étages. Le premier étage consisterait en un ou plusieurs « agréments formation régionaux » permettant aux conseils régionaux ou aux associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic) de labelliser, en fonction des besoins identifiés dans le plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF), une offre qualifiante d'intérêt général permettant la mise en oeuvre du « droit individuel ». Une commission nationale définirait et contrôlerait l'application des critères de l'intérêt général et les critères d'octroi de la labellisation afin de garantir que l'organisation du marché est compatible avec les règles concurrentielles européennes.

En ce qui concerne la gouvernance globale, c'est-à-dire l'organisation du tripartisme entre l'Etat, la région et les partenaires sociaux, le besoin d'une cohérence territoriale est essentiel. Ceci concerne par exemple le choix entre, d'une part, les contrats de professionnalisation, qui dépendent des OPCA, d'autre part, les stages, qui dépendent des régions ; l'articulation entre la prescription de formation par l'ANPE et son financement par l'assurance chômage ou le conseil régional ; l'articulation entre les financements mis en oeuvre et les PRDF. Le lieu de cette mise en cohérence est la région. Le besoin en est de plus en plus vivement ressenti, comme la mise en place des conférences de financeurs ou des groupements d'intérêt public (Gip) par de nombreuses régions. Il faut reconnaître le rôle de pilotage du conseil régional. Il faut aussi renforcer la légitimité des partenaires sociaux au plan régional.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion