Le pôle religions est une petite structure composée de seulement trois personnes. Ce pôle, rattaché à la direction de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes, a été créé en juin 2009 à la suite des réflexions engagées lors de l'élaboration du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, rédigé sous la direction de MM. Alain Juppé et Louis Schweitzer. Cette création a été encouragée par le Président de la République et appuyée par le ministre des affaires étrangères et européennes.
Au terme de cette première année d'activité, je relève que le pôle remplit trois missions principales. Tout d'abord, observer le fait religieux dans sa globalité et transmettre les informations requises par les directions géographiques du ministère. Ensuite, aider ces directions dans leur analyse de celles des crises que nos analyses peuvent éclairer. Enfin, nous serons appelés à contribuer à la formation des futurs diplomates dans le cadre de l'Institut diplomatique et consulaire récemment créé.
Nous nous attachons donc à étudier les principaux débats qui traversent toutes les religions et non pas simplement l'islam, contrairement à ce que laissaient entendre certains commentaires émis lors de la création du pôle. Le monde des religions que nous observons comporte, en effet, de multiples aspects ; ainsi, nos dernières études portent sur la croissance du mouvement évangélique dans le monde, ou le rapprochement entre l'église orthodoxe russe et les instances politiques du pays. On relève que l'enseignement du catéchisme est désormais obligatoire dans 16 des 26 provinces russes, ce qui illustre l'appui de cette Eglise à un nationalisme de plus en plus affirmé.
L'étude de l'hindouisme permet de constater un phénomène analogue d'appui au nationalisme indien. Le bouddhisme incarne un esprit de résistance dans un certain nombre de pays comme le Tibet, par exemple. L'islam est traversé par de multiples courants dont l'impact politique doit être précisément évalué, tout comme le catholicisme. Notre rôle consiste à tirer de ces observations des enseignements pour les orientations de la politique étrangère de la France. Pour donner des exemples concrets, nous nous sommes ainsi attachés, depuis notre création, à étudier les conséquences du discours du Président Obama prononcé au Caire le 4 juin 2009 sur la place de l'islam dans le monde, à envisager le rôle des Eglises chrétiennes dans la possible résolution de la crise politique à Madagascar ou, encore, les différentes tendances à l'oeuvre au sein du chiisme iranien, qui ont été réactivées par la crise qui a suivi la réélection contestée du Président Ahmadinejad.
Notre deuxième fonction est plus opérationnelle et vise à répondre aux demandes des directions géographiques du ministère pour les éclairer sur la dimension religieuse de certaines crises. Cela a été, par exemple, le cas lors de l'expulsion du Maroc de ressortissants français de confession évangélique, lors de la récente guerre civile qui a opposé, au Sri Lanka, les tamouls aux cingalais ou, encore, lors des violences musulmans et chrétiens en Malaisie et des persécutions à l'encontre de la minorité ahmadie et des chrétiens au Pakistan.
Nous suivons de près les réunions, à Genève, du Conseil des droits de l'Homme, marquées par un débat récurrent sur l'opportunité d'adjoindre la notion de « diffamation des religions » aux normes complémentaires en préparations sur les « formes contemporaines de racisme ». Sur ces sujets sensibles, nous nous efforçons d'apporter des éclaircissements concernant la compatibilité entre une organisation des religions et du fait religieux d'une part et le caractère universel des droits de l'homme d'autre part, de même que sur la place et les libertés accordées, dans des « pays sensibles », à certaines catégories de croyants ou aux non-croyants, sachant que, dans nombre d'entre eux, l'apostasie ou le blasphème sont réprimés par la peine de mort.
Le projet de loi qui sera prochainement soumis au Parlement français sur la prohibition de la dissimulation du visage dans l'espace public nous a conduits à tenter de prévoir les réactions qu'il susciterait dans certains de ces pays. Nous rédigeons un rapport bimensuel relatant les réactions qui y sont observées dans la presse, ou recueillies par nos postes diplomatiques, et nous nous attachons à affiner un argumentaire que nous avons établi clarifiant les orientations du projet de loi, argumentaire adapté au contexte de chacun des États les plus intéressés par notre débat.
Nous suivons également les questions posées par le traité conclu entre la France et le Saint Siège en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes, dont les dispositions font l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat, ou encore la question des chrétiens d'Orient dans la perspective du synode qui se tiendra à Rome en octobre 2010.
Notre dernière mission, celle de la formation des diplomates au fait religieux, ne sera pas la moindre, car la conception française de la laïcité a trop éloigné les agents diplomatiques de la connaissance du fait religieux, à la différence de diplomates issus de pays aux traditions différentes, comme les Etats-Unis, le Canada ou la Suisse, par exemple. Ceux-ci ont, en effet, une connaissance plus fine du fait religieux, et sont donc mieux armés pour faire avancer la résolution de certains conflits. Le cas le plus emblématique est celui des troubles récurrents qui agitent la Bosnie, où la religion sert de prétexte à une mobilisation politique. Mais pas seulement. Nombre de conflits mêlent religion et politique.
Comme je l'ai signalé, nos moyens humains sont limités et le contexte budgétaire actuel ne nous permet pas d'espérer les accroitre ; nous nous appuyons donc sur les contributions de la communauté scientifique française, en France ou à l'étranger, grâce au relais fourni par les instituts français et les grandes écoles comme Sciences-Po ou l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
Nous avons ainsi récemment mis en place un séminaire organisé conjointement avec l'Institut d'études politiques de Paris et le CERI (Centre d'étude des relations internationales), consacré aux religions dans la mondialisation qui s'articulait sur trois thématiques principales : la religion dans les conflits, la laïcité et son avenir en Europe et les nouvelles questions religieuses qui montent à la vie internationale.
A cette occasion, ont été évoquées la crise consécutive à la publication, dans les journaux danois, des caricatures de Mahomet, comme celle qui a suivi la décision de la Cour européenne des Droits de l'Homme d'interdire la présence de crucifix dans les écoles italiennes : la Cour, saisie par une requérante finlandaise résidant en Italie, a considéré que ce signe religieux n'y avait pas sa place, ce qui a suscité une vive réaction de la classe politique italienne toutes tendances confondues et a conduit le ministre des affaires étrangères, Franco Frattini, à interjeter appel devant la Cour. Cet appel, dans une affaire désormais connue comme l'affaire du crucifix laïc, est fondé sur la notion que le crucifix n'est pas seulement un signe religieux mais également un symbole culturel inséparable de l'histoire et l'identité nationales.
Le séminaire a également évoqué l'organisation de l'islam européen et la question de la formation des imams.
Par ailleurs, mes collaborateurs ou moi-même avons participé aux travaux de l'Alliance des civilisations dont l'Organisation des Nations unies est à l'origine, sur le dialogue des civilisations, qui comporte une composante religieuse évidente. Nous récusons cependant formellement leur approche d'un conflit entre l'Europe et l'Islam.
Nous nous attachons à élaborer un langage conforme à la tradition laïque française, qui souligne que cette laïcité, qui constitue une exception mal comprise dans le monde et fournit un modèle d'intégration républicain et non d'exclusion. Elle apporte donc un élément de pacification au sein de notre société. Le pôle ne participe pas au dialogue des religions qui doit se faire entre religieux et qui relève de la théologie.
J'ai, moi-même, participé aux débats organisés au Qatar, dans le cadre du « Centre pour le dialogue interreligieux et la paix » sur les religions et la mondialisation. J'ai constaté, à cette occasion, le caractère récurrent des questions adressées à la délégation française sur l'opportunité de légiférer sur la burqa, et j'ai relevé que l'argument fondé sur la sécurité était plus facilement reçu, dans les pays du Golfe, que ceux évoquant à la dignité et l'égalité de la femme. Cette mise en cause de l'initiative française doit se voir opposer un argumentaire fondé sur notre modèle républicain d'intégration, qui récuse tout communautarisme.