Intervention de Pierre Lellouche

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 juin 2010 : 2ème réunion
Service européen pour l'action extérieure et la politique de sécurité et de défense commune — Audition de M. Pierre Lellouche secrétaire d'etat chargé des affaires européennes

Pierre Lellouche, secrétaire d'État :

Je suis très honoré et particulièrement heureux d'être parmi vous cet après-midi. Comme vous l'avez souhaité, j'aborderai au cours de cette audition la mise en place du Service européen d'Action extérieure puis la Politique de sécurité et de défense commune.

D'abord, pour ce qui est du Service européen pour l'Action extérieure, la résolution que le Sénat a adoptée en mai dernier sur le rapport du président Josselin de Rohan montre l'importance que votre Commission attache à juste titre au sujet. Votre résolution a été élaborée peu après le compromis trouvé par le Conseil, le 26 avril. A la suite, les discussions ont été engagées avec le Parlement européen. Disons d'emblée que ces négociations ont été difficiles. J'y ai pris ma part, en rencontrant les députés européens impliqués sur le sujet. Elles ont néanmoins abouti à un accord politique, que la Présidence espagnole a présenté ce matin même au Coreper.

Avant d'en venir à ce compromis, je voudrais revenir sur les principaux temps forts de la négociation qui vient de se clore.

Vous le savez, et votre résolution le rappelle justement, le Service européen pour l'Action extérieure est l'une des innovations les plus importantes du Traité de Lisbonne. Nous avons soutenu d'emblée une vision ambitieuse du nouveau service, conforme à l'entière et rigoureuse mise en oeuvre du Traité de Lisbonne, car nous y voyons l'instrument privilégié d'une action extérieure plus forte, plus cohérente et plus efficace. Cette innovation, liée à la nouvelle fonction de Haut représentant, répond en effet à la conception qui est la nôtre d'une Europe politique, capable, en tant que telle, d'agir sur la scène internationale. Il s'agit de disposer d'un instrument commun de politique étrangère, non de créer un 28ème service diplomatique, à côté des 27 diplomaties des Etats membres.

Aussi avons-nous toujours défendu les points essentiels suivants :

- un service à compétence universelle, avec un périmètre large et la capacité à assurer une authentique cohérence de l'action extérieure de l'Union européenne, en incluant l'ensemble du spectre des instruments contribuant aux relations extérieures de l'Union et des structures concernées du Secrétariat général du Conseil (DG E, CMPD, CPCC, EMUE, SitCen) et de la Commission (DG Relex mais aussi les directions géographiques de la DG Développement, en charge notamment des relations avec les pays africains) ;

- une autorité pleine et entière du Haut représentant sur le service et ses personnels, comme sur les nouvelles délégations de l'Union en pays tiers et auprès des organisations internationales, y compris en termes de désignation. Vous voudrez bien vous souvenir que j'avais protesté en début d'année, y compris en écrivant à Mme Ashton, contre la procédure retenue par M. Barroso pour désigner son ancien chef de cabinet, M. Almeida, à Washington ;

- un service autonome, administrativement et financièrement, à équidistance du Conseil et de la Commission, le respect du principe d'égalité de traitement entre personnels des différentes origines du service et une représentation équilibrée des trois catégories de personnels (SGC, Commission, Etats membres) avec une présence des personnels issus des services diplomatiques nationaux au niveau administrateur à hauteur au moins d'un tiers des effectifs de ce niveau, y compris dans les délégations de l'Union européenne. J'avais publiquement rappelé notre attachement à cet objectif dans une déclaration commune avec mon homologue italien le 7 avril dernier ;

- une organisation qui doit assurer un fonctionnement efficace de la nouvelle structure avec, à sa tête, un secrétaire général assisté de deux adjoints ;

- un rôle fort du Service européen d'Action extérieure dans la programmation stratégique de tous les instruments financiers, y compris dans le domaine du développement, dans un souci de cohérence d'ensemble et pour permettre au Service européen d'Action extérieure de disposer d'un levier décisif de l'action extérieure de l'Union européenne ;

- le respect enfin de la spécificité de la Politique étrangère et de sécurité commune et de la Politique de sécurité et de défense commune et des structures qui en ont la charge (CMPD, CPCC, Etat-major) qu'il s'agisse de leurs fonctions, de leur organisation, de leur recrutement, de leur composition et des chaînes de commandement, sous l'autorité et la responsabilité directes de Mme Ashton en sa qualité de Haut représentant.

Dans la discussion, nous avons donc veillé à l'ensemble de ces points et, de fait, nous avons très largement obtenu satisfaction, dans le rapport du Conseil européen des 29-30 octobre 2009 qui traçait les lignes directrices pour la création du Service, comme dans l'accord politique dégagé sur cette base par le Conseil (Affaires générales) du 26 avril dernier sur l'organisation et le fonctionnement du Service européen pour l'Action extérieure.

Le texte agréé le 26 avril était certes un compromis entre le Conseil, les Etats membres et la Commission qui s'est attachée à préserver ses prérogatives, mais ce compromis était à nos yeux satisfaisant :

- l'architecture générale du service assurait l'autonomie fonctionnelle et budgétaire du Service (équidistance), le respect de la spécificité des structures en charge de la PSDC, l'intégration dans le service des délégations de l'Union, sur lesquelles le Haut représentant exercerait sa pleine autorité ;

- l'autorité du Haut représentant était préservée. Malgré des débats difficiles, le texte a donné au Haut représentant les bases nécessaires pour exercer son rôle de coordination sur les commissaires de la famille Relex,

- le Haut représentant se voyait confier la responsabilité de fixer l'orientation politique et stratégique en ce qui concerne les instruments financiers (l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme (IEDDH), l'Instrument de coopération avec les pays industrialisés (ICI), l'Instrument de coopération pour la sécurité nucléaire (ICSN), l'Instrument de coopération au développement (ICD), le Fonds européen de développement (FED), l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP)). Pour ces trois derniers instruments, le SEAE devait travailler également avec les commissaires responsables, ce qui permettait d'assurer une plus grande cohérence encore de l'action extérieure de l'Union européenne.

La discussion fut difficile avec la Commission, qui entendait préserver son contrôle et l'application de ses propres procédures.

Comme nous l'avions souhaité, le compromis réservait également la possibilité pour les délégations en pays tiers d'exercer un rôle d'appui dans le domaine de la protection consulaire sans coût budgétaire supplémentaire ;

- un compromis acceptable avait enfin été trouvé en ce qui concerne la procédure de nomination des chefs de délégations de l'Union européenne, dont la décision finale appartenait au seul Haut représentant.

J'avais moi-même veillé à rappeler nos attentes et lignes rouges avant ce compromis en abordant cette question en détail avec Mme Catherine Ashton, la Haute Représentante pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (HR), lors de sa visite à Paris, le 16 avril, au cours de laquelle elle avait été reçue par le président de la République.

Depuis, et sur la base de cette orientation générale retenue le 26 avril dernier au Conseil, une concertation s'est engagée le 10 mai avec le Parlement européen dans le cadre d'un quadrilogue qui a réuni Mme Ashton, M. Moratinos au nom de la Présidence espagnole, le vice-président de la Commission M. Sefcovic et les rapporteurs du Parlement européen (MM. Elmar Brok, Guy Verhofstadt et Roberto Gualtieri). Elles ont sans aucun doute permis de rapprocher les positions du Parlement européen de celles du Conseil. L'idée d'une insertion du service dans la Commission a ainsi été progressivement abandonnée.

a) Je rappelle que le Traité prévoit que la décision établissant le service doit être adoptée par le Conseil, en accord avec la Commission et après avis du Parlement européen.

Nous sommes ici dans une procédure spécifique, mais le Parlement européen, comme il lui arrive de le faire, s'est appliqué à en donner une interprétation extensive. Il a d'autant plus pu le faire qu'il devait être saisi parallèlement de deux autres propositions, l'une amendant le règlement financier, l'autre le statut des personnels, dont l'adoption est nécessaire à l'installation effective du service et qui relève de la codécision. Bref, le Parlement européen a su jouer le rapport de force sur les autres éléments du paquet en codécision et non encore adoptés pour peser de tout son poids sur le projet de décision d'établissement du Service européen d'action extérieure, où il ne devait rendre pourtant qu'un avis consultatif.

b) Le Parlement européen avait ainsi, dans ses premières réflexions, développé une conception du service très communautaire et donc très différente de celle retenue par le Conseil. S'y mêlaient des enjeux institutionnels et le refus du Parlement européen de ce qu'il percevait comme une intergouvernementalisation croissante de la politique extérieure de l'Union européenne. L'un des principaux points défendus par le Parlement était ainsi l'intégration pure et simple du service dans la Commission, en termes administratifs, budgétaires et financiers. Le Parlement européen a plaidé également pour un renforcement de son contrôle politique et budgétaire sur le SEAE et une place majoritaire explicitement reconnue aux fonctionnaires européens au sein du service.

c) Vous trouvez trace de ces orientations dans les premiers documents préparés par les deux rapporteurs du Parlement, MM. Brok et Verhofstadt. A l'un et à l'autre, j'ai à plusieurs reprises eu l'occasion de dire que la voie qu'ils souhaitaient emprunter n'était pour nous clairement pas acceptable.

L'accord politique intervenu avant-hier à Madrid à l'issue de la 3ème réunion du quadrilogue, fruit du rapprochement des positions du Parlement européen de celles du Conseil, consiste en un paquet de trois éléments :

- la proposition de décision d'établissement du SEAE, intégrant les amendements du Parlement européen au compromis du Conseil ;

- un projet de déclaration du HR sur sa responsabilité politique devant le Parlement ;

- des éléments de base sur la future organisation du SEAE que le HR présentera au Parlement européen à la faveur d'une intervention en session plénière.

Globalement, l'accord du 21 juin préserve l'essentiel du compromis du 26 avril :

- Il préserve l'équilibre dégagé au Conseil s'agissant de la programmation des instruments financiers et nous avons obtenu que, contrairement aux demandes du Parlement, la spécificité des structures en charge de la PSDC soit bien respectée : le texte rappelle désormais que ces structures assistent le Haut représentant dans la mise en oeuvre de la PESC, conformément aux dispositions du Traité et donc au titre de sa seule qualité de Haut représentant.

- Les discussions ont cependant conduit à faire droit à certaines demandes du Parlement européen, concernant les modalités de son contrôle politique et budgétaire qui sont précisés dans le texte mais dans le respect des traités.

Le projet de déclaration du Haut représentant sur sa responsabilité politique formalise des pratiques s'agissant de l'information donnée au Parlement européen dans le domaine de la PESC. Il sera par exemple consulté avant le lancement de missions d'observation d'élections. Il pourra également auditionner les chefs de délégations ou les représentants spéciaux, mais seulement après leur nomination.

A la demande du Parlement, le projet de décision prévoit explicitement la désignation d'un directeur général chargé de la gestion administrative et financière : dans l'esprit du Parlement européen, il s'agit de s'assurer que le service mettra bien en oeuvre les règles financières et comptables prévues par la réglementation européenne.

Sous la réserve de confirmation de cet accord, le Parlement européen pourrait voter formellement son avis lors de la session plénière de juillet. Le Conseil pourrait alors adopter la décision formelle lors de la session Affaires générales du 26 juillet.

Tel est d'ailleurs notre souhait, afin que puissent être prises les premières mesures nécessaires à la mise en place de la nouvelle structure à l'automne et que Mme Ashton puisse procéder sans tarder aux premières nominations. La mise en place de ce service diplomatique de l'Union n'a que trop tardé.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous l'avez compris, nous sommes particulièrement vigilants sur l'architecture du Service européen d'action extérieure car elle déterminera la politique extérieure de l'Union européenne, en particulier, la politique de sécurité et de défense commune.

Mais si l'accord intervenu avant hier préserve l'essentiel de ce que nous souhaitions et représente un équilibre nécessaire compte tenu des prétentions avancées tour à tour par la Commission européenne et le Parlement européen, rien ne sera acquis avant la décision formelle créant le service voire avant son entrée en fonctions :

- les éléments contenus dans le projet de décision étant parfois contradictoires entre eux, beaucoup dépendra en réalité de la mise en oeuvre pratique qui sera assurée par Mme Ashton. La détermination du fonctionnement précis de la structure de direction du SEAE et son organigramme, éléments sur lesquels la Haute Représentante n'a toujours pas donné les précisions nécessaires, seront des éléments déterminants pour définir la nature et la bonne marche du service ;

- la situation difficile créée pour le Conseil par la pugnacité du Parlement risque de perdurer, les garanties précises nécessaires sur la nature de la position qu'adoptera le Parlement européen sur les autres éléments du paquet (au premier rang desquels le statut des fonctionnaires) ne pouvant être obtenues, dans la mesure notamment où la Commission vient seulement de transmettre le 9 juin sa proposition officielle au Conseil et au Parlement européen). Des incertitudes demeurent sur la position du parlement européen le moment venu, il sera important d'obtenir de sa part des précisions sur l'orientation qu'il entend prendre ;

- l'attitude de la Commission européenne, appelle une vigilance et un contrôle de chaque instant ;

- enfin l'option tricéphale pour le Secrétariat général qui assurera la conduite du Service européen pour l'Action extérieur n'est pas nécessairement la plus pratique pour garantir l'autorité de Mme Ashton et améliorer l'efficacité de la chaîne de commandement chaotique qui existait jusqu'à présent.

Je puis vous assurer que, pas plus que durant les derniers mois et semaines, nous ne transigerons sur le respect de nos intérêts et de nos lignes rouges dans la phase de mise en oeuvre qui va s'ouvrir, qu'il s'agisse des éléments cités plus haut ou de l'objectif d'une présence des agents issus des diplomaties nationales à hauteur au moins d'un tiers des effectifs ou de l'autonomie du Service et du principe d'équidistance, y compris en termes budgétaires. Nous devrons sans doute veiller à nous concerter avec nos principaux partenaires européens dans ce but.

Pour ce qui est de la Politique de sécurité et de défense commune, l'Europe de la défense est au coeur de notre projet pour une Europe politique. Sans capacité d'action, l'Union européenne ne pourra pas jouer le rôle international qu'elle revendique.

D'abord l'Europe a un vrai acquis en matière de Politique de Sécurité et de Défense commune.

En un peu plus de 10 ans d'existence de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), depuis St Malo et son lancement officiel à Helsinki fin 1999, le bilan n'est pas négligeable. Ce sont 23 opérations civiles et militaires qui ont été menées dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et dans l'Océan indien. Ce sont 67.000 hommes et femmes, qui ont été engagés dans ces opérations tant civiles que militaires.

S'agissant des opérations de gestion des crises, l'Europe n'a pas à rougir. Ainsi en Géorgie, à l'été 2008, grâce à l'engagement du président de la République, elle a su lancer dans des délais très brefs une opération purement européenne, la seule possible dans ces circonstances, qui a permis de stabiliser ce pays.

Dans l'Océan indien, l'opération Atalante, première opération navale de l'Union engagée pour lutter contre la piraterie, est une réussite. L'Europe joue aujourd'hui un rôle majeur pour assurer la liberté des mers dans cette zone vitale pour le commerce mondial et nos intérêts.

Je me suis rendu à Djibouti en octobre dernier, pour voir sur place les résultats de l'opération Atalante.

J'ai voulu saisir l'occasion de la visite à Djibouti des 27 ambassadeurs du Comité politique de sécurité de l'Union européenne pour les mobiliser sur la nécessité de prolonger à terre l'opération Atalante, en formant les soldats du gouvernement somalien indispensables à la survie du régime très précaire de Sheikh Sharif à Mogadiscio. Il a fallu 6 mois de travail entre les 27 Etats membres pour lancer l'opération EUTM SOMALIA (European training mission). Cette mission de formation des forces de sécurité somaliennes en Ouganda est la 24e opération de l'Union européenne.

L'Union européenne est aujourd'hui la seule organisation qui ait à sa disposition une panoplie d'outils, économiques, diplomatiques et militaires, qu'elle peut utiliser de manière combinée dans la résolution des crises. Les Européens ont démontré leur capacité à agir.

L'OTAN souhaite d'ailleurs une coopération accrue avec les capacités de l'Union. Lundi dernier, le 21 juin, le secrétaire général de l'OTAN a prôné le développement du partenariat stratégique entre l'Alliance atlantique et l'Union européenne. L'OTAN et l'Union européenne sont deux des plus importantes institutions du monde. Elles partagent 21 membres. Elles ont des compétences complémentaires. Aucune autre société stratégique offre tant d'avantages - à la fois opérationnel et financier a estimé M. Rasmussen. Le Sommet de Lisbonne en novembre prochain doit voir la rénovation du concept stratégique, et la réforme de l'organisation pour adapter l'Alliance, aux défis du XXI° siècle et la sortir de sa crise financière. Ce doit aussi être aussi l'occasion de donner à l'Europe sa juste place au sein de l'Alliance.

C'est le sens de la démarche du président de la République, qui a voulu le retour plein et entier de la France dans l'OTAN : Plus de France dans l'OTAN, c'est, en effet, plus d'Europe dans l'Alliance !.

Ceci posé, il faut rester lucide sur la réalité de l'Europe de la Défense aujourd'hui.

Les opérations de l'Union européenne sont le plus souvent des opérations à dominante civile. L'Union européenne n'a conduit que sept opérations militaires en l'espace d'une dizaine d'années. Aujourd'hui, seulement 6.500 hommes et femmes des 27 Etats membres sont engagés dans des opérations militaires européennes.

Les budgets de défense en Europe sont déjà à un niveau très bas. L'effort de défense cumulé de chaque Etat membre est de 200 milliards d'euros, soit en moyenne nationale 1,5 % du PIB. Aux Etats-Unis, le budget de la Défense est de 466 milliards d'eurps (environ 650 milliards de dollars), soit 4,7% du PIB.

Les Européens dépensent 406 euros par an et par personne pour la défense, les Américains dépensent 1 730 euros, soit 4 fois plus.

En outre la situation est contrastée entre pays européens. La plupart d'entre eux consacre à peine 1% de leur PIB à la Défense. Parmi les grands pays européens seuls la France et le Royaume-Uni sont encore au-dessus de 2%.

La situation est pire encore au plan des capacités militaires, même si l'Europe n'a pas, à l'évidence, les responsabilités mondiales qui sont aujourd'hui celles des Etats-Unis. Il n'empêche : l'Union européenne, dans son ensemble, aligne à peine 10 % des capacités militaires américaines de projection sur des théâtres extérieurs.

Enfin, la base industrielle et technologique de défense européenne est fragile. Or il n'y aura pas de défense européenne sans industrie de défense européenne.

Nous manquons aujourd'hui en Europe de grands projets en coopération, pourtant indispensables à la constitution et au maintien d'une base industrielle et technologique de défense européenne. Il n'y a plus de nouveaux programmes lancés en commun pour les années à venir. Nous sommes loin des projets européens des années 80 qui ont vu naître les programmes TIGRE, FREMM, NH 90 ou A 400M.

L'Europe n'a pas, aujourd'hui, les moyens pour être un acteur stratégique à hauteur de son poids démographique et économique.

Le domaine du spatial de défense et de sécurité est emblématique. J'ai visité l'Agence spatiale européenne avec mon homologue allemand Werner Hoyer, la semaine dernière. L'Europe dans sa totalité dépense moins de 1 milliard d''euros dans le spatial militaire, alors que les Etats-Unis lui consacrent plus de 25 milliards. Il ne s'agit pas du budget de la NASA, mais de celui du seul Département de la Défense.

Aux Etats-Unis, le Département de la Défense fait plus de spatial que la NASA. Il en est de même en Russie ou en Chine.

Il faut désormais avoir conscience, en Europe, que le spatial est indispensable à la sécurité et à la défense de l'Europe. Sans autonomie dans le domaine du spatial de défense, pas d'autonomie dans l'analyse et l'évaluation des crises, pas de prise de décision autonome ! L'Union européenne ne doit et ne peut pas dépendre d'une autre puissance.

Or en fait, une grande partie des pays européens fait reposer sa sécurité sur la défense collective.

L'OTAN est pour beaucoup le dernier cercle de capacités militaires en Europe à bas coûts. Mais cela ne pourra pas durer. Si les Européens ne s'intéressent pas à leur défense, pourquoi les Américains le feraient alors même qu'il n'y a plus, pour eux, de vrais enjeux sécuritaires en Europe. Cette prise de conscience doit se faire en Europe.

La crise va aggraver la situation. Le monde a connu en 2009 sa pire récession depuis 1945 (la production mondiale a chuté de 0,6%). En 2009, le PIB de la zone euro a diminué de 4,6%.

La crise que nous traversons est systémique et globale : elle a commencé en 2007 aux Etats-Unis avec la crise des sub-primes ; en 2008, nous sommes passés tout près de l'effondrement total du système bancaire, toujours à partir des Etats-Unis ; depuis le début de cette année 2010, nous sommes confrontés à la crise de l'Euro et cette fois, c'est l'Europe qui est prise pour cible.

Cette crise est alimentée par la défiance des investisseurs devant le niveau excessif des dettes publiques et privées et des déficits publics dans le monde occidental.

Pour sauver la zone euro, il a d'abord fallu le plan de soutien à la Grèce avec un plan de sauvetage de 110 milliards d'Euros, dont 80 milliards pris en charge par les Européens.

Puis un mécanisme de soutien européen de 750 milliards d'Euros, soit 500 milliards d'Euros mis sur la table par l'Europe - dont la moitié apportée par la France et l'Allemagne - complétés par 250 milliards d'Euros du FMI.

Dans ce contexte sans précédent les plans de réduction des déficits publics vont peser durablement sur les budgets de défense en Europe.

- Les pays d'Europe centrale et orientale ont déjà pris l'année dernière des mesures drastiques.

- Le gouvernement allemand envisage une réduction de 8,3 milliards d'euros sur quatre ans dès 2011 ; en 2014 (et sur la base du budget 2010) c'est à hauteur de 16% que le budget de la Défense serait amputé.

- L'Espagne, l'Italie et la Suède ont annoncé, sans les préciser, des mesures significatives.

- La France et le Royaume-Uni, moteurs de la défense en Europe, vont eux aussi revoir à la baisse leur effort de défense.

- La France et le Royaume-Uni pèsent 40% de l'effort de défense des 27, près de la moitié des dépenses d'investissements et les 2/3 des dépenses de recherche et technologie.

- En France, l'effort pourrait se situer entre 3 et 5 milliards d'euros sur les 3 prochaines années.

- Au Royaume-Uni, en attendant les conclusions de la Strategic Defence Review, on évoque une réduction de 25 %.

A ce stade il ne s'agit que de tendances. Il restera en particulier à préciser la part du fonctionnement et celle des investissements dans ces coupes budgétaires.

Alors que les Etats-Unis, pour l'instant, maintiennent leur effort de défense, la crise va accroitre les écarts entre les deux côtés de l'Atlantique.

Vu des Etats-Unis, l'Europe n'est plus ni un problème stratégique, ni un contributeur stratégique.

Aujourd'hui, les risques et les menaces sont ailleurs. Washington regarde vers l'Asie, le Proche-Orient. Les Etats-Unis ont retiré plus de 80% de leurs forces militaires de notre continent. Ils ne resteront pas en Europe malgré nous.

La question que l'on se pose à Washington aujourd'hui est de savoir si l'Europe est encore un allié fiable. C'est la question du président Obama lorsqu'il demande un partage du fardeau dans les structures et dans les opérations (nombre de soldats, règles d'engagement).

Lorsque M. Obama décrit un monde de partenaires multiples, a multi partner world, il nous dit que le lien transatlantique est un lien parmi d'autres, que les alliances sont modulaires et modulables. Les Européens doivent prendre en compte cette réalité.

La question posée à l'Europe est celle de son niveau d'ambition : veut-on une Union européenne cantonnée au soft power, c'est-à-dire aux opérations civiles et à la reconstruction, ou au contraire une Europe forte, acteur stratégique autonome ?

Comment l'Europe de la Défense peut-elle surmonter la crise ?

La crise peut conduire au meilleur, c'est-à-dire à un effort de convergence et un meilleur partage des tâches entre partenaires européens, ou au pire, une situation dans laquelle les réflexes nationalistes l'emportent en essayant de sauver ce qui peut l'être.

Avec le Traité de Lisbonne, l'Europe a les outils pour agir. Ce n'est pas un problème d'institutions, même si, six mois après l'entrée en vigueur de Lisbonne, il faut constater que les avancées sont timides. Les difficultés pour mettre en oeuvre le Service européen pour l'Action extérieure, qui sera la pierre angulaire institutionnelle de la Politique de sécurité et de défense européenne, ont gelé les autres chantiers.

La Présidence espagnole a lancé des travaux sur la coopération structurée permanente, prévue par le Traité en matière de PESD, mais sans avancées réelles. Nous sommes favorables à ces coopérations, mais sur des projets concrets. Le risque est de créer des bureaucraties supplémentaires.

Il faut aussi relancer politiquement les outils existants : l'agence européenne de défense, l'OCCAR, comme l'a fait le président de la République pendant la Présidence française de l'Union. Depuis on doit constater un certain immobilisme. Il manque à ces organisations une impulsion politique. C'est le rôle attendu de la Haute Représentante qui aura la main sur les outils de la Politique de sécurité et de défense commune et les outils de gestion de crise en général.

Deuxième axe de progrès : les Européens doivent passer d'une logique de concurrence à une logique de coopération.

Dans cette période de crise, un effort de coordination entre européens, est indispensable pour coordonner les restrictions et tenter de mutualiser les capacités qui peuvent l'être.

A 27 c'est sans doute illusoire, mais ce rapprochement doit pouvoir se faire au moins entre la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, les trois pays les plus importants en matière de capacités et qui représentent les 2/3 des dépenses de défense en Europe.

Sous la contrainte, et nous y sommes, les logiques purement nationales devront céder la place à des logiques de coopération. C'est la seule solution pour sauver ce qui existe de la base industrielle et technologique de défense européenne. Il faudra sans doute des compromis sur les programmes d'armement ou les capacités, mais sans sacrifier l'avenir pour le court terme.

Il existe un créneau de coopération avec les Britanniques dans les semaines à venir. Le nouveau gouvernement britannique de David Cameron souhaite travailler sur des coopérations pragmatiques dans une optique de value for money. Un processus était déjà en cours au travers de la coopération organisée par le High Level Working Group dans le domaine de la recherche et du développement.

Le nouveau gouvernement britannique a associé la France à sa revue de défense, dès la phase actuelle d'élaboration des options stratégiques qui se terminera fin juillet. L'objectif est d'explorer ensemble, en amont du processus, tous les domaines possibles de coopération (y compris dans le domaine de la dissuasion). Cet exercice commun se terminera à l'automne. Souhaitons que ces travaux trouvent des prolongements par des acquisitions communes.

Troisième axe : quelles que soient la durée et la gravité de la crise il faut conserver en Europe un coeur de capacités militaires préservant notre capacité d'engagement au côté des Etats-Unis.

La crise financière ne doit pas entraîner un décrochage technologique. L'interopérabilité des équipements et des doctrines au sein de l'Alliance est un impératif pour pouvoir agir ensemble. Interopérabilité avec les Américains, mais aussi entre européens.

Quatrième axe : préserver une base industrielle et technologique de défense en Europe garantissant un noyau dur des savoir-faire stratégiques.

Les Européens doivent s'entendre sur la nécessité de renforcer le lien entre la démarche capacitaire et la consolidation d'une industrie de défense européenne. Ce doit être un objectif stratégique commun afin d'assurer à l'Europe son autonomie et préserver l'emploi industriel et les capacités de recherche européennes.

L'Europe a des champions de taille mondiale comme EADS, BAe, MBDA, ou Thales qui prouvent que l'on peut réussir. Mais, ces groupes souffrent de l'absence d'un marché européen intra-communautaire organisé, avec une convergence des besoins opérationnels exprimés en coopération.

Il est temps de faire évoluer les règles du marché européen d'équipements de défense. Alors que l'Union européenne est aujourd'hui l'espace économique le plus ouvert au monde, ses entreprises se heurtent à des restrictions importantes, voire à des discriminations dans l'accès aux marchés publics des pays tiers. Nous attendons ainsi de nos partenaires économiques, qu'ils soient pays développés ou grands émergents, qu'ils assurent à nos entreprises le même accès à leurs marchés que celui dont leurs entreprises bénéficient à l'entrée dans l'Union européenne.

Nous attendons par ailleurs de l'Union européenne, et en particulier de la Commission, qui mène en son nom les négociations commerciales, qu'elle se dote d'une véritable stratégie commerciale à même de défendre efficacement les intérêts des entreprises européennes.

La Commission ne doit pas limiter son action au marché intra communautaire. Elle doit aussi adapter les règles pour que l'industrie de défense en Europe soit plus compétitive à l'extérieure en la protégeant face à la concurrence extérieure inéquitable en appliquant un principe de réciprocité.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la capacité de l'Europe à exister politiquement sur la scène internationale passe par la définition d'une politique étrangère commune et par l'Europe de la défense.

L'Union européenne doit porter son regard sur l'ensemble des problèmes de sécurité qui se posent, au Sud (dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée), et à l'Est, (Russie, mais aussi Ukraine et pays du Caucase : Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan).

Notre vision, précisée par le président de la République dès l'automne 2008 à Evian, c'est la création d'un espace économique et humain commun entre l'Union européenne et la Russie, ainsi qu'une nouvelle relation de sécurité paneuropéenne et transatlantique reposant sur une approche large de la sécurité, couvrant également l'Etat de droit et les droits de l'Homme et qui respecte l'acquis des organisations de sécurité européenne existantes.

J'ai eu l'occasion de m'exprimer récemment devant les 56 ambassadeurs de l'OSCE à Vienne. Je leur ai présenté les contours de ce que pourrait être cette nouvelle approche de la sécurité en Europe au XXIe siècle face aux défis auxquels nous sommes tous confrontés : terrorisme, prolifération d'armes de destruction massive, criminalité organisée. Je leur ai dit que le projet de communauté euro-atlantique et euro-asiatique est la mission historique de notre génération.

La Politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne après Lisbonne ne peut plus se limiter aux seules opérations de gestion de crise.

L'Union européenne ne doit pas craindre aujourd'hui d'aborder toutes les questions de sécurité au Conseil : défense anti-missiles, dissuasion en particulier. C'est aujourd'hui notre responsabilité. Les Européens ne peuvent plus se contenter, comme par le passé, d'être de simples consommateurs de sécurité en laissant encore les Etats-Unis via l'OTAN s'occuper de l'ensemble des aspects de la sécurité européenne.

Je vous remercie.

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