Merci Madame la présidente. Mes chers collègues, je me permettrai tout d'abord, à l'attention de nos nouveaux collègues, de rappeler brièvement l'historique des travaux me conduisant à vous présenter aujourd'hui cette communication. Cette dernière porte non pas sur l'éducation artistique à l'école, mais sur les enseignements artistiques prodigués dans les conservatoires et autres écoles de musique, théâtre et danse.
Le sujet est important tant en termes de démocratisation culturelle que de politique publiques. En effet, ce réseau a pour double mission de former les futurs professionnels et de permettre le développement des pratiques amateurs. Si seulement 3 % environ des élèves de ces établissements spécialisés font finalement de la musique, de la danse ou du théâtre leur métier, en revanche, tous les élèves concernés tirent, pour leur vie d'adulte, les bénéfices de cet apprentissage artistique. Ils y trouvent une source d'épanouissement personnel, soit en pratiquant librement leur art, soit en devenant un spectateur ou un amateur exigeant et averti.
Voilà quatre ans, notre commission m'a confié une étude sur ce sujet, compte tenu du retard pris dans la mise en oeuvre effective du volet « enseignements artistiques » de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
Cette loi a procédé à un aménagement de l'exercice des compétences des acteurs publics, selon le schéma suivant :
- les communes et leurs groupements - qui assument l'essentiel de la charge des conservatoires et écoles spécialisées - conservaient les responsabilités déjà exercées en termes d'organisation et de financement des missions d'enseignement initial et d'éducation artistique des établissements ;
- le département était chargé d'adopter un « schéma départemental de développement des enseignements artistiques », dans le souci, notamment, d'améliorer l'accès à ces enseignements ;
- la région devait organiser le cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI) dans le cadre du plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF), et d'en assurer le financement ;
- l'État continuait d'exercer ses prérogatives en matière de contrôle pédagogique des établissements et la responsabilité des établissements d'enseignement supérieur artistique.
Parallèlement, la loi avait prévu le transfert par l'État aux départements et régions des concours financiers qu'il accordait jusqu'alors aux communes ou groupements de communes pour le fonctionnement des conservatoires nationaux de région et des écoles nationales de musique, de danse et d'art dramatique.
Enfin, elle a défini les missions des établissements, avec le souhait de les élargir, pour répondre à toutes les attentes et aller de l'éveil artistique à la formation de l'amateur et du futur professionnel. Il s'agissait également de corriger les déséquilibres territoriaux et de remédier à l'insuffisante démocratisation de ces enseignements.
Parallèlement, le ministère a décidé d'une réforme pédagogique des enseignements artistiques, avec le nouveau cycle d'enseignement professionnel initial, le CEPI, sanctionné par un diplôme national (et non plus un diplôme d'établissement), ainsi qu'une révision des conditions de classement des établissements.
Le rapport que j'ai élaboré au nom de notre commission en juillet 2008 a permis d'établir un état des lieux, qui a été d'autant plus apprécié que personne n'avait entrepris un tel travail jusqu'ici. Ce rapport comportait aussi bien sûr des préconisations pour « orchestrer » une sortie de crise.
Car blocage et crise il y avait. Plusieurs raisons à cela :
- en premier lieu, j'ai dû pointer du doigt certaines carences de l'État, qui a insuffisamment accompagné la réforme et a fait preuve d'un regrettable déficit de méthodologie à l'égard des élus ;
- en second lieu, les régions - à quelques exceptions près - ont fait preuve d'attentisme, pour des raisons notamment financières au départ.
Elles ont mis en avant :
- d'une part, le manque de clarté sur les modalités du transfert des crédits de l'État, en l'absence de critères de répartition entre régions et départements ;
- d'autre part, la question du différentiel entre le coût prévisionnel de mise en place des CEPI, tel qu'évalué par les régions, et les crédits susceptibles de leur être transférés. Et la concomitance entre les transferts prévus par la loi et la fixation d'exigences plus élevées (en matière de qualification des enseignants, de structuration de la danse ou du théâtre, de diversification des disciplines...) a contribué à renforcer ces tensions... Ceci d'autant plus que l'interprétation de la réforme par certains professionnels avait suscité une inflation de projets.
En raison de cette posture d'attente des régions, le transfert des crédits de l'État (28,8 millions d'euros en 2008 ; 29,2 millions pour 2012) n'a toujours pas eu lieu.
Ce report a créé un contexte financier incertain qui a souvent freiné la dynamique engagée sur le terrain.
Cette réforme est apparue bien délicate à « orchestrer » et j'ai proposé des mesures en vue de sortir de l'» impasse » afin de ne pas laisser s'installer plus durablement un climat d'incertitude préjudiciable à notre système d'enseignement artistique.
J'ai repris ces préconisations dans une proposition de loi déposée en juillet 2009. Voici ses principaux objectifs :
- réaffirmer la mission prioritaire des établissements d'enseignement artistique : la formation des amateurs et le développement de leurs pratiques ;
- clarifier la vocation pré-professionnalisante du cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI) ;
- créer une commission régionale des enseignements artistiques, nécessaire lieu de concertation et de dialogue entre les différents niveaux de collectivités territoriales ainsi qu'avec l'État ;
- compléter le rôle des régions, d'une part en leur reconnaissant un rôle de « chef de file » au sein de cette commission et, d'autre part, en leur confiant l'établissement d'un schéma régional des cycles d'enseignement professionnel dans les domaines de la musique, de la danse et de l'art dramatique ;
- compléter le rôle de l'État en prévoyant qu'il coordonne, au plan régional ou interrégional, l'organisation des examens du diplôme national.
Enfin, le texte prévoit un transfert des crédits aux régions.
J'ai aussi posé une question orale avec débat au ministre de la culture en octobre 2009, afin qu'il exprime la position du Gouvernement sur ces préconisations.
Estimant que cette réforme ne pouvait être isolée du chantier d'ensemble de réforme des collectivités territoriales, le ministre s'est prononcé pour un examen de ma proposition de loi à l'issue de cette réforme, dont le volet répartition des compétences est cependant toujours, comme vous le savez, en suspens.
Puis les élections régionales et la loi de réforme des collectivités territoriales m'ont également contrainte à repousser la demande d'inscription du texte à l'ordre du jour de notre assemblée.
J'ai proposé de refaire le point cette année, afin de suivre l'évolution du dossier, et la pertinence d'une éventuelle inscription de ma proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat. A cette fin, et pour mesurer l'impact des expérimentations conduites dans certaines régions depuis trois ans, j'ai souhaité organiser un nouveau cycle d'auditions des différents acteurs concernés.
Je me réjouis que certains d'entre eux aient continué à s'impliquer :
- ainsi que je l'avais préconisé, l'État s'est en quelque sorte « rattrapé », en réactivant le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel et a mis en place, en son sein, un groupe de travail consacré au sujet. J'interviens d'ailleurs devant ce conseil demain matin ;
- les départements ont joué le jeu de la décentralisation, puisqu'ils ont mis en place les schémas départementaux des enseignements artistiques ;
- les communes et leurs groupements ont continué à assumer la lourde charge des conservatoires et écoles ;
- certaines régions sont exemplaires : ainsi, Poitou-Charentes, le Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes se sont fortement impliquées, dans l'esprit de la loi. Elles ont organisé un réseau efficace d'établissements pour mettre en oeuvre le CEPI.
En revanche, les autres régions ont pour la plupart fait preuve de frilosité, voire d'un repli, et le blocage de l'Association des régions de France (ARF) s'est cristallisé.
Pourtant, les expérimentations conduites dans les trois régions que j'ai citées incitent à un certain optimisme :
- La mise en place des CEPI n'entraîne pas de surcoût ou un surcoût faible, par rapport aux diplômes délivrés auparavant. Ainsi, dans la région Nord-Pas-de-Calais, le coût du CEPI musique classique est évalué à environ 7 780 euros par élève, soit un surcoût de 8 800 euros au total pour 170 élèves. En Poitou-Charentes, pour 163 élèves (dont 88 % étudiant la musique), le coût moyen d'un élève est estimé équivalent à celui des cursus antérieurs, soit 6 000 euros en moyenne (ce coût pouvant varier de 5 700 à 8 000 euros selon les établissements et les spécialités). En fait, lorsque de réels surcoûts sont observés, c'est lorsque de nouvelles missions sont développées, selon le bon vouloir des régions.
En outre, des économies d'échelle sont attendues. En effet, une organisation régionalisée révèle la vérité sur les effectifs. Ainsi les effectifs probables d'élèves en CEPI semblent avoir été surévalués, notamment dans certaines villes moyennes. Par ailleurs, dans les cursus précédents, les élèves étaient parfois inscrits dans plusieurs établissements et, par conséquent, comptés 2 fois.
En outre, si la région coordonne l'organisation du CEPI, elle peut situer judicieusement les enseignements en fonction de la réalité des effectifs. Comme l'indique la FNCC, pourquoi organiser dans une même région 6 CEPI d'un instrument rare avec des effectifs trop restreints ? Une mutualisation organisée intelligemment, dans le respect des spécificités historiques des territoires et des besoins des élèves, doit permettre un emploi pertinent de l'argent public. L'enseignement complémentaire peut être organisé de manière concertée pour permettre la circulation des élèves d'un établissement à l'autre, afin d'assurer un continuum de formation cohérent.
A l'avenir, certaines pratiques collectives pourraient être organisées en session régionale, le cas échéant avec la création d'un orchestre régional de jeunes.
Une telle approche permettrait d'éviter les risques, déjà observés, d'une inégalité de l'offre d'enseignements artistiques sur un territoire : les villes sont en effet tentées de pratiquer des discriminations tarifaires, dans la mesure où elles portent presque seules les établissements. Ceci illustre la nécessaire prise de compétence et le cofinancement des grosses structures culturelles par les intercommunalités...
Les exemples régionaux cités montrent qu'une instance régionale de dialogue, coordinatrice et organisatrice, est nécessaire, ainsi que je l'ai proposé et comme l'estiment les interlocuteurs rencontrés. Sans créer une nouvelle commission, pourquoi ne pas créer par exemple une sous-commission ad hoc au sein des COREPS (commissions régionales des professions du spectacle) ?
Autre point positif observé dans les régions pilotes : elles ont inscrit le CEPI dans le Plan régional de développement des formations (PRDF). Ceci est cohérent puisqu'il s'agit d'un cycle d'orientation et d'une préprofessionnalisation.
Je suis étonnée que les régions reconnaissant cet état de fait soient minoritaires. Pourtant, on ne peut nier que la vocation d'orientation du CEPI justifie que la région ne puisse s'en désintéresser. En outre, les régions sont les premières à souhaiter accueillir un pôle d'enseignement supérieur artistique et le CEPI s'inscrit dans la logique de ce continuum de formation que je viens d'évoquer... Les deux ne peuvent pas être déconnectés !
A cet égard, la déconnexion de facto entre réforme de la décentralisation des enseignements artistiques et organisation territoriale de l'enseignement supérieur artistique (avec la création d'une dizaine de pôles) ne facilite certes pas l'implication des acteurs concernés...
Ceci étant, force est de reconnaître la position ambigüe de l'ARF dans ce domaine.
Cette position a d'ailleurs été évolutive, puisque l'ARF a été un moment tentée de suivre l'avis des régions pilotes. Avec quelques contorsions - évidemment peu appréciées des professionnels qui ont hâte que l'on sorte de cette impasse -, l'ARF a simplement proposé que l'État transfère les crédits non pas aux régions mais aux communes gestionnaires des établissements d'enseignements artistiques. Pire qu'un statu quo, leur posture aurait conduit à un recul par rapport à la loi de 2004 et remis en cause cette démarche de décentralisation. En outre, cette vision était de courte vue : les villes concernées auraient ainsi conservé l'intégralité des charges, et ceci sans perspective de développement !
Dans ces conditions, j'ai jusqu'ici renoncé à demander l'inscription de ma proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat, en attendant que ses dispositions soient prises en considération dans une future loi sur les compétences des collectivités territoriales.
J'ai pris acte de la persistance du blocage mais j'espère que le verrou sautera prochainement, car mise à part l'ARF, ma proposition a reçu un soutien unanime des interlocuteurs que j'ai rencontrés, quel que soit le niveau de collectivité territoriale. Un récent rapport du CESE d'Île-de-France (Conseil économique, social et environnemental) l'a d'ailleurs relayée. Je compte sur l'effet « tâche d'huile » des régions pilotes et sur leur capacité à rassurer ceux qui craignaient un important surcoût lié à la réforme. Je compte sur la persévérance des professionnels, que je tiens à saluer. D'ailleurs, les régions qui s'impliquent le plus ont commencé par recruter des chargés de mission, professionnels reconnus par leurs pairs, qui ont pu jouer un précieux rôle d'impulsion. Au-delà, il appartient aux élus de se responsabiliser et de prouver que les enseignements artistiques sont réellement prioritaires à leurs yeux.
A travers cette communication, je souhaite alerter à nouveau sur l'urgence de la situation en vue de clore ce dossier par le haut.
L'enjeu est essentiel à différents niveaux :
- en termes d'aménagement culturel de nos territoires ;
- de sensibilisation des jeunes, qui sont aussi le public de demain, aux pratiques et à la création artistiques ;
- d'égalité d'accès aux formations pour les futurs professionnels et d'harmonisation des diplômes dispensés dans notre pays (je rappelle que trois régions délivrent d'ores et déjà le nouveau diplôme national).
C'est pourquoi, nous sommes dans l'ardente obligation de généraliser l'application de la loi de 2004, ce dont la majorité des régions se sont pour l'instant exonérées pour les raisons indiquées. Les inquiétudes de départ étant levées, il faut aller de l'avant.
En tout état de cause, les obstacles auxquels nous sommes confrontés dans ce domaine me semblent emblématiques des possibles écueils de la décentralisation. Nous devrions sans doute en tirer aussi des leçons pour les prochaines étapes de la décentralisation dans le domaine de la culture.
A l'occasion de l'examen de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010, de nombreuses voix se sont prononcées en faveur du maintien des compétences et des financements croisés.
Je rappelle cependant que l'ancien président de notre commission de la culture, Jacques Legendre, rapporteur pour avis de ce texte, avait souligné que le maintien des compétences partagées ne faisait pas obstacle à ce que, dans la mise en oeuvre d'un projet culturel local, une collectivité territoriale soit désignée chef de file.
Nous avions aussi soutenu la mise en oeuvre de « schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services ». Car la souplesse, que nous souhaitons tous, ne doit pas empêcher la coordination, voire la répartition des compétences.
L'exemple que j'ai ainsi approfondi montre bien les inconvénients et limites de notre « millefeuille » administratif ! Il nous faut simplifier le paysage territorial, au risque sinon de voir les citoyens subir les conséquences d'éventuelles « querelles de clocher ». Différences de sensibilités politiques des élus ou rivalités entre établissements doivent céder la place à l'intérêt général.
L'exemple consternant des enseignements artistiques milite en faveur d'une réelle clarification des responsabilités entre les différents niveaux de collectivités, chacun devant assumer ses responsabilités afin que les missions de service public soient assurées dans un souci d'équité. L'ambition doit être de porter la démocratie culturelle sur l'ensemble de nos territoires, au bénéfice de nos jeunes.
Cette clarification peut et doit, bien entendu, s'effectuer dans le respect des spécificités et de l'histoire propre de chaque territoire, surtout lorsqu'elles sont prégnantes, comme dans le domaine des enseignements artistiques.
Pour conclure, si des doutes ont pu légitimement être exprimés après l'adoption de la loi de 2004, je crois avoir démontré qu'ils n'ont plus lieu d'être aujourd'hui. La loi doit donc s'appliquer et cela se fera d'autant plus facilement que les aménagements prévus par la proposition de loi dont je suis l'auteur seront adoptés.
Certains préfèreraient certes en renvoyer l'examen à un futur texte général sur les compétences des collectivités, avec maintien des compétences croisées dans le domaine de la culture, mais ce serait dommageable de repousser au minimum à 2013 le règlement de ce dossier.