Intervention de Bertrand Barré

Mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver — Réunion du 2 mai 2007 : 1ère réunion
Audition de M. Bertrand Barré conseiller scientifique auprès de la présidente du directoire d'areva

Bertrand Barré :

A titre liminaire, M. Bertrand Barré a brièvement présenté le groupe AREVA, qui compte 60.000 collaborateurs, dont la moitié en France, recrute actuellement environ 5.000 personnes par an en raison d'investissements massifs, principalement en amont du cycle de combustion et de la relance de la prospection d'uranium, réalise un chiffre d'affaire de 5 milliards d'euros et un résultat opérationnel de 500 millions d'euros, et consacre 600 millions d'euros à la recherche et au développement. Indiquant qu'AREVA avait pour conviction que « nos sociétés ont un avenir, un avenir sans CO2 », il a estimé que le risque climatique lié à la combustion des énergies fossiles, qui représente aujourd'hui 80 % de la production énergétique mondiale, est une réalité planétaire et impose le défi d'assortir le doublement prévisible de la consommation d'énergie d'une diminution de moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES). A cette fin, il a identifié deux priorités : d'une part, une action sur la demande par l'amélioration de l'efficacité énergétique, qui présente le double avantage de pouvoir être immédiatement mise en oeuvre et de donner des résultats très importants, et, d'autre part, une action sur l'offre, par la croissance des sources non émissives de GES telles que le nucléaire et les énergies renouvelables (ENR), ainsi que, dans un avenir plus lointain, par la mise au point industrielle des techniques de capture et de stockage du CO2, dès lors que le recours au charbon et au lignite ne peut être écarté pour un grand nombre de pays. AREVA entend se situer sur le segment du nucléaire et des ENR, le nucléaire représente 70 % de l'activité du groupe, l'essentiel du solde relevant du pôle Transmission et Distribution (T&D), issu de l'absorption d'Alstom, qui fournit des systèmes et des services pour la transmission et la distribution d'électricité. La société s'engage, de manière encore discrète mais néanmoins ferme, dans le domaine des ENR : l'éolien principalement, mais aussi la biomasse et la recherche sur la pile à combustible.

Abordant ensuite la question des interconnexions, si M. Bertrand Barré les a estimées essentielles pour mutualiser les réserves et les secours entre les différents pays européens, afin de jouer sur les décalages entre leurs pics de consommation, il a relevé qu'elles constituent aussi une source potentielle de vulnérabilité globale du système. Il a jugé que la libéralisation du marché de l'énergie avait ainsi été un facteur de complication causant des surcharges de réseaux difficilement gérables pour les opérateurs, soulignant que les appels de courant d'un pays à l'autre répondent plus aux lois de la physique qu'à celles du marché. Observant par ailleurs que les exigences de voltage des réseaux sont pointues, il a rappelé l'obligation, en cas de surcharge, d'interrompre la fourniture précisément parce qu'il n'y a pas de stockage de l'électricité. A cet égard, il s'est interrogé sur la pertinence de la transformation du courant alternatif en courant continu aux connexions internationales, par l'intermédiaire de redresseurs-ondulateurs, remarquant que la Sardaigne avait été épargnée par le black-out italien de 2003 et que la Grande Bretagne n'avait pas été touchée par la panne du 4 novembre 2006, ces deux îles étant connectées au continent par un câble sous-marin en courant continu.

Puis, examinant la problématique nucléaire, M. Bertrand Barré a expliqué qu'AREVA offrait l'éventail complet des services aux électriciens souhaitant utiliser l'énergie nucléaire (mines d'uranium, enrichissement du combustible, conception et construction du réacteur, recyclage du combustible, traitement des déchets). Le groupe est le leader mondial sur l'ensemble de cette chaîne et entend le rester en ayant pour objectif d'occuper 30 % du marché, notamment en consolidant sa présence en Asie. A cet égard, il a indiqué que l'EPR, réacteur de troisième génération de 1.600 mégawatt en version de base, constituait le « vaisseau amiral » du groupe dont l'apport essentiel était le renouvellement du concept de la sûreté, tous les systèmes de sécurité étant conçus pour renforcer la protection vis-à-vis des agressions extérieures et circonscrire strictement la radioactivité dans l'hypothèse -hautement improbable- de fusion du coeur du réacteur. Il a ajouté que le groupe proposait également d'autres modèles de centrales à l'attention des clients pour qui un EPR est un outil de trop forte capacité, en particulier lorsque le réseau électrique est trop faiblement interconnecté.

En ce qui concerne l'enrichissement du combustible, il a ensuite indiqué que si l'usine Georges Besse I (GB I) d'Eurodif représente le quart du marché, sa consommation excessive d'énergie avait conduit AREVA à projeter son remplacement en 2012 par une nouvelle unité (GB II) fondée sur la centrifugation, qui permettra de réduire de cinquante fois la consommation d'électricité et, dès lors, de libérer une partie significative de la production de la centrale nucléaire du Tricastin, qui lui est actuellement dédiée aux deux tiers. S'agissant du retraitement des déchets nucléaires, il a précisé qu'AREVA en est aussi le leader mondial avec l'usine de la Hague. Il a par ailleurs expliqué que la société travaille actuellement avec le CEA sur la quatrième génération de réacteur, avec une approche-système permettant une optimisation globale de l'ensemble du cycle, dans le respect notamment de la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs.

En ce qui concerne le combustible lui-même, M. Bertrand Barré a estimé que les turbulences actuelles du marché de l'uranium témoignent d'une crise d'anticipation et d'un déphasage conjoncturel entre l'offre et la demande. Entre 1984 et 2004, les prix de marché de l'uranium ont été excessivement bas, autour de 10 dollars par livre d'oxyde d'uranium, en raison notamment de l'effondrement des projections nucléaires après le contre-choc pétrolier et la catastrophe de Tchernobyl, d'une part, et de la fin de la guerre froide, d'autre part. Ces trois circonstances ont eu pour conséquences une réduction de la demande civile et militaire et un accroissement de l'offre d'uranium, les réserves des électriciens et les stocks militaires constitués par les États-Unis et l'ancienne URSS étant remis sur le marché. Au début des années 2000, la moitié de la consommation mondiale d'uranium provenait du déstockage militaire et civil, ainsi que du retraitement, et non pas de minerai extrait. Pendant vingt ans, beaucoup de producteurs d'uranium ont disparu et le secteur a connu une forte consolidation, de nombreuses mines ont été fermées par anticipation, comme en 2001 en France, en raison de coûts d'exploitation devenus supérieurs aux prix de marché, la prospection et les explorations ayant été interrompues. Tout ceci permet d'ailleurs de penser que les chiffres actuellement disponibles sur les réserves potentielles, datant de quinze à vingt ans, sont probablement sous-estimés.

Puis M. Bertrand Barré a souligné que, beaucoup de signaux laissant entrevoir depuis 2000 un retour du nucléaire dans le monde. Le marché a connu en 2004 un retournement brutal de situation, anticipé aux États-Unis dès 1997 par des demandes de prolongation d'exploitation des centrales en activité. Soulignant que la loi « Energy policy act » de 2005 a facilité le redémarrage du nucléaire aux États-Unis après trente ans de mise en veille, si bien que l'EPR fait l'objet de demandes de pré-certification sur le marché américain, Il a fait état de la relance des efforts nucléaires au niveau mondial notamment en Asie, en Russie, avec la reprise des chantiers nucléaires en 2001, et même en Europe occidentale, dont la situation est paradoxale, puisque cette énergie y est très contestée, surtout par l'Autriche, le Danemark ou le Luxembourg, voire au plan national, en Espagne, alors qu'elle représente aujourd'hui 30 % de la production nucléaire mondiale. Il a considéré que l'ensemble de ces considérations constitue une forte anticipation au redémarrage du nucléaire, et donc à la demande de minerai, alors même que l'industrie de l'uranium n'était pas en mesure d'y répondre rapidement. Il a ainsi relevé que les énergéticiens ne vendaient plus leurs stocks d'uranium et que, depuis la brutale augmentation de la livre d'oxyde d'uranium de 10 à 30 dollars en 2004, ils avaient réactivé leurs efforts de prospection. Toutefois, il a estimé que si la récente envolée spéculative des « prix spot » sur les marchés, ayant porté la livre de produit à plus de 100 dollars, s'explique par le décalage de quinze ans entre l'exploration d'une mine et sa mise en exploitation, cette situation de pic est temporaire, observant au demeurant qu'elle ne touche qu'une faible partie des échanges réels, l'essentiel d'entre eux relevant de contrats à long terme. Du reste, il a relevé que le marché de l'uranium avait déjà connu une situation similaire d'envolée temporaire des prix après le choc pétrolier de 1974, qui avait fait prévoir un développement massif du nucléaire.

Puis, jugeant qu'au delà de ces variations conjoncturelles de prix, la question stratégique restait celle des réserves d'uranium, M. Bertrand Barré a fait état des ressources identifiées dont le coût d'extraction varie entre 40 et 130 dollars le kilo, distinguant les « ressources assurées » ou prouvées et les « ressources déduites » ou probables. Rappelant que les besoins en minerai représentaient 67.000 tonnes par an, il a estimé que les « ressources ultimes » ou spéculatives comprises entre 15 et 22 millions de tonnes autorisaient deux siècles de consommation de 70.000 tonnes d'uranium par an. Estimant enfin que l'exploitation durable de l'uranium passait par le recyclage complet issu de la quatrième génération de réacteur, il a indiqué la surgénération permettrait de multiplier par cinquante à cent la quantité d'énergie extraite à partir d'une tonne d'uranium, et que la France disposerait d'un véritable trésor à travers les 5.000 tonnes d'uranium appauvri dont elle est propriétaire et qu'elle pourrait ainsi enrichir. Au regard de ce contrat, il a conclu que ce n'était pas les ressources naturelles qui limitaient le recours au nucléaire, mais bien d'autres facteurs, à commencer par l'acceptation de l'opinion publique, où il a jugé nécessaire de continuer à faire porter les efforts.

A Mme Nicole Bricq qui, après avoir fait remarquer qu'en attendant le miracle de la surgénération, l'équilibrage de l'offre et de la demande d'uranium est aujourd'hui réalisé par les réserves, s'était interrogée sur la configuration actuelle du secteur nucléaire, marquée par une forte concentration et un contrôle vigilant de l'Etat, M. Bertrand Barré a répondu qu'AREVA était aujourd'hui le troisième producteur mondial, possédant 20 % des réserves (exploration et production au Canada, Niger et Kazakhstan), et ambitionnait de devenir numéro deux grâce à des efforts d'investissement et de relance de l'exploration au Niger, en Ouzbékistan et en Mongolie, voire éventuellement en Australie. Il a en outre fait remarquer que l'exploitation de l'uranium est facilitée par une répartition géographique équilibrée du minerai, et géopolitiquement favorable, précisant à cet égard que les plus grandes réserves prouvées se situent en Australie.

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