Intervention de Nicolas Alfonsi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission protection judiciaire de la jeunesse - examen du rapport pour avis

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi, rapporteur pour avis :

Je suis heureux de rapporter ce budget qui mérite à mon sens une attention particulière. Comme je l'indiquais l'an dernier, depuis 2008, la protection judiciaire de la jeunesse a profondément évolué : confrontée à une baisse continue de ses crédits (qui ont diminué de 6,3% entre 2008 et 2011) et de ses effectifs (suppression de 540 emplois), elle a recentré son action sur la prise en charge des mineurs délinquants et s'est dégagée de l'exécution des mesures d'assistance éducative ordonnées par les juges des enfants dans le cadre de la protection de l'enfance en danger. Ces mesures relèvent désormais de la seule compétence des services d'aide sociale à l'enfance des conseils généraux. Parallèlement, elle s'est engagée dans une démarche de restructuration de ses services déconcentrés, de rationalisation de l'offre de prise en charge sur l'ensemble du territoire et de modernisation de ses pratiques, afin de limiter l'effet des réductions budgétaires sur la qualité des prises en charge. A ce titre, des efforts très importants ont été accomplis et doivent être soulignés.

En 2012, la DPJJ prévoit de marquer une pause : pour la première fois depuis 2008, ses crédits augmenteront de 4,6% en autorisations d'engagement, de 2% en crédits de paiement. Elle disposera ainsi de près de 793 millions d'euros en autorisations d'engagement et de près de 773 millions d'euros en crédits de paiement. Toutefois, cet accroissement global dissimule une évolution contrastée, puisque l'essentiel de ces crédits supplémentaires seront consacrés à l'ouverture de vingt nouveaux centres éducatifs fermés (CEF). 30 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 10 millions d'euros de crédits de paiement seront affectés à ce projet. En 2012, 11,6 % du budget global de la PJJ sera ainsi consacré aux CEF. Parallèlement, le plafond d'emplois alloué à la PJJ diminuera globalement de 106 équivalents temps plein (ETP) : 76 ETP seront transférés au programme n°310 : « conduite et pilotage de la politique de la justice », afin de permettre la mise en place des plateformes interdirectionnelles CHORUS ; 60 nouveaux ETP seront dédiés à la création de 20 nouveaux CEF ; 50 nouveaux ETP seront affectés aux services de milieu ouvert, dans les territoires affectés par les délais de prise en charge les plus élevés ; parallèlement, 140 ETP devront être supprimés.

Je souhaiterais profiter de cette présentation pour mettre en perspective les évolutions accomplies depuis trois ans et évoquer les trois points suivants : d'une part les réformes intervenues dans l'organisation de la justice pénale des mineurs ; d'autre part, la priorité accordée depuis plusieurs années à la prise en charge des mineurs multirécidivistes ou multiréitérants, au détriment des structures de milieu ouvert et d'hébergement traditionnelles ; enfin, le problème de pilotage de la justice civile des mineurs.

Les réformes intervenues dans l'organisation de la justice pénale des mineurs, tout d'abord. Je passe rapidement sur la question de l'évolution de la délinquance des mineurs. Augmente-t-elle ? N'augmente-t-elle pas ? Certes le nombre de mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie augmente, mais la part des mineurs dans la délinquance globale est stable et diminue même légèrement (aux alentours de 19% de la délinquance globale).

On assiste surtout depuis une dizaine d'années à un accroissement important du rôle du parquet en matière de justice pénale des mineurs. D'une part, les parquets poursuivent presque systématiquement les mineurs mis en cause. Le taux de réponse pénale était de 93,9% en 2010 (contre seulement 78,5% en 2002), en raison, notamment, d'une très forte diminution des classements sans suite. D'autre part, les parquets recourent de plus en plus aux procédures alternatives aux poursuites et à la composition pénale. En 2010, 53,6% des affaires mettant en cause des mineurs ont été classées après réussite d'une procédure alternative aux poursuites (dans deux tiers des cas, après un simple rappel à la loi). Depuis 2002, le législateur a conforté ce rôle croissant joué par le parquet, en créant deux procédures qui lui permettent de saisir directement la juridiction pour mineurs sans instruction préalable par le juge des enfants : la procédure de présentation immédiate, inspirée de la procédure de comparution immédiate applicable aux majeurs, créée en 2002, et la procédure de convocation par officier de police judiciaire (COPJ), créée par la loi du 10 août 2011, qui permet au parquet de faire comparaître le mineur devant la juridiction pour mineurs dans un délai de dix jours à deux mois. 1 686 procédures de présentation immédiate ont été mises en oeuvre par les parquets en 2010.

J'en viens maintenant aux bouleversements qui affectent à l'heure actuelle les juridictions pour mineurs. Tout d'abord, la loi du 10 août 2011 a créé une nouvelle juridiction : le tribunal correctionnel pour mineurs. Cette nouvelle juridiction sera compétente à partir du 1er janvier 2012 pour juger des mineurs récidivistes de plus de seize ans. Elle sera présidée par un juge pour enfants, qui sera assisté cette fois par deux magistrats professionnels, et non plus par deux assesseurs devant les tribunaux pour enfants, choisis en raison de leurs compétences et de leur intérêt pour les questions de l'enfance. Il y a là une regrettable mise à l'écart de personnes qui ont pourtant montré leur savoir-faire. Je précise que le Conseil constitutionnel a estimé que le tribunal correctionnel pour mineurs ne pouvait pas être considéré comme une juridiction pénale spécialisée.

J'évoquerai également la QPC du Conseil constitutionnel en date du 8 juillet 2011. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a jugé que, désormais, un juge des enfants ayant instruit une affaire ne pourrait plus présider l'audience du tribunal pour enfants chargée de juger cette affaire sans porter au principe d'impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution. Cette décision inquiète fortement les magistrats pour enfants, notamment ceux situés dans les 34 tribunaux pour enfants qui ne comprennent qu'un juge pour enfants. Le Gouvernement a introduit des dispositions dans la « PPL Ciotti » afin de prévoir qu'en cas de nombre insuffisant de juges des enfants, il serait possible de faire appel à un juge des enfants du ressort de la cour d'appel. Cette solution inquiète les juges des enfants, notamment au regard de la charge de travail qu'elle entraînera (délais de route pour se rendre d'une juridiction à une autre, délais nécessaires pour prendre connaissance des dossiers, etc.). Comme vous le savez, cette proposition de loi est toujours en cours d'examen par le Parlement. Il y a par ailleurs eu des expérimentations dans certaines juridictions, mais le Gouvernement ne nous a pas donné davantage de précisions sur ce point.

J'évoquerai enfin rapidement la question des délais de jugement et d'exécution des décisions de justice, qui sont toujours trop importants.

Des progrès indéniables ont été réalisés par la PJJ : le délai moyen est passé de 28 jours à 20 jours environ. Toutefois, de très grandes disparités subsistent entre les territoires. Sur un axe Lille - Paris - Lyon - Marseille notamment, les délais d'exécution des décisions prises par les juridictions pour mineurs peuvent atteindre plusieurs mois, ce qui est très regrettable en termes de pédagogie de la réponse pénale.

J'en viens maintenant aux priorités qui fondent le budget que nous examinons. L'essentiel des crédits supplémentaires alloués à la PJJ en 2012 sera consacré à la création de 20 nouveaux CEF, comme le Gouvernement l'avait annoncé lors de la discussion de la loi du 10 août 2011 sur les « citoyens assesseurs ». Or la création de ces nouveaux CEF ne s'effectuera pas ex nihilo, mais à partir de la transformation d'unités d'hébergement existantes. Nos collègues François Pillet et Jean-Claude Peyronnet ont rendu il y a quelques mois un rapport d'évaluation consacré aux dispositifs de prise en charge des mineurs multirécidivistes créés en 2002 : centres éducatifs fermés et établissements pénitentiaires pour mineurs. Je ne reviens pas sur leurs conclusions, modérément optimistes s'agissant des CEF, plus mesurées s'agissant des EPM. Je souligne toutefois que ces dispositifs coûtent très cher : 614 euros par jour en CEF ; quant à l'EPM, le Gouvernement est incapable à ce jour de nous donner une évaluation globale du coût d'une journée de détention, ce qui n'est pas acceptable. Nos collègues l'ont évalué à environ 570 euros. A moyens budgétaires constants, le développement des CEF et des EPM diminue donc mécaniquement les moyens disponibles pour financer les services de milieu ouvert et les foyers d'hébergement classiques. Une telle orientation aura donc pour effet d'appauvrir la « palette » des réponses ouvertes aux juges des enfants, au préjudice de l'ensemble des mineurs concernés :

- d'une part, les établissements de placement éducatif (foyers traditionnels) offrent un mode de prise en charge adapté à certains mineurs délinquants moins « difficiles » que ceux qui sont placés en CEF ;

- d'autre part, un placement en CEF - ou une détention - ne peut être qu'une étape dans le parcours du jeune, qui doit pouvoir bénéficier d'un suivi éducatif à sa sortie, dans un foyer ou dans un service de milieu ouvert. Or, nous savons qu'il faut absolument éviter les « sorties sèches » de détention ou de centre éducatif fermé, au risque de favoriser la réitération.

En conséquence, il me semble essentiel d'appeler le Gouvernement à la plus grande prudence s'agissant de la réalisation de ce projet de création de nouveaux CEF. Et ce d'autant plus que le secteur associatif habilité souffre de ces réductions de crédits dans le domaine du milieu ouvert et dans les foyers classiques d'hébergement : en 2011, ce secteur subit un report de charge d'environ 2 mois de crédits de paiement. Un grand nombre de services sont déstabilisés, voire contraints à la fermeture, ce qui est très préoccupant. Le Gouvernement indique avoir pris la mesure de cette difficulté. Ainsi, un projet de décret est actuellement examiné par le Conseil d'Etat afin de permettre à la DPJJ d'assurer le financement de services associatifs par dotation globale de financement.

Je terminerai mon intervention par quelques mots sur la question de la protection de l'enfance en danger. Depuis 2008, la PJJ s'est désengagée de l'exécution des mesures de protection ordonnées par les juges des enfants, à l'exception des mesures d'investigation. Depuis 2011, plus aucun crédit n'est consacré à ces prises en charge. Toutefois, la DPJJ a une compétence générale de pilotage de l'ensemble des questions intéressant la justice des mineurs. Or, ce pilotage est nettement insuffisant à l'heure actuelle.

En effet, l'ensemble des mesures judiciaires prescrites par les juges des enfants doivent désormais être exécutées par les conseils généraux. Dans une décision QPC du 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a considéré qu'il n'y avait pas eu transfert de charges. Nous prenons acte de cette décision. L'Etat a par ailleurs mis en place un certain nombre de mécanismes de concertation avec les conseils généraux, notamment les cellules de recueil des informations préoccupantes, afin de trouver des solutions permettant d'assurer la continuité du parcours des jeunes concernés. Toutefois, et en dépit des préconisations formulées par la Cour des comptes, l'Etat -la DPJJ- ne dispose toujours pas d'outil de suivi lui permettant de connaître le taux et les délais d'exécution des mesures de protection décidées par les juges des enfants. Cette situation est particulièrement regrettable : il ne me paraît pas acceptable que le ministère de la justice, qui est en principe le garant du bon fonctionnement de la Justice, ne soit pas en mesure de savoir si les décisions prononcées par des juges des enfants sont exécutées dans des délais raisonnables et dans des conditions satisfaisantes. En conséquence, il me semble qu'il convient d'appeler le Gouvernement à mettre en oeuvre dans les plus brefs délais un tel outil de suivi.

J'en viens à ma conclusion. J'ai l'honneur de rapporter les crédits de la PJJ depuis plusieurs années maintenant. Il me semble qu'il faut replacer les choses en perspective. Oui il y a des problèmes préoccupants, notamment le développement des CEF au détriment du milieu ouvert et l'absence de suivi des décisions prises par les juges des enfants en assistance éducative. Mais des efforts ont aussi été réalisés par la PJJ, il y a eu des progrès indéniables, un renforcement du dialogue social notamment. En outre, les CEF permettent de limiter l'incarcération des mineurs. Je suis donc favorable à ce budget et propose à la commission de lui donner un avis favorable.

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